dimanche 17 avril 2011

L'impérialisme démocratique

http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRLDE73B1C720110412

Dans cet article anodin, l'on apprend qu'une majorité d'Occidentaux serait favorable à l'intervention typiquement impérialiste en Libye. On pourra toujours critiquer les conditions sociologiques des questions du sondage et relativiser sa représentativité. Il n'empêche que selon ce sondage médiatisé, une majorité de Français soutiendrait l'intervention en Libye. Il faudra leur demander si nos concitoyens soutiennent aussi l'intervention en Côte d'Ivoire. Dans les deux cas, il ne s'agit pas de soutenir des régimes autochtones peu démocratiques, voire dictatoriaux, mais de s'interroger sur la duplicité des régimes impérialistes occidentaux qui les soutiennent hypocritement, puis les lâchent avec un sens de la fidélité qui en dit long sur la nature vile de l'impérialisme.
Que s'est-il passé pour que les régimes impérialistes occidentaux sous l'influence des milieux financiers centrés autour de la City de Londres en viennent à trahir leurs anciens satrapes-rebelles, qui comme tous les collaborateurs finalement collabos se réclament de l'impérialisme pour mieux cautionner auprès de leurs populations leur corruption impérialiste? C'est la stratégie du chaos qui se trouve à l'oeuvre et qui sape l'ancien ordre impérialiste : auparavant, les forces impérialistes occidentales disposaient des moyens économiques d'entretenir des régimes dictatoriaux qui assuraient une certaine stabilité locale et permettaient l'exploitation majoritaire des richesses par des intérêts occidentaux.
Avec l'effondrement des intérêts impérialistes occidentaux, il s'agit de substituer à cette politique de néo-colonialisme satrapique l'ajustement à l'effondrement par la seule alternative qui demeure pour l'impérialisme : le chaos. On ne divise plus pour régner, on divise pour durer (tant qu'on peut). Du coup, face à cet ajustement politico-commercial du néo-libéralisme impérialiste envers ses rejetons satrapiques, le soutien que manifesteraient les populations occidentales aux guerres d'ingérence indique la stratégie perverse utilisée par les médias pour légitimer des guerres typiquement impérialistes : il s'agit de cautionner ces guerres cruelles et meurtrières au nom de la démocratie.
Tiens, on nous avait déjà fait le coup avec l'Irak - notamment. Preuve que les citoyens des démocraties libérales occidentales ne doivent guère être formées à l'art de réfléchir de manière un tant soit peu critique, puisqu'ils avalent les bobards et couleuvres du moment pourvu qu'ils aient l'impression qu'on ne les atteint pas directement dans leurs forces vives, qu'on ne touche pas à leurs modes de vie individualistes, suicidaires et hédonistes. Mais la stratégie médiatique utilisée par l'emblématique agence Reuters, dont le bureau de diffusion de cette nouvelle hallucinante est basé à Londres, consiste à légitimer l'impérialisme au nom du soutien démocratique dont il bénéficierait de la part des citoyens Occidentaux.
Le vice de raisonnement est évident : car le soutien démocratique en question ne désigne pas le soutien des populations attaquées pour que l'Occident les aide à se débarrasser du régime dictatorial, mais le soutien des populations occidentales, étrangères et dont les régimes ont fomenté l'attaque. On aurait ainsi un impérialisme démocratique qui pervertirait la caution démocratique pour l'utiliser à des fins impérialistes nettement antidémocratiques. Avec un raffinement dans l'argument de l'ingérence tel qu'il fut utilisé par les néo-conservateurs anglo-saxons en Irak : cette fois, il ne s'agit plus d'exporter dans un pays étranger la démocratie libérale (ce qui constitue une contradiction dans les termes, la démocratie ne pouvant survenir que de l'intérieur d'un peuple), mais de cautionner l'attaque militaire contre un pays étranger au nom du soutien démocratique dont bénéficiaient les Etats agresseurs de la part de leur propre population.
Face à la catastrophe militaire et politique qu'a engendrée la situation en Irak, avec plus d'un million de morts directs et indirects dus à une guerre chaotique déjà, les impérialistes occidentaux ont varié leur discours, en ne légitimant plus l'impérialisme par l'ingérence, mais par le soutien démocratique. La contradiction contenue dans le projet d'ingérence démocratique était trop grosse et s'était éventée avec les guerres contre le terrorisme (al Quaeda, 911...). Il s'agit dès lors de trouver et produire une légitimation démocratique à l'impérialisme qui ne repose pas sur un principe de soutien aussi invisible que faux (l'ingérence).
Comme il n'est pas possible de prétendre bénéficier du soutien peu vérifiable de populations en guerre, nos sondeurs pervers ont recours à une variante tout aussi fausse, mais plus raffinée et vicieuse : on s'ingère avec le soutien démocratique des peuples impérialistes, non pas des peuples impérialisés. C'est avancer qu'il pourrait y avoir un impérialisme démocratique, ou, plus stupide encore, que la décision impérialiste deviendrait démocratique à partir du moment où elle se trouve soutenue par ses propres populations.
La confusion dans le raisonnement est évidente : on confond expressément l'avis des peuples autochtones, attaqués et impérialisés avec l'avis des peuples bellicistes, étrangers et impérialistes. Dans le cas libyen, on confond l'avis du peuple libyen avec l'avis des peuples d'Occident. Du coup, sous couvert de démocratie, on recommence à violer le principe inaliénable de la souveraineté et l'on s'enfonce encore plus loin dans le mensonge de l'ingérence démocratique. Ce n'est pas parce que les populations d'Occident soutiennent l'attaque impérialiste (ce qui reste à vérifier sur la durée) que cette attaque devient légitime.
Au contraire, elle est illégitime et monstrueuse pour une raison qui a trait à la perversité de la confusion démocratique : à partir du moment où la démocratie repose sur la souveraineté populaire, aucune décision étrangère ne peut avoir de valeur sans violer le principe cardinal de souveraineté. Ce n'est pas parce que contrairement à l'erreur irakienne, les Occidentaux ont pris le soin de former un gouvernement libyen fantoche et acquis à sa cause (autour de Benghazi) qu'ils ont davantage le droit d'attaquer le peuple libyen pour le secourir.
Quant au cas ivoirien, il est tellement caricatural que l'impérialisme spécifiquement français (mais occidental dans son soutien) se trouve déjà dénoncé par de nombreuses voix. Depuis la décolonisation, les impérialistes français sont habitués à une politique de néo-colonialisme qui consiste à installer des hommes-liges et à renverser tout régime contestataire. Quant aux véritables anti-impérialistes comme Lumumba ou Sankhara en Afrique, ils sont assassinés en martyrs et leur nom sera commémoré de manière universelle par les Africains (et tous les hommes libres) de demain.
Précisons que le soutien de peples à l'impérialisme pose toujours problème et manifeste toujours un amalgame douteux et hypocrite, puisque par nature l'impérialisme est le fait de factions qui piratent des nations ou des peuples. Quand les peuples d'Occident soutiennent les politiques impérialistes de leurs dirigeants politiques, ils ne se rendent pas compte qu'ils soutiennent des politiques commanditées par des factions financières qui leur sont défavorables. Car l'impérialisme, s'il manipule les peuples qu'il pirate, finit toujours par être containt de choisir entre ses intérêts propres, de nature oligarchique, et les intérêts populaires qui l'abritent. Comme l’a dit Thomas Sankara dans son discours d'Addis Abeba du 29 juillet 1987, s’en prenant aux prédateurs financiers : « Ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe »

Quant au soutien (incompréhensible d'un point de vue rationnel et moral) des populations occidentales envers la politique impérialiste de leurs gouvernements élus, il s'agit de mesurer que la principale explication à l'impérialisme tient au soutien accordé à la loi du plus fort par la majorité citoyenne et démocratique des pays libéraux se livrant à l'impérialisme. On a pu démontrer que le bénéfice de l'impérialisme revenait surtout à des élites oligarchiques qui ne représentaient pas leurs peuples. Cette explication oligarchique possède ses limites, surtout en régime démocratique. On peut certes manipuler l'avis démocratique et l'opinion populaire versatile, surtout quand elle est inculte et influençable, comme c'est le cas de la plupart des citoyens d'Occident (qui se voudraient rebelles et critiques!).
Mais il faut le soutien au moins ignorant de cette population pour mener à bien une politique impérialiste. Si les citoyens occidentaux étaient réellement instruits, comme le prévoit l'instauration de la démocratie libérale en théorie, ils auraient renversé depuis longtemps leurs représentants politiques. On peut estimer que les élus démocratiques représentent en gros la majorité du peuple qui les a élus. A l'aune de ce critère, si nos hommes politiques occidentaux représentent leurs électeurs, ce que semblerait indiquer ce sondage sans doute manipulé autant que manipulateur, il est navrant, mais indiscutable que les citoyens d'Occident sont des impérialistes passifs, qui soutiennent les politiques impérialistes (pratiquées hors d'Occident par des factions d'Occident), non pas au nom de conceptions géopolitiques de nature impérialiste, mais au nom consternant de leurs petits intérêts privés rivés à très court terme. Tellement court terme que nos brillants égotistes ne se rendent pas compte qu'en sacrifiant à leurs intérêts à court terme, ils détruisent les intérêts de leur plus long terme et surtout les intérêts de leurs descendants.

On pourrait conclure de manière pessimiste et fataliste que de toute manière, le pire est la seule issue ou que l'on ne peut rien faire. Slogans que l'on entend souvent ressasser comme justifications simplistes et stupides de l'état de destruction pénible que nous endurons, résultat consécutif à l'impérialisme en phase terminale, slogans véritablement publicitaires qui expriment la bêtise déculpabilisante. Au lieu de se dire que l'on peut toujours agir dans une situation, qu'il existe toujours des solutions à un problème, ce qui constitue la vérité historiquement vérifiable, on fait mine de se retrancher derrière la nécessité cruelle, mais irréfragable. L'humanité, avant de sombrer dans le chaos et de disparaître comme les dinosaures, est-elle condamnée à retrouver indéfiniment, tel un cercle vicieux et diabolique, un système impérialiste de type oligarchique où une minorité domine le monde (l'Occident) et où à l'intérieur de cette minorité, ce sont de petites factions élitistes qui dominent la majorité moutonnière et soumise?
Cette majorité se trouve elle-même divisée entre une petite classe moyenne aisée qui parvient difficilement à survivre - et une majorité disparate et abêtie par les jeux vidéos, la télévision et la contre-culture de masse, et qui se trouve incapable de réagir de manière rationnelle à un problème qui l'affecte en premier et devrait la poser en victime. Mais le plus important c'est que la grille de lecture pessimiste (ou son versant siamois fataliste) est fausse : car elle se trouve au service de la lecture nihiliste du monde, selon laquelle le réel n'est pas pérenne et est voué à la néantisation.
L'impérialisme n'est pas viable car il ronge le système qu'il parasite et qu'il finit par se détruire dans un acte d'autophagie. Non seulement le fonctionnement social et politique d'une société n'est pas voué à l'impérialisme et à l'oligarchie, mais ces modes de vie sont aussi récurrents que limités.
- Récurrents : il est normal qu'à chaque plateforme ou palier de connaissance certaines élites dégénèrent d'une aristocratie fondé sur l'élitisme républicain à une aristocratie oligarchique, fondée sur la naissance et la médiocrité (comme actuellement avec les dirigeants de nos élites corrompues et coupées des peuples).
- Limités : leur limite intrinsèque et inévitable se trouve circonscrit à la finitude du système dans lequel ils se meuvent. Le pessimisme et le fatalisme se détruisent quand on constate historiquement que le progrès est la loi ou le principe (au sens d'archè tel qu'il se trouva défini par Anaximandre) à la racine de la pérennité historique humaine réside dans le changement ou le progrès. Théoriquement, démenti cuisant à la déconstruction écologique (écoillogiqueplutôt), le réel n'est pas fini, mais infini. L'homme dispose de la faculté supérieure aux animaux de constamment pouvoir changer de palier fini, au point qu'il n'épuise jamais jusqu'à disparition une certaine limite, mais qu'il change, s'accroît et progresse pour agrandir sans cesse son périmètre vital et passer d'une plate-forme à une autre.
Si les dinosaures ont disparu, c'est parce que victimes d'un violent cataclysme sans doute dû à une météorite extraterrestre, ils n'ont pas su s'adapter. Les dinosaures en tant qu'animaux ne sont pas capables de changer; ils demeurent emprisonnés dans un certain monde, un certain palier et sont condamnés à disparaître si les conditions de ce monde s'effondrent. Au contraire, l'homme est capable d'augmenter ses capacités d'adaptation du fait de facultés théoriques qualitativement (cognitivement) supérieures. La domination de l'homme sur le règne vivant au sens large s'explique par cette faculté majeure de connaissance croissante et progressiste.
Le pessimisme tendrait à faire de nous des animaux supérieurs aux autres animaux, mais participant de la même qualité ontologique. Raison pour laquelle on constate un récent engouement pour les bêtes, qui symboliseraient le bonheur ou la condition enviable. En réalité, l'impérialisme et l'oligarchie sont des conceptions politiques qui dérivent de conceptions religieuses et philosophiques d'ordre nihiliste. C'est un optimisme théorique mesuré, d'inspiration leibnizienne par exemple, qu'il nous faut choisir, en notre âme et conscience libre.
Du coup, impossible de verser dans le pessimisme ou de soutenir démocratiquement l'impérialisme, en un oxymore aussi imbécile qu'impossible. La période que nous vivons n'est pas le retour inexorable et indéfini de l'impérialisme, avec les discours mensongers qui fleurissent autour du caractère inexorable des oligarchies, discours dispensés par des experts au service des oligarques; mais le dépérissement prévisible et nécessaire d'un certain palier quand il arrive en phase terminale.
Si l'impérialisme et l'oligarchie se manifestent avec une telle virulence, c'est que nous nous situons en période intermédiaire et chahutée de changement. Nous passons d'un palier à un autre. Nous sommes ballotés entre le palier précédent et le palier suivant. L'époque postmoderne, terme qui ne veut rien dire et qui n'a jamais été défini que négativement (: la modernité après), désigne sans doute, du fait de son caractère vague et confus, comme la prose des philosophes postmodernes (Deleuze, Derrida, le mauvais Foucault et les autres), cette phase terminale de notre palier. Effectivement, dans une mentalité immanentiste comme l'exprime le spinozisme des postmodernes affublé en nietzschéisme risible de gauche, on ne peut concevoir qu'un domaine ontologique fini puisse se poursuivre en un palier supérieur.
Enseignement précieux sur la structure du réel : pour contacter l'infini, l'homme ne prolonge pas vers une extériorité au domaine qui serait la suite de ce domaine, mais est contraint de contacter le palier supérieur. Le transcendantalisme comporte une contradiction dans sa théorie, énoncée par exemple chez Platon l'emblème de la philosophie : d'à la fois proposer letrasncendement tout en ne l'envisageant que d'un point de vue supérieur de prolongement.
(Quant à l'Aufhebung proposée par Hegel comme résolution médian entre Aristote et Platon, avec Descartes en sus et contre Kant l'inférieur), le transcendantalisme immanentiste constitue une aberration en ce que la résolution se trouve intégrée au plan d'immanence. Démenti cuisant dans la dialectique platonicienne, dont la dialectique hégélienne constitue une subversion et un contresens évidents, et dans l'observation historique des paliers ou plateformes que l'homme franchit régulièrement pour s'adapter et ne pas disparaître).
La critique qui pourrait être adressée au transcendantalisme, c'est qu'il envisage le prolongement certes en termes de transcendant, mais jamais en intégrant au transcendant l'hétérogénéité. Le réel a besoin de passer d'un palier à un autre supérieur parce qu'il n'est pas modelé sur le critère de l'homogénéité. Le procédé du palier set le moyen pour le réel de subsister à son hétérogénéité. L'erreur du transcendantalisme est d'associer le transcendant avec l'homogène.
Quant au pessimisme, il véhicule une conception dégénérée du réel, selon laquelle le réel n'est pas seulement purement homogène, mais statique, fixe et immobile. C'est seulement dans ce type de réel que l'on peut envisager une nécessité légitimant la conception pessimiste. Bien entendu, c'est un moyen paresseux et médiocre de rendre légitime l'impérialisme et le nihilisme. On comprend sans doute le soutien indiqué dans ce sondage (relatif et contestable) des populations occidentales envers un impérialisme qui ne saurait en aucun cas se révéler légitime : ce serait le signe, non qu'elles soutiennent l'impérialisme, mais qu'elles se montrent imprégnées par la mentalité du pessimisme - du suivisme lâche et accommodant.

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