samedi 9 avril 2011

Comprendre l'Emprise

Un peu d'humour. On savait que le livre du marginalisé, sulfureux, subversif et honni alternationaliste Alain Soral connaissait un succès indubitable de librairie - en France. Paradoxe de ce succès : comment expliquer qu'un livre qui se présente comme la vérité interdite rencontre un succès public et officiel? Il y a là une contradiction qu'on ne s'explique guère, fort du principe selon lequel ce qui se trouve tourné contre un système politique rencontre censure et attaques en tous genres. A moins d'estimer que le nationalisme est l'allié utile, voire l'incarnation du système en phase terminale (de déliquescence) et que ce qui se présente comme l'alternative ennemie n'est en fait que le prolongement inavouable et assez moutonnier.
Qu'on se trouverait loin de l'apologie de la subversion que déverse Soral et les céliniens apparentés - subversion proche de la puérilité postromantique et de l'adolescence punk. Soral a appartenu à cette génération qui, après avoir clamé no future, milite derrière un masque de progressisme pour la destruction militaire, sociale et politique généralisée, une issue que le nationalisme peut offrir idéalement pour l'avoir déjà servie dans un passé proche (n'en déplaise à ses prétentions alter et réconciliatrices). Conscient sans doute du caractère peu crédible et improbable d'un écrivain à la fois marginalisé et qui rencontre un succès phénoménal; et plus encore d'un écrivain qui prétend sortir la vérité interdite et qui connaît le succès officiel de la part d'un système qui le persécuterait, au moment le plus virulent de cette persécution, un militant chevronné du site alternationaliste Egalité et réconciliation (fondé par le Grand Chef Soral), du nom de David L'Epée, tente, en chevalier de sa cause alter, de justifier de la contradiction pourtant évidente et hilarante de son mentor idéologique. Voici ce que notre zélé zélote nous sert en guise de justification drolatique (preuve de son embarras rhétorique) :

"Si Soral a le mérite d’amener dans son dernier livre des idées nouvelles, ces dernières sont toutefois partagées par un nombre croissant de personnes : l’ouvrage paraît au seuil d’une période charnière et synthétise, avec un léger coup d’avance, les diverses idées et réflexions qui constituent la prise de conscience de milliers d’individus parmi ses lecteurs."

Je sais bien qu'il n'est pas facile de défendre quelqu'un qui prétend s'opposer au système tout en étant reconnu par lui. Pas facile de défendre avec cohérence les attaques antiimpérialistes quand elles situent l'ennemi (tactique de Carl Schmitt) au niveau de l'Etat-nation emblématique des Etats-Unis - surtout avec une teneur assez judéophobe (les juifs se trouvant parfois assimilés aux sionistes et les sionistes aux extrémistes sionistes). Question en passant : Soral serait-il proche de son homonyme autant idéologique que phonétique Sorel? En tout cas, nous apprenons par le biais de cet article lumineux que Soral "amène des idées nouvelles" qui seraient pourtant déjà partagées par ses lecteurs. Mieux ou pire, ces idées nouvelles consistent à "synthétiser la prise de conscience de milliers d'individus".
Autant dire que la nouveauté est ici toute relative et que le plus honnête serait de reconnaître qu'en dénonçant l'Empire américain, l'axe américano-sioniste, voire le judaïsme (en tout cas uncertain judaïsme), Soral n'invente rien. Pas de nouveauté, du synthétisé. On n'invente rien en prônant un alternationalisme vague et en vogue. Ce nationalisme autre et branché est demeuré proche de la quatrième voie prônée par Carl Schmitt. Un proverbe rappelle qu'on fait du nouveau avec de l'ancien. Franchissant un pied dans la contradiction, notre zélateur alternationaliste nous explique que l'on fait du nouveau en synthétisant de l'ancien, soit en n'inventant rien.
Le nouveau c'est l'ancien ou, pour parodier une parole juive que Soral doit apprécier, rien de nouveau sous le soleil (L'Ecclésiaste). Ce n'est pas avec ce genre d'alternatives que l'on parviendra à venir à bout de l'impérialisme. D'une part, les Soral et consorts identifient mal l'impérialisme en place en lui conférant une fausse identité américano-sioniste; d'autre part, ils soutiennent de fait l'impérialisme britannique en s'en prenant aux Etats-nations, alors que la forme de l'Etat-nation est la plus sûre arme actuelle pour lutter contre l'impérialisme des factions financières autour de la City de Londres.
Si les opposants sont de faux opposants (Soral dirait : si les dissidents autoproclamés sont de faux dissidents), pas étonnant que les hommes au pouvoir en Occident fassent le jeu éhonté de la propagande impérialiste. Fidèle à l'adage : "Plus c'est gros, plus ça passe", le premier ministre français Fillon a décidé d'annoncer que la croissance serait de nouveau au rendez-vous en 2011, cette fois-ci enfin pour de bon. Après une bonne dizaine d'annonces magistrales et mensongères, Fillon en remet une couche. Cette fois, même une agence de presse nationale comme l'AFP ou un journal ultralibéral conservateur comme Le Figaro modèrent la promesse aux allures de bobard : "Les prévisions du gouvernement d'une croissance de 2% en 2011 puis de 2,5% en 2012 restent jugées trop optimistes par la plupart des économistes".
Décidément, les néoconservateurs au pouvoir et les nationalistes qui montent dans les sondages et dans les élections occidentales (notamment ceux cryptofascistes et libertariens du mouvement appelé Tea party aux Etats-Unis) se sont donnés le mot pour nous faire rire. Ils sont sécuritaristes et catastrophiques; et voilà qu'ils innovent et se montrent dénonciateurs et prometteurs. Soral nous donne la recette sécuritariste pour promettre une alternative tout en vendant de la camelote avariée : créer le problème et proposer ensuite de le résoudre. Empoisonner, puis prétendre guérir. Accuser à condition que le coupable soit un bouc émissaire (américain, juif ou financier de Wall Street).