La dernière fois que j'écoutais France Culture, je fus frappé par l'évidence foudroyante (à ne pas confondre avec l'évidence de la foudre) : cette radio intellectualiste et élitiste exprimait en fait directement l'élitisme occidentaliste derrière son vernis d'objectivité experte. Le mensonge et la propagande traduites en savantes pédanteries et subtiles distinctions. Pour commencer, nous eûmes droit en guise de hors-d'oeuvres informatifs à un discours bien connu : nous étions en 2009 et nous nagions certes en pleine crise. Heureusement, des signes irréfutables annonçaient la sortie de cette crise pour 2011 ou 2012, peut-être même 2010!
Joie et liesse! Attendez : entendez. En 2007, c'était la crise des subprimes. En 2008, la crise était plus grave que prévue (par qui?), mais elle se finirait d'ici quelques mois. En 2009, vous recommencez à nous resservir la sauce. Pourtant, un seul chiffre suffit à vous démentir : vous avez déjà donné des milliers de milliards de dollars pour renflouer les systèmes monétaires et bancaires, mais l'ensemble des titres toxiques et fictifs dépassent en produits dérivés le million de milliards de dollars.
La fête est finie - et la dette n'est pas remboursable. Le système économique de type libéral mondialiste est terminé. Overdose = over. Dose. Le système immanentiste d'application oligarchique s'est effondré. Déjà. Il faudra du temps pour contempler la fin, mais le début de la fin a sonné. Ne vous en déplaise. Vaguement irrité par le déni que nous offrent ces informations culturelles (à la sauce idéologique de type Arte?), je tombe ensuite sur une rubrique comme le journal de la crise, avec l'intervention d'un philosophe qui prétend que le seul moyen de sauver le système de la crise est de recourir à Spinoza.
Je sursaute. Je me promets de ne plus jamais écouter la radio en conduisant. Le risque d'accident automobile serait-il en effet proportionnel au surgissement d'accidents systémiques financiers? D'emblée : Spinoza pour guérir de la crise, c'est un peu comme recourir aux empoisonneurs pour guérir du poison... Notre expert en philosophie, qui pense aussi mal qu'il maîtrise à la perfection l'histoire de la philosophie, commence par contredire vigoureusement les propos rassurants qui ont été tenus et qui émanent d'experts pour qui le ridicule ne tue pas.
J'apprendrai plus tard que ces prévisions erratiques deviennent compréhensibles si l'on s'avise qu'elles émanent des cercles de conseillers en économie comportementalistes qui entourent le président Obama. En gros, notre intervenant spinoziste propose rien de moins que de remplacer l'irrationalité qui expliquerait la crise systémique économique par la théorie du désir qui permettrait de rationaliser more geometrico les échanges humains. En gros, selon lui, le libéralisme est mort; vive le spinozisme.
Là, je me dis que c'est une farce et un coup de force. Si un maoïste vous explique que le remède pour guérir le maoïsme ne réside ni dans le maoïsme, ni dans le stalinisme, mais dans le communisme, vous vous dites que le déni s'accompagne d'une carence en logique causale. On fait mine d'identifier une solution différente de la cause aux problèmes, alors que l'on ne fait que reculer la cause d'une case et que la cause que l'on identifie comme la bonne cause différente de la mauvaise cause est en fait une cause antérieure qui non seulement est la cause de la cause, mais au surplus se retrouve arrière-cause de la mauvaise cause.
Cause toujours. Proposer Spinoza pour guérir des maux de l'ultralibéralisme, et donc Spinoza contre le libéralisme historique des Smith, Bentham ou Ricardo, c'est proposer de guérir les conséquences de l'immanentisme par les causes de l'immanentisme. C'est un dédoublement assez inquiétant et tout à fait fantasmatique. Je rappellerai aux oreilles des distraits que Spinoza le saint de l'immanentisme est celui qui théorise le nihilisme moderne contre Platon et la tradition religieuse. Ceux qui aujourd'hui encensent Spinoza comme un prodigieux maître à penser sont des immanentistes explicites, de facture dégénérée et terminale.
Il suffit pour constater l'évidence douloureuse de s'aviser du cas attristant du commentateur à la mode de Spinoza, un certain Misrahi, professeur de philosophie, présenté de manière désinvolte comme l'un des grands philosophes contemporains, alors qu'il n'a rien pensé du tout et que les quelques prolongements à Spinoza qu'il prop-ose en guise de commentaires déguisés en pensée originale sont d'une banalité risible et affligeante (c'est selon). Misrahi se distingua après le 911 par un livre de soutien à la bucolique islamophobe Fallaci, proche journaliste des milieux néo-conservateurs.
Misrahi a-t-il pâti de ce soutien pour le moins contestable et sulfureux dans les médias? Que nenni. Au contraire, je ne l'ai jamais autant entendu que depuis 2001. Il est intervenu dans les colonnes de l'ancien hebdomadaires satirico-libertaire Charlie-Hebdo, fameux pour sa publication des caricatures de Mahomet (appellation impropre de Mohamed en langage islamophobe) et sa proximité idéologique avec certaines circuits proches des néo-conservateurs. Il est célébré comme un philosophe important de l'époque, supercherie maintes fois consacrées, si bien qu'un sioniste défendant des positions islamophobes n'encourt pas les mêmes problèmes qu'un métis critiquant le sionisme et accusé d'antisémitisme.
Une simple question : Misrahi serait-il sioniste? Sa proximité idéologique avec Fallaci la catholique italienne dévote est en tout cas sidérante. Je cesse de musarder et de batifoler en chemin pour revenir à Spinoza. Spinoza contre le libéralisme et les dérives de l'ultralibéralisme. Au moins est-il reconnu que le libéralisme ne peut mener qu'à l'ultralibéralisme en tant que catastrophe et dégénérescence prévisibles, comme il est reconnu que le plus noble des communismes n'est pas viable et mène au stalinisme, au maoïsme et à l'impéritie totalitaire. Cependant, notre expert ès-Spinoza oublie l'essentiel : s'il est bon de relier l'ultralibéralisme au libéralisme, quoique ce lien ne soit pas des plus malaisés à établir, il convient cependant de pas opposer deux causes identiques (seulement différentes par leur degré d'antériorité logique) entre elles.
C'est pourtant ce que fait notre bon historien chroniqueur en proposant de remédier à Smith et consorts par Spinoza et ressorts. Et pourquoi pas Fallaci pour sortir du terrorisme et de l'intolérance? Une bonne vieille liqueur traditionnelle à la poire pour sortir de l'alcoolisme au whisky? Il serait temps de comprendre que la centralité des libéraux repose sur l'évacuation du problème métaphysique. Face à un problème, évacuez le problème : devise de tout nihilisme qui se respecte. Nos libéraux se contente de tout expliquer chez l'homme par l'opposition du plaisir et de la douleur. A la bonne heur!
C'est d'un mécanisme à faire pâlir d'envie un diablotin aspirant en nihilisme : le plaisir et la douleur, c'est tout bonnement l'expression de valeurs intégralement finies et immanentistes. Le seul reél est ainsi décrit comme l'univers sensible. Le raisonnement libéral consiste à dire : seul ce qui est connu est reél. Le seul reél connu est le sensible. Donc le seul réel est le sensible.
Evidemment, c'est un raisonnement scabreux et stupide, mais là n'est pas le plus intéressant. Il est savoureux de relier le simplisme du libéralisme de l'ancêtre spinoziste. Je ne dis pas que le spinozisme est simpliste (encore que); je dis qu'il est faux. Le spinozisme est bien la doctrine moderne qui aboutit à opposer le plaisir à la douleur en tant que la joie est le contraire de la douleur. La théorie du désir chez Spinoza est censée nous fournir une approche plus profonde que le positionnement libéral ultérieur, dont l'effondrement traduirait l'erreur. En gros, le libéralisme aurait trahi le spinozisme et il faudrait en revenir au spinozisme pour sauver la modernité dans son projet rationnel conçu pour l'homme.
Je veux bien, mais : le désir selon Spinoza produit une théorie de l'homme qui est immanentiste, réduite à la puissance (conatus) et à son accroissement - dans le cadre de la nécessité ontologique. C'est la théorie du désir qui conduit le plus sûrement au libéralisme, par les médiations conceptuelles que nous venons de nommer. L'opposition de deux contraires est explicitement dualiste, ce qui fait que la dénonciation du dualisme platonicien par Nieztsche est fausse. Plus exactement : de mauvaise foi.
Le monisme spinoziste repose sur l'opposition de deux contraires, le sensible et le néant. C'est contre le nihilisme que le platonisme s'oppose. Le dualisme platonicien intégrait le sensible à l'intérieur de l'idéal, ce qui fait que la scission dualiste de type platonicienne réintègre l'unité au final; tandis que le monisme proclamé de type nihiliste cache en fait l'opposition duelle. A la vérité, il fait concevoir deux dualismes : l'un nihiliste qui oppose; l'autre transcendantaliste qui réunit. Le nihilisme est bien opposition sans réunion, quand le transcendantalisme est réunion avec opposition.
Le propre du spinozisme est de congédier la métaphysique classique et l'ontologie platonicienne pour proposer en lieu et place du transcendantalisme la forme moderne du nihilisme : l'immanentisme. Dans ce cadre ontologique, le libéralisme n'est qu'une conséquence, une sous-branche de l'immanentisme, dont l'intérêt est moins ontologique et philosophique que pragmatique, économique et commercial.
Le libéralisme s'empresse de congédier les considérations métaphysiques qui assoient (même de manière masquée) sa théorie économique de type capitaliste pour mieux aborder ce qui l'intéresse : dresser une théorie de légitimation et de propagande de l'échange marchand et commercial. Ramener la politique à l'économique : ce geste révolutionnaire (adieu la politique classique) consiste à aller jusqu'au bout du geste ontologique initial, qui rend le reél fini (en occultant que le nihilisme oppose le sensible au néant). Dans le finalisme immanentiste, le spinozisme mène aussi sûrement au libéralisme que le libéralisme mène à l'ultralibéralisme - de la même manière que l'on peut dire que le marxisme mène au communisme et que le communisme mène au stalinisme et à ses suites dégénérées.
Comprend-on maintenant l'aberration du raisonnement de notre expert en spinozisme? En proposant de remédier à Friedman ou Hayek par Spinoza, notre penzeur propose tout bonnement de guérir des conséquences immanentistes par l'adjonction des causes - immanentistes. L'absurdité de ce raisonnement n'est pas seulement finaliste. Elle est aussi chronologique, puisqu'on ne revient jamais en arrière et que l'on peut seulement adapter les produits du passé aux réalités du présent. Ce n'est certainement pas de l'ancêtre empoisonneur dont on a besoin pour guérir l'empoisonné en stade terminal, quand bien même ce chef empoisonneur aurait eu l'outrecuidance de poser une question quasi médicale : que peut un corps?
Question célébrée par toute la clique postmoderne, Deleuze en tête, comme la question géniale par excellence. Malheureusement, Spinoza n'est qu'un symptôme, comme Nietzsche après lui. Spinoza annonce l'immanentisme, quand Nieztsche annonce l'immanentisme tardif et dégénéré - la fin de l'immanentisme. Nieztsche clôt la prophétie que Spinoza avait ouverte. Spinoza et Nieztsche : symptômes géniaux peut-être, mais symptômes de l'immanentisme.
Et dans cette hiérarchie symptomatique des symptômes, force est de constater que tous les symptômes ne se valent pas : le libéralisme est très inférieur au spinozisme, et l'ultralibéralisme est une caricature franchement décadente et grossière - que les libéraux classiques dénoncent avec théâtralité. Il est vrai que le processus immanentiste mène au néant et que le chemin du sensible vers le néant implique fatalement (dans tous les sens du terme) la dégradation qualitative des idées et des productions matérielles. Dans ce jeu de dupes, nous en sommes à la phase terminale : où l'on propose de guérir d'un effet par sa cause.
Joie et liesse! Attendez : entendez. En 2007, c'était la crise des subprimes. En 2008, la crise était plus grave que prévue (par qui?), mais elle se finirait d'ici quelques mois. En 2009, vous recommencez à nous resservir la sauce. Pourtant, un seul chiffre suffit à vous démentir : vous avez déjà donné des milliers de milliards de dollars pour renflouer les systèmes monétaires et bancaires, mais l'ensemble des titres toxiques et fictifs dépassent en produits dérivés le million de milliards de dollars.
La fête est finie - et la dette n'est pas remboursable. Le système économique de type libéral mondialiste est terminé. Overdose = over. Dose. Le système immanentiste d'application oligarchique s'est effondré. Déjà. Il faudra du temps pour contempler la fin, mais le début de la fin a sonné. Ne vous en déplaise. Vaguement irrité par le déni que nous offrent ces informations culturelles (à la sauce idéologique de type Arte?), je tombe ensuite sur une rubrique comme le journal de la crise, avec l'intervention d'un philosophe qui prétend que le seul moyen de sauver le système de la crise est de recourir à Spinoza.
Je sursaute. Je me promets de ne plus jamais écouter la radio en conduisant. Le risque d'accident automobile serait-il en effet proportionnel au surgissement d'accidents systémiques financiers? D'emblée : Spinoza pour guérir de la crise, c'est un peu comme recourir aux empoisonneurs pour guérir du poison... Notre expert en philosophie, qui pense aussi mal qu'il maîtrise à la perfection l'histoire de la philosophie, commence par contredire vigoureusement les propos rassurants qui ont été tenus et qui émanent d'experts pour qui le ridicule ne tue pas.
J'apprendrai plus tard que ces prévisions erratiques deviennent compréhensibles si l'on s'avise qu'elles émanent des cercles de conseillers en économie comportementalistes qui entourent le président Obama. En gros, notre intervenant spinoziste propose rien de moins que de remplacer l'irrationalité qui expliquerait la crise systémique économique par la théorie du désir qui permettrait de rationaliser more geometrico les échanges humains. En gros, selon lui, le libéralisme est mort; vive le spinozisme.
Là, je me dis que c'est une farce et un coup de force. Si un maoïste vous explique que le remède pour guérir le maoïsme ne réside ni dans le maoïsme, ni dans le stalinisme, mais dans le communisme, vous vous dites que le déni s'accompagne d'une carence en logique causale. On fait mine d'identifier une solution différente de la cause aux problèmes, alors que l'on ne fait que reculer la cause d'une case et que la cause que l'on identifie comme la bonne cause différente de la mauvaise cause est en fait une cause antérieure qui non seulement est la cause de la cause, mais au surplus se retrouve arrière-cause de la mauvaise cause.
Cause toujours. Proposer Spinoza pour guérir des maux de l'ultralibéralisme, et donc Spinoza contre le libéralisme historique des Smith, Bentham ou Ricardo, c'est proposer de guérir les conséquences de l'immanentisme par les causes de l'immanentisme. C'est un dédoublement assez inquiétant et tout à fait fantasmatique. Je rappellerai aux oreilles des distraits que Spinoza le saint de l'immanentisme est celui qui théorise le nihilisme moderne contre Platon et la tradition religieuse. Ceux qui aujourd'hui encensent Spinoza comme un prodigieux maître à penser sont des immanentistes explicites, de facture dégénérée et terminale.
Il suffit pour constater l'évidence douloureuse de s'aviser du cas attristant du commentateur à la mode de Spinoza, un certain Misrahi, professeur de philosophie, présenté de manière désinvolte comme l'un des grands philosophes contemporains, alors qu'il n'a rien pensé du tout et que les quelques prolongements à Spinoza qu'il prop-ose en guise de commentaires déguisés en pensée originale sont d'une banalité risible et affligeante (c'est selon). Misrahi se distingua après le 911 par un livre de soutien à la bucolique islamophobe Fallaci, proche journaliste des milieux néo-conservateurs.
Misrahi a-t-il pâti de ce soutien pour le moins contestable et sulfureux dans les médias? Que nenni. Au contraire, je ne l'ai jamais autant entendu que depuis 2001. Il est intervenu dans les colonnes de l'ancien hebdomadaires satirico-libertaire Charlie-Hebdo, fameux pour sa publication des caricatures de Mahomet (appellation impropre de Mohamed en langage islamophobe) et sa proximité idéologique avec certaines circuits proches des néo-conservateurs. Il est célébré comme un philosophe important de l'époque, supercherie maintes fois consacrées, si bien qu'un sioniste défendant des positions islamophobes n'encourt pas les mêmes problèmes qu'un métis critiquant le sionisme et accusé d'antisémitisme.
Une simple question : Misrahi serait-il sioniste? Sa proximité idéologique avec Fallaci la catholique italienne dévote est en tout cas sidérante. Je cesse de musarder et de batifoler en chemin pour revenir à Spinoza. Spinoza contre le libéralisme et les dérives de l'ultralibéralisme. Au moins est-il reconnu que le libéralisme ne peut mener qu'à l'ultralibéralisme en tant que catastrophe et dégénérescence prévisibles, comme il est reconnu que le plus noble des communismes n'est pas viable et mène au stalinisme, au maoïsme et à l'impéritie totalitaire. Cependant, notre expert ès-Spinoza oublie l'essentiel : s'il est bon de relier l'ultralibéralisme au libéralisme, quoique ce lien ne soit pas des plus malaisés à établir, il convient cependant de pas opposer deux causes identiques (seulement différentes par leur degré d'antériorité logique) entre elles.
C'est pourtant ce que fait notre bon historien chroniqueur en proposant de remédier à Smith et consorts par Spinoza et ressorts. Et pourquoi pas Fallaci pour sortir du terrorisme et de l'intolérance? Une bonne vieille liqueur traditionnelle à la poire pour sortir de l'alcoolisme au whisky? Il serait temps de comprendre que la centralité des libéraux repose sur l'évacuation du problème métaphysique. Face à un problème, évacuez le problème : devise de tout nihilisme qui se respecte. Nos libéraux se contente de tout expliquer chez l'homme par l'opposition du plaisir et de la douleur. A la bonne heur!
C'est d'un mécanisme à faire pâlir d'envie un diablotin aspirant en nihilisme : le plaisir et la douleur, c'est tout bonnement l'expression de valeurs intégralement finies et immanentistes. Le seul reél est ainsi décrit comme l'univers sensible. Le raisonnement libéral consiste à dire : seul ce qui est connu est reél. Le seul reél connu est le sensible. Donc le seul réel est le sensible.
Evidemment, c'est un raisonnement scabreux et stupide, mais là n'est pas le plus intéressant. Il est savoureux de relier le simplisme du libéralisme de l'ancêtre spinoziste. Je ne dis pas que le spinozisme est simpliste (encore que); je dis qu'il est faux. Le spinozisme est bien la doctrine moderne qui aboutit à opposer le plaisir à la douleur en tant que la joie est le contraire de la douleur. La théorie du désir chez Spinoza est censée nous fournir une approche plus profonde que le positionnement libéral ultérieur, dont l'effondrement traduirait l'erreur. En gros, le libéralisme aurait trahi le spinozisme et il faudrait en revenir au spinozisme pour sauver la modernité dans son projet rationnel conçu pour l'homme.
Je veux bien, mais : le désir selon Spinoza produit une théorie de l'homme qui est immanentiste, réduite à la puissance (conatus) et à son accroissement - dans le cadre de la nécessité ontologique. C'est la théorie du désir qui conduit le plus sûrement au libéralisme, par les médiations conceptuelles que nous venons de nommer. L'opposition de deux contraires est explicitement dualiste, ce qui fait que la dénonciation du dualisme platonicien par Nieztsche est fausse. Plus exactement : de mauvaise foi.
Le monisme spinoziste repose sur l'opposition de deux contraires, le sensible et le néant. C'est contre le nihilisme que le platonisme s'oppose. Le dualisme platonicien intégrait le sensible à l'intérieur de l'idéal, ce qui fait que la scission dualiste de type platonicienne réintègre l'unité au final; tandis que le monisme proclamé de type nihiliste cache en fait l'opposition duelle. A la vérité, il fait concevoir deux dualismes : l'un nihiliste qui oppose; l'autre transcendantaliste qui réunit. Le nihilisme est bien opposition sans réunion, quand le transcendantalisme est réunion avec opposition.
Le propre du spinozisme est de congédier la métaphysique classique et l'ontologie platonicienne pour proposer en lieu et place du transcendantalisme la forme moderne du nihilisme : l'immanentisme. Dans ce cadre ontologique, le libéralisme n'est qu'une conséquence, une sous-branche de l'immanentisme, dont l'intérêt est moins ontologique et philosophique que pragmatique, économique et commercial.
Le libéralisme s'empresse de congédier les considérations métaphysiques qui assoient (même de manière masquée) sa théorie économique de type capitaliste pour mieux aborder ce qui l'intéresse : dresser une théorie de légitimation et de propagande de l'échange marchand et commercial. Ramener la politique à l'économique : ce geste révolutionnaire (adieu la politique classique) consiste à aller jusqu'au bout du geste ontologique initial, qui rend le reél fini (en occultant que le nihilisme oppose le sensible au néant). Dans le finalisme immanentiste, le spinozisme mène aussi sûrement au libéralisme que le libéralisme mène à l'ultralibéralisme - de la même manière que l'on peut dire que le marxisme mène au communisme et que le communisme mène au stalinisme et à ses suites dégénérées.
Comprend-on maintenant l'aberration du raisonnement de notre expert en spinozisme? En proposant de remédier à Friedman ou Hayek par Spinoza, notre penzeur propose tout bonnement de guérir des conséquences immanentistes par l'adjonction des causes - immanentistes. L'absurdité de ce raisonnement n'est pas seulement finaliste. Elle est aussi chronologique, puisqu'on ne revient jamais en arrière et que l'on peut seulement adapter les produits du passé aux réalités du présent. Ce n'est certainement pas de l'ancêtre empoisonneur dont on a besoin pour guérir l'empoisonné en stade terminal, quand bien même ce chef empoisonneur aurait eu l'outrecuidance de poser une question quasi médicale : que peut un corps?
Question célébrée par toute la clique postmoderne, Deleuze en tête, comme la question géniale par excellence. Malheureusement, Spinoza n'est qu'un symptôme, comme Nietzsche après lui. Spinoza annonce l'immanentisme, quand Nieztsche annonce l'immanentisme tardif et dégénéré - la fin de l'immanentisme. Nieztsche clôt la prophétie que Spinoza avait ouverte. Spinoza et Nieztsche : symptômes géniaux peut-être, mais symptômes de l'immanentisme.
Et dans cette hiérarchie symptomatique des symptômes, force est de constater que tous les symptômes ne se valent pas : le libéralisme est très inférieur au spinozisme, et l'ultralibéralisme est une caricature franchement décadente et grossière - que les libéraux classiques dénoncent avec théâtralité. Il est vrai que le processus immanentiste mène au néant et que le chemin du sensible vers le néant implique fatalement (dans tous les sens du terme) la dégradation qualitative des idées et des productions matérielles. Dans ce jeu de dupes, nous en sommes à la phase terminale : où l'on propose de guérir d'un effet par sa cause.
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