"M. JOURDAIN. __ Qu'est-ce que c'est que cette logique?"
Le Bourgeois Gentilhomme, II, 4.
Plusieurs émissions sur France Culture traitent de philosophie. La mission de ces émissions est de montrer que la France est la patrie des Lettres autant que des droits - de l'Ame. En France, on spécule, mais pas comme les Anglo-saxons. Les libéraux spéculent avec des concepts monétaires. Les Français sont les héritiers de Descartes. D'ailleurs, c'est dans les départements de philosophie des Anglo-saxons que s'est épanouie la philosophie logique et analytique qui prétend remplacer la métaphysique classique par une nouvelle forme de pensée, typiquement immanentiste.
Évidemment, les logiciens n'ont rien remplacé du tout et réussissent même l'exploit de poser des questions saugrenues en guise de productions novatrices. France Culture relaye moins la nouvelle philosophie anglo-saxonne que l'histoire de la philosophie typiquement sorbonnarde et académicienne. Je laisse de côté la mode des Nouveaux philosophes, qui ne sont jamais que la caricature virulente des historiens de la philosophie transposée dans le champ des médias et de la propagande. Les historiens ont leurs histrions, en somme.
Le phénomène des historiens en philosophie n'est pas très nouveau. Aristote d'une certaine manière faisait déjà de l'histoire de la philosophie. Le problème, c'est que le temps passant, la philosophie se développant, l'histoire de la philosophie a cru. Au point que Hegel, de Ionie à Iéna, se montre fort savant quand il fait parade d'histoire des idées. Tous ces philosophes ont pour point commun de partir de l'histoire des idées pour développer une philosophie personnelle.
On remarquera une caractéristique peu remarquée dans les cercles académiques : les philosophes ont pour point commun de commencer à penser un jour ou l'autre aux détriments de l'histoire de la philosophie. Cette constante signifie tout simplement qu'il existe une disjonction essentielle ente l'acte mimétique et l'acte créateur. Descartes qui commence à cogiter fait mine de remettre en question les bases de la scolastique.
Il est malheureusement évident que Descartes a plus ébranlé le savoir occidental qu'il ne l'a véritablement changé, à tel point qu'on peut présenter Descartes comme un conservateur ayant réussi à assurer la transition de la scolastique vers la métaphysique chrétienne moderne. Scientifiquement, Descartes se trompait beaucoup. Métaphysiquement, il est fort à craindre que ce personnage soit peu en accord avec Rabelais. Rabelais condamnait les moutons. Descartes les disséquait.
Reprenons avec Rabelais : l'amalgame de la philosophie avec l'histoire de la philosophie est typique de l'immanentisme, qui condamne la différence pour ne retenir que la répétition. La création est essentiellement production de différences. Platon magnifie en langue grecque le dialogue dit socratique (d'inspiration africaine) pour produire de la différence et sortir des ombres de la caverne.
L'histoire de la philosophie est à cet égard limpide : en tant que telle, l'histoire de la philosophie est une discipline respectable, qui produit des spécialistes érudits et souvent remarquables - d'ailleurs injustement évalués, tant il est certain que le savoir technique est privilégié sur tout type de savoir paraissant vain. Là où le délire commence, c'est quand on procède à l'identification de l'historien et du philosophe.
L'un crée de la pensée; l'autre l'étudie. La coïncidence de deux mouvements pourtant différents, voire dissemblables, l'étude et la création, signifie tout simplement que l'on veut faire disparaître la création et la différence, parce qu'elles sont incompatibles avec la mentalité immanentiste moderne. Il est préférable d'avoir affaire à un historien mimétique qu'à un novateur polémique. La dimension polémique d'un Platon est évidente, lui qui s'est opposé aux nihilistes de son époque, les sophistes et autres atomistes.
Une anecdote croustillante et savoureuse émane d'un représentant attitré de la philosophie académicienne, un historien de la philosophie se prenant pour philosophe, qui a poussé le bouchon si loin qu'il a investi les cercles institutionnels entre Université et politique : Luc Ferry. Luc Ferry ne se rend pas compte qu'il reproduit une histoire ancienne, celle du raté qui amalgame le raté et la réussite.
Qu'explique Ferry? Que pour commencer à philosopher, il faut nécessairement commencer par étudier dix ans Kant, puis dix ans Spinoza. Vingt ans d'étude avant de penser : bigre! Cette perspective nous porte à réfléchir vers la cinquantaine, ce qui est sans doute un peu tardif... Le scandale de cette proposition anodine tient à l'exigence d'études poussées et intensives avant la réflexion. Descartes et d'autres se mettent soudain à penser en ramenant le mimétisme à un exercice soit concomitant, soit inférieur.
Ferry en bon représentant de l'académisme forcené interdisant la création rend impossible la création : on comprend que dans les conditions qu'il institue l'exercice de la pensée soit impossible ou tout du moins fortement malaisé. Il suffit de lire les productions pseudo-philosophiques d'un Ferry pour se rendre compte qu'au-delà de son érudition incontestable, de philosophie il n'y a point. Ou si peu!
On peut expliquer la mauvaise qualité d'un miméticien avec le retour à l'ontologie : sans renouvellement, le donné dépérit. En interdisant la différence, soit le renouvèlement, l'histoire de la philosophie condamne la philosophie qu'elle prétend incarner. C'est le paradoxe de l'immanentisme qui tue le monde de l'homme sous prétexte de l'investir.
Cette confession de Ferry me fait penser à la variante de l'aspirant écrivain qui décrète que pour écrire il ne lui faut surtout pas lire d'autres auteurs, en particulier les bons. Bien entendu, cette démarche est condamnée à l'impuissance et l'infertilité, au sens où un arbre fertile donne des fruits. On reconnaît un arbre à ses fruits. A ce compte, la démarche de l'histoire de la philosophie est débilitante et caduque : les historiens de la philosophie sont ces mimes et ces répétiteurs qui ne se rendent pas compte qu'il est impossible de produire de la nouveauté en répétant servilement.
Cette démarche conduit à l'appauvrissement qualitatif. Par ailleurs, les productions sont d'autant plus médiocres qu'elles émanent d'un éclatement d'auteurs. Plus les historiens de la philosophie produisent des fruits avariés, plus ils se montrent nombreux. Il est désarmant de constater à quel point l'éclatement des productions historiennes suit le modèle de la différance : dans le fini, moins on renouvèle, plus on essaime.
On pourrait citer des dizaines de noms d'historiens de la philosophie qui écrivent d'autant plus d'ouvrages de philosophie qu'ils ne font que répéter, qu'ils piochent dans le champ sclérosé de l'histoire de la philosophie pour extirper des idées usées jusqu'à la corde. Aucune innovation, aucun concept original. Cette méthode est typiquement oligarchique dans le domaine politique. Dans le domaine nihiliste, il est patent que l'oligarchie a trait au nihilisme.
Le nihilisme consiste à s'appuyer sur un donné qui ne peut que s'appauvrir comme un champ non renouvelé. La méthode nihiliste est fausse. La méthode en philosophie consistant à promouvoir l'histoire de la philosophie s'appelle de l'académisme forcené. Les meilleurs représentants de cette école nihiliste et oligarchique sont totalement aveuglés par leur réussite interne : ils détiennent les meilleurs diplômes de leurs académies reconnues.
Du coup, ils sont incapables de se remettre en question, puisqu'ils estiment qu'ils sont parvenus au faîte de leur discipline ou de leur savoir. Justement, c'est précisément la vraie et seule question qu'on pourrait leur opposer : si l'on maîtrise à la perfection un savoir faux ou une conception du reél fausse, qu'est-on exactement? Un imposteur, réponse cruelle et lucide.
Un brillant imposteur, peut-être, mais un imposteur surtout. Sur tout. L'académisme n'est défendable que s'il prépare à la création. S'il réduit la création à sa forme d'excellence, il est débilitant au sens où il repose sur une cruelle erreur. De nombreux artistes se moquent de l'académisme parce que l'académisme empêche la création. Le résultat de la fausse création académique ne se fait pas attendre : c'est l'éclatement et l'appauvrissement. Les pseudo-artistes sont d'autant plus nuls et médiocres qu'ils sont nombreux.
On est dépassé par cette profusion et cette luxuriance de productions dégénérées, au sens où le genre se perd et s'appauvrit faute de renouvellement. Dégénéré/régénéré : je ne donnerai pas de noms, mais à peu près tous les philosophes contemporains répondent à cette mode où l'on est académiste surdiplômé dans la mesure où l'on n'a rien à dire et beaucoup à exprimer. Le seul moyen de philosopher dans cette ambiance généralisée de stéréotypes et de poncifs est de s'éloigner un peu du troupeau. Non pas comme les élitistes qui ne sont autres que les académistes et les historiens de la philosophie; mais comme ceux qui refusent le raisonnement moutonnier et les conceptions à la mode.
Il est temps de se méfier des diplômes puisque les diplômes ne signalent jamais que le niveau de répétition obtenu et qu'un brillant diplôme sanctionne un brillant répétiteur. Le paradigme caricatural et délirant de cet état des choses triste voire tragique, c'est les faux créateurs et vrais académistes que sont par exemple les rois du postmodernisme comme expression du kitch et de l'immanentisme tardif et dégénéré dans le domaine de la pensée.
Je ne vais pas examiner tous les postmodernes sous l'appellation labellisée d'un postmoderne lui-même, le professoral Lyotard. Il y en a tellement qu'ils illustrent à leur corps défendant le principe de l'éclatement et de la différance : d'autant que le concept de différance émane originellement d'un postmoderne, le déconstructeur en chef Derrida, qui a porté au pinacle de l'égotisme niais le pédantisme normalien consistant à prendre des vessies pour des lanternes (à inventer une méthode consistant à répéter à l'infini sous prétexte de créer).
Je m'arrêterai au cas de Deleuze, que l'on célèbre énormément dans les cercles à la mode de l'histoire de la philosophie, comme un philosophe tant et plus, soit un philosophe qui aurait ajouté à la rigueur et autres pseudo-critères de distinction philosophique l'originalité et la différence. Deleuze a lui-même planché sur les différences et les répétitions et on lui rendra justice sur ce point : il n'a rien trouvé de mieux que ses prédécesseurs.
Raison pour laquelle à chaque fois que j'écoute Deleuze, je suis pris de vertige. Cet homme délire. Il délire depuis qu'il s'est mis martel en tête de philosopher. Au départ, il s'assumait assez en historien de la philosophie et puis, le succès venant, le vent tournant, il a décidé de s'émanciper de ses maîtres et de voler de ses propres ailes. On lui a tellement bourré le mou (au sens métaphorique s'entend) qu'il a fini par se croire philosophe. Une seule question suffirait à faire redescendre sur Terre notre philosophe pris en flagrant délit de grosse tête : quelles idées nouvelles avez-vous produit?
Rien. Que de vent. Que des références - à Kant, Hume, Bergson, Nietzsche, en particulier, Spinoza, surtout. D'autres aussi. En tant qu'immanentiste tardif et dégénéré, Deleuze ne put que louer ses maîtres Spinoza et Nietzsche. On comprend le suicide dramatique de Deleuze. Se défenestrer quand on se prétend nietzschéen et spinoziste, ce n'est pas un mince paradoxe! C'est une mort violente, virulente. C'est un aveu de faiblesse, de folie, mais surtout de défaite. On se tue quand on a perdu.
Deleuze a perdu. Qu'a-t-il compris au seuil de sa vie? Fenêtre vers l'immanence? Qu'il était nihiliste? Qu'il s'était fourvoyé pendant trente ans? Qu'il avait défendu le progressisme le plus systémique tandis que ce système était condamné? Deleuze a sauté par la fenêtre pour renaître. Un peu de Lacan chez cet agitateur qui voulait tuer Freud pour mieux imposer sa génération. En fait de génération, c'est celle des imposteurs, qui en politique se manifeste par le fou-évènement mai 68.
Deleuze est emblématique de sa génération car il a sans doute porté au paroxysme et au pinacle cette caractéristique remarquable consistant à créer des concepts creux à partir de concepts existants. Originalité : l'ajout est superflu. Derrière le nouveau nom ronflant ne se trouvent que d'anciennes idées. Vraie répétition donc, travestie en fausse différence. Deleuze comme la génération postmoderne dans son intégralité est la génération des historiens de la philosophie qui prétendent avoir quitté l'histoire de la philosophie pour embraser les terrains de la philosophie.
On a compris. En tout cas, Deleuze a eu le bon goût de s'en prendre à ceux qu'il nommait les wittgensteiniens. Deleuze contre Wittgenstein, ça pourrait faire une affiche ronflante de combat de sports extrêmes - où tous les coups sont permis. Pourtant, outre la nouvelle imposture consistant à croire que Deleuze a lu Wittgenstein, ou que Deleuze ne commet pas d'amalgames grossiers entre la philosophie de Wittgenstein et la philosophie dite analytique, le plus important est de comprendre que la haine de Deleuze à l'encontre des philosophes analytiques ou des logiciens des départements anglo-saxons s'explique par le double mimétique de Girard.
Au fond, les historiens de la philosophie et les philosophes analytiques participent des mêmes avatars : des nihilistes qui utilisent la répétition pour de la différence. Les faux philosophes postmodernes sont des historiens de la philosophie qui aimeraient faire de la philosophie. Eh bien, les philosophes analytiques sont des faux philosophes qui aimeraient faire de la philosophie. Dans les deux cas, on a la production d'un savoir congelé en guise de différence et d'innovation.
Les logiciens substituent seulement la logique à l'histoire. Il s'agit dans les deux cas d'analyser un contenu passé et donné, fini et enfermé dans ses certitudes. Les historiens de la philosophie croient qu'ils révolutionnent la pensée en introduisant de l'histoire, ou des sciences humaines. Le meilleur exemple que je trouve est Foucault, qui pourtant est le plus intéressant théoricien de cette période, ce qui est à la fois bon et mauvais signe (être le meilleur chez les nuls et les fous n'est pas forcément gage de qualité). Tandis que les historiens ne se rendent pas compte que les faits sensibles ne leur apporteront aucune différence tangible, les analytiques n'ont pas conscience qu'ils opèrent sur les formes logiques la même erreur que les historiens sur les faits : cette logique est déjà donnée.
Une bonne fois pour toutes - hein saint Derrida? Raison pour laquelle on a l'impression d'une impression de surrépétition au sens où l'on répète constamment, mais où l'on répète l'évident. On dit qu'un grand philosophe remet en question des idées évidentes essentielles. On dira avec aménité qu'un faux philosophe ou répétiteur d'idées préexistantes confirme les idées essentielles. Cette constante possède un caractère profondément comique : interroger l'évidence pour la conforter.
Finalement, la verve comique était déjà présente chez Molière qui campe des portraits de philosophe pédants et scoliastes. Voilà qui signifie que la logique analytique ne diffère pas grandement de la logique aristotélicienne en usage chez les scolastiques. Dans les deux cas, il s'agit de parole gelée et Rabelais a déjà décrit avec perspicacité et grâce ce type de personnages.
Toujours est-il qu'il convient de constater que les historiens de la philosophie et les logiciens analytiques ne s'opposent avec virulence que parce que dans le fond ils sont identiques. Ils sont immanentistes et nihilistes. Sans doute les analytiques défendent-ils un point de vue plus novateurs, quand les historiens se parent des atours et du prestige du passé et de la tradition. Mais quel est cet avenir qui ne s'appuie que sur du fini?
Surtout, comment distinguer entre deux démarches qui parviennent au même point? Maintenant que l'on a compris que l'antagonisme entre Deleuze et les analytiques obéissait à la loi de la fausse différence et du double mimétique de rivalité, comprenons que tous ces faux penseurs et vrais dégénérés participent du mouvement de l'immanentisme tardif qui précède de peu l'entrée dans la phase terminale de l'immanentisme. Phase dans laquelle nous sommes et qui intronise la fonction des experts en lieu et place des faux philosophes. Aujourd'hui, être BHL, c'est déjà être un has been, soit un intellectuel ou commentateur qui se condamne à périmer avant de publier. Damnation, quand tu nous tiens.
Il faudrait expliquer ce phénomène de la peau de chagrin appliqué aux idées aux épigones de BHL, en particulier à tous ceux qui se piquent de penser et qui se contentent de commenter : dès qu'ils pensent en commentant, ils se dépensent pour mal penser! Ils commentent? Ils mentent! Vous qui prêtez attention aux pensées contemporaines, ne vous laissez pas charmer par les sirènes de l'histoire de la philosophie ou les avant-gardes de l'analytique.
Soyez aussi entêtés que les compagnons d'Ulysse qui se bouchaient les oreilles ou si vous tenez à comprendre, tout au moins adoptez l'attitude lumineuse d'Ulysse attaché à son bateau! Le plus sage quand vous entendez un de ces pédants discourir, passez votre chemin. Il est très diplômé, il est très intelligent, il est très médiatique : c'est un penseur du système, coopté par le système et dont la seule importance tient à sa reconnaissance systémique. Du fait que le système auquel il appartient est condamné et damné, sa pensée ne peut que suivre le même mouvement : être con et damné quand on se croit intelligent et élu, avouez que c'est drôle. C'est aussi pour un penseur un vice insurmontable.
Le Bourgeois Gentilhomme, II, 4.
Plusieurs émissions sur France Culture traitent de philosophie. La mission de ces émissions est de montrer que la France est la patrie des Lettres autant que des droits - de l'Ame. En France, on spécule, mais pas comme les Anglo-saxons. Les libéraux spéculent avec des concepts monétaires. Les Français sont les héritiers de Descartes. D'ailleurs, c'est dans les départements de philosophie des Anglo-saxons que s'est épanouie la philosophie logique et analytique qui prétend remplacer la métaphysique classique par une nouvelle forme de pensée, typiquement immanentiste.
Évidemment, les logiciens n'ont rien remplacé du tout et réussissent même l'exploit de poser des questions saugrenues en guise de productions novatrices. France Culture relaye moins la nouvelle philosophie anglo-saxonne que l'histoire de la philosophie typiquement sorbonnarde et académicienne. Je laisse de côté la mode des Nouveaux philosophes, qui ne sont jamais que la caricature virulente des historiens de la philosophie transposée dans le champ des médias et de la propagande. Les historiens ont leurs histrions, en somme.
Le phénomène des historiens en philosophie n'est pas très nouveau. Aristote d'une certaine manière faisait déjà de l'histoire de la philosophie. Le problème, c'est que le temps passant, la philosophie se développant, l'histoire de la philosophie a cru. Au point que Hegel, de Ionie à Iéna, se montre fort savant quand il fait parade d'histoire des idées. Tous ces philosophes ont pour point commun de partir de l'histoire des idées pour développer une philosophie personnelle.
On remarquera une caractéristique peu remarquée dans les cercles académiques : les philosophes ont pour point commun de commencer à penser un jour ou l'autre aux détriments de l'histoire de la philosophie. Cette constante signifie tout simplement qu'il existe une disjonction essentielle ente l'acte mimétique et l'acte créateur. Descartes qui commence à cogiter fait mine de remettre en question les bases de la scolastique.
Il est malheureusement évident que Descartes a plus ébranlé le savoir occidental qu'il ne l'a véritablement changé, à tel point qu'on peut présenter Descartes comme un conservateur ayant réussi à assurer la transition de la scolastique vers la métaphysique chrétienne moderne. Scientifiquement, Descartes se trompait beaucoup. Métaphysiquement, il est fort à craindre que ce personnage soit peu en accord avec Rabelais. Rabelais condamnait les moutons. Descartes les disséquait.
Reprenons avec Rabelais : l'amalgame de la philosophie avec l'histoire de la philosophie est typique de l'immanentisme, qui condamne la différence pour ne retenir que la répétition. La création est essentiellement production de différences. Platon magnifie en langue grecque le dialogue dit socratique (d'inspiration africaine) pour produire de la différence et sortir des ombres de la caverne.
L'histoire de la philosophie est à cet égard limpide : en tant que telle, l'histoire de la philosophie est une discipline respectable, qui produit des spécialistes érudits et souvent remarquables - d'ailleurs injustement évalués, tant il est certain que le savoir technique est privilégié sur tout type de savoir paraissant vain. Là où le délire commence, c'est quand on procède à l'identification de l'historien et du philosophe.
L'un crée de la pensée; l'autre l'étudie. La coïncidence de deux mouvements pourtant différents, voire dissemblables, l'étude et la création, signifie tout simplement que l'on veut faire disparaître la création et la différence, parce qu'elles sont incompatibles avec la mentalité immanentiste moderne. Il est préférable d'avoir affaire à un historien mimétique qu'à un novateur polémique. La dimension polémique d'un Platon est évidente, lui qui s'est opposé aux nihilistes de son époque, les sophistes et autres atomistes.
Une anecdote croustillante et savoureuse émane d'un représentant attitré de la philosophie académicienne, un historien de la philosophie se prenant pour philosophe, qui a poussé le bouchon si loin qu'il a investi les cercles institutionnels entre Université et politique : Luc Ferry. Luc Ferry ne se rend pas compte qu'il reproduit une histoire ancienne, celle du raté qui amalgame le raté et la réussite.
Qu'explique Ferry? Que pour commencer à philosopher, il faut nécessairement commencer par étudier dix ans Kant, puis dix ans Spinoza. Vingt ans d'étude avant de penser : bigre! Cette perspective nous porte à réfléchir vers la cinquantaine, ce qui est sans doute un peu tardif... Le scandale de cette proposition anodine tient à l'exigence d'études poussées et intensives avant la réflexion. Descartes et d'autres se mettent soudain à penser en ramenant le mimétisme à un exercice soit concomitant, soit inférieur.
Ferry en bon représentant de l'académisme forcené interdisant la création rend impossible la création : on comprend que dans les conditions qu'il institue l'exercice de la pensée soit impossible ou tout du moins fortement malaisé. Il suffit de lire les productions pseudo-philosophiques d'un Ferry pour se rendre compte qu'au-delà de son érudition incontestable, de philosophie il n'y a point. Ou si peu!
On peut expliquer la mauvaise qualité d'un miméticien avec le retour à l'ontologie : sans renouvellement, le donné dépérit. En interdisant la différence, soit le renouvèlement, l'histoire de la philosophie condamne la philosophie qu'elle prétend incarner. C'est le paradoxe de l'immanentisme qui tue le monde de l'homme sous prétexte de l'investir.
Cette confession de Ferry me fait penser à la variante de l'aspirant écrivain qui décrète que pour écrire il ne lui faut surtout pas lire d'autres auteurs, en particulier les bons. Bien entendu, cette démarche est condamnée à l'impuissance et l'infertilité, au sens où un arbre fertile donne des fruits. On reconnaît un arbre à ses fruits. A ce compte, la démarche de l'histoire de la philosophie est débilitante et caduque : les historiens de la philosophie sont ces mimes et ces répétiteurs qui ne se rendent pas compte qu'il est impossible de produire de la nouveauté en répétant servilement.
Cette démarche conduit à l'appauvrissement qualitatif. Par ailleurs, les productions sont d'autant plus médiocres qu'elles émanent d'un éclatement d'auteurs. Plus les historiens de la philosophie produisent des fruits avariés, plus ils se montrent nombreux. Il est désarmant de constater à quel point l'éclatement des productions historiennes suit le modèle de la différance : dans le fini, moins on renouvèle, plus on essaime.
On pourrait citer des dizaines de noms d'historiens de la philosophie qui écrivent d'autant plus d'ouvrages de philosophie qu'ils ne font que répéter, qu'ils piochent dans le champ sclérosé de l'histoire de la philosophie pour extirper des idées usées jusqu'à la corde. Aucune innovation, aucun concept original. Cette méthode est typiquement oligarchique dans le domaine politique. Dans le domaine nihiliste, il est patent que l'oligarchie a trait au nihilisme.
Le nihilisme consiste à s'appuyer sur un donné qui ne peut que s'appauvrir comme un champ non renouvelé. La méthode nihiliste est fausse. La méthode en philosophie consistant à promouvoir l'histoire de la philosophie s'appelle de l'académisme forcené. Les meilleurs représentants de cette école nihiliste et oligarchique sont totalement aveuglés par leur réussite interne : ils détiennent les meilleurs diplômes de leurs académies reconnues.
Du coup, ils sont incapables de se remettre en question, puisqu'ils estiment qu'ils sont parvenus au faîte de leur discipline ou de leur savoir. Justement, c'est précisément la vraie et seule question qu'on pourrait leur opposer : si l'on maîtrise à la perfection un savoir faux ou une conception du reél fausse, qu'est-on exactement? Un imposteur, réponse cruelle et lucide.
Un brillant imposteur, peut-être, mais un imposteur surtout. Sur tout. L'académisme n'est défendable que s'il prépare à la création. S'il réduit la création à sa forme d'excellence, il est débilitant au sens où il repose sur une cruelle erreur. De nombreux artistes se moquent de l'académisme parce que l'académisme empêche la création. Le résultat de la fausse création académique ne se fait pas attendre : c'est l'éclatement et l'appauvrissement. Les pseudo-artistes sont d'autant plus nuls et médiocres qu'ils sont nombreux.
On est dépassé par cette profusion et cette luxuriance de productions dégénérées, au sens où le genre se perd et s'appauvrit faute de renouvellement. Dégénéré/régénéré : je ne donnerai pas de noms, mais à peu près tous les philosophes contemporains répondent à cette mode où l'on est académiste surdiplômé dans la mesure où l'on n'a rien à dire et beaucoup à exprimer. Le seul moyen de philosopher dans cette ambiance généralisée de stéréotypes et de poncifs est de s'éloigner un peu du troupeau. Non pas comme les élitistes qui ne sont autres que les académistes et les historiens de la philosophie; mais comme ceux qui refusent le raisonnement moutonnier et les conceptions à la mode.
Il est temps de se méfier des diplômes puisque les diplômes ne signalent jamais que le niveau de répétition obtenu et qu'un brillant diplôme sanctionne un brillant répétiteur. Le paradigme caricatural et délirant de cet état des choses triste voire tragique, c'est les faux créateurs et vrais académistes que sont par exemple les rois du postmodernisme comme expression du kitch et de l'immanentisme tardif et dégénéré dans le domaine de la pensée.
Je ne vais pas examiner tous les postmodernes sous l'appellation labellisée d'un postmoderne lui-même, le professoral Lyotard. Il y en a tellement qu'ils illustrent à leur corps défendant le principe de l'éclatement et de la différance : d'autant que le concept de différance émane originellement d'un postmoderne, le déconstructeur en chef Derrida, qui a porté au pinacle de l'égotisme niais le pédantisme normalien consistant à prendre des vessies pour des lanternes (à inventer une méthode consistant à répéter à l'infini sous prétexte de créer).
Je m'arrêterai au cas de Deleuze, que l'on célèbre énormément dans les cercles à la mode de l'histoire de la philosophie, comme un philosophe tant et plus, soit un philosophe qui aurait ajouté à la rigueur et autres pseudo-critères de distinction philosophique l'originalité et la différence. Deleuze a lui-même planché sur les différences et les répétitions et on lui rendra justice sur ce point : il n'a rien trouvé de mieux que ses prédécesseurs.
Raison pour laquelle à chaque fois que j'écoute Deleuze, je suis pris de vertige. Cet homme délire. Il délire depuis qu'il s'est mis martel en tête de philosopher. Au départ, il s'assumait assez en historien de la philosophie et puis, le succès venant, le vent tournant, il a décidé de s'émanciper de ses maîtres et de voler de ses propres ailes. On lui a tellement bourré le mou (au sens métaphorique s'entend) qu'il a fini par se croire philosophe. Une seule question suffirait à faire redescendre sur Terre notre philosophe pris en flagrant délit de grosse tête : quelles idées nouvelles avez-vous produit?
Rien. Que de vent. Que des références - à Kant, Hume, Bergson, Nietzsche, en particulier, Spinoza, surtout. D'autres aussi. En tant qu'immanentiste tardif et dégénéré, Deleuze ne put que louer ses maîtres Spinoza et Nietzsche. On comprend le suicide dramatique de Deleuze. Se défenestrer quand on se prétend nietzschéen et spinoziste, ce n'est pas un mince paradoxe! C'est une mort violente, virulente. C'est un aveu de faiblesse, de folie, mais surtout de défaite. On se tue quand on a perdu.
Deleuze a perdu. Qu'a-t-il compris au seuil de sa vie? Fenêtre vers l'immanence? Qu'il était nihiliste? Qu'il s'était fourvoyé pendant trente ans? Qu'il avait défendu le progressisme le plus systémique tandis que ce système était condamné? Deleuze a sauté par la fenêtre pour renaître. Un peu de Lacan chez cet agitateur qui voulait tuer Freud pour mieux imposer sa génération. En fait de génération, c'est celle des imposteurs, qui en politique se manifeste par le fou-évènement mai 68.
Deleuze est emblématique de sa génération car il a sans doute porté au paroxysme et au pinacle cette caractéristique remarquable consistant à créer des concepts creux à partir de concepts existants. Originalité : l'ajout est superflu. Derrière le nouveau nom ronflant ne se trouvent que d'anciennes idées. Vraie répétition donc, travestie en fausse différence. Deleuze comme la génération postmoderne dans son intégralité est la génération des historiens de la philosophie qui prétendent avoir quitté l'histoire de la philosophie pour embraser les terrains de la philosophie.
On a compris. En tout cas, Deleuze a eu le bon goût de s'en prendre à ceux qu'il nommait les wittgensteiniens. Deleuze contre Wittgenstein, ça pourrait faire une affiche ronflante de combat de sports extrêmes - où tous les coups sont permis. Pourtant, outre la nouvelle imposture consistant à croire que Deleuze a lu Wittgenstein, ou que Deleuze ne commet pas d'amalgames grossiers entre la philosophie de Wittgenstein et la philosophie dite analytique, le plus important est de comprendre que la haine de Deleuze à l'encontre des philosophes analytiques ou des logiciens des départements anglo-saxons s'explique par le double mimétique de Girard.
Au fond, les historiens de la philosophie et les philosophes analytiques participent des mêmes avatars : des nihilistes qui utilisent la répétition pour de la différence. Les faux philosophes postmodernes sont des historiens de la philosophie qui aimeraient faire de la philosophie. Eh bien, les philosophes analytiques sont des faux philosophes qui aimeraient faire de la philosophie. Dans les deux cas, on a la production d'un savoir congelé en guise de différence et d'innovation.
Les logiciens substituent seulement la logique à l'histoire. Il s'agit dans les deux cas d'analyser un contenu passé et donné, fini et enfermé dans ses certitudes. Les historiens de la philosophie croient qu'ils révolutionnent la pensée en introduisant de l'histoire, ou des sciences humaines. Le meilleur exemple que je trouve est Foucault, qui pourtant est le plus intéressant théoricien de cette période, ce qui est à la fois bon et mauvais signe (être le meilleur chez les nuls et les fous n'est pas forcément gage de qualité). Tandis que les historiens ne se rendent pas compte que les faits sensibles ne leur apporteront aucune différence tangible, les analytiques n'ont pas conscience qu'ils opèrent sur les formes logiques la même erreur que les historiens sur les faits : cette logique est déjà donnée.
Une bonne fois pour toutes - hein saint Derrida? Raison pour laquelle on a l'impression d'une impression de surrépétition au sens où l'on répète constamment, mais où l'on répète l'évident. On dit qu'un grand philosophe remet en question des idées évidentes essentielles. On dira avec aménité qu'un faux philosophe ou répétiteur d'idées préexistantes confirme les idées essentielles. Cette constante possède un caractère profondément comique : interroger l'évidence pour la conforter.
Finalement, la verve comique était déjà présente chez Molière qui campe des portraits de philosophe pédants et scoliastes. Voilà qui signifie que la logique analytique ne diffère pas grandement de la logique aristotélicienne en usage chez les scolastiques. Dans les deux cas, il s'agit de parole gelée et Rabelais a déjà décrit avec perspicacité et grâce ce type de personnages.
Toujours est-il qu'il convient de constater que les historiens de la philosophie et les logiciens analytiques ne s'opposent avec virulence que parce que dans le fond ils sont identiques. Ils sont immanentistes et nihilistes. Sans doute les analytiques défendent-ils un point de vue plus novateurs, quand les historiens se parent des atours et du prestige du passé et de la tradition. Mais quel est cet avenir qui ne s'appuie que sur du fini?
Surtout, comment distinguer entre deux démarches qui parviennent au même point? Maintenant que l'on a compris que l'antagonisme entre Deleuze et les analytiques obéissait à la loi de la fausse différence et du double mimétique de rivalité, comprenons que tous ces faux penseurs et vrais dégénérés participent du mouvement de l'immanentisme tardif qui précède de peu l'entrée dans la phase terminale de l'immanentisme. Phase dans laquelle nous sommes et qui intronise la fonction des experts en lieu et place des faux philosophes. Aujourd'hui, être BHL, c'est déjà être un has been, soit un intellectuel ou commentateur qui se condamne à périmer avant de publier. Damnation, quand tu nous tiens.
Il faudrait expliquer ce phénomène de la peau de chagrin appliqué aux idées aux épigones de BHL, en particulier à tous ceux qui se piquent de penser et qui se contentent de commenter : dès qu'ils pensent en commentant, ils se dépensent pour mal penser! Ils commentent? Ils mentent! Vous qui prêtez attention aux pensées contemporaines, ne vous laissez pas charmer par les sirènes de l'histoire de la philosophie ou les avant-gardes de l'analytique.
Soyez aussi entêtés que les compagnons d'Ulysse qui se bouchaient les oreilles ou si vous tenez à comprendre, tout au moins adoptez l'attitude lumineuse d'Ulysse attaché à son bateau! Le plus sage quand vous entendez un de ces pédants discourir, passez votre chemin. Il est très diplômé, il est très intelligent, il est très médiatique : c'est un penseur du système, coopté par le système et dont la seule importance tient à sa reconnaissance systémique. Du fait que le système auquel il appartient est condamné et damné, sa pensée ne peut que suivre le même mouvement : être con et damné quand on se croit intelligent et élu, avouez que c'est drôle. C'est aussi pour un penseur un vice insurmontable.
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