vendredi 18 janvier 2008

L'aprofondeur

Il est stupéfiant de constater, simplement constater que l'homme, pardon, l'Homme, est parvenu au Bien, à la Raison, à la pleine possession de ses moyens depuis sa transformation supérieure et transcendante, au Changement Radical, avec une radicale amélioration de ses productions artistiques et ses productions de pensée. Pour l'art, l'Hyperréel s'est chargé depuis belle lurette de montrer ce qu'était l'Hyperart pour le moderne : désormais le vrai artiste est le médium de son époque et de ce point de vue, c'est l'animateur de télévision qui occupe le poste, fidèle à sa charge et sans doute peu regardant sur les raisons qui ont présidé à l'évolution du raté sympathique à la Jacques Martin au prétentieux imbuvable et frustré de l'acabit d'un Michel Drucker. En matière de pensée, en guise de penseur, les Nouveaux Philosophes se sont chargés d'assurer la transition entre le penseur plus ou moins intellectuel à la Sartre et l'expert américain.
Bien entendu, la médiocrité de BHL ou de ses compères est affligeante et elle n'est que transitoire, puisque la génération suivante des penseurs français a sombré en dessous du niveau de vide concevable (Onfray ou Enthoven). Mais mon propos n'est pas de jeter un regard lucide sur le nihilisme des pompeux ou sur les vrais penseurs qu'ils cachent et impliquent (les experts pensant dans la mesure où ils ont expédié la pensée pour penser l'immédiat et l'événementiel). Oublions cette caricature de BHL, dont chacun sait bien, dans le fond, qu'elle est condamnée à l'imposture et l'apostat.
Il est frappant de voir que le libéralisme, le démocratisme, le système qui se targue avec un extrémisme féroce de personnifier le Bien, ce système engendre de façon répétée et désespérée la médiocrité ou le mineur. Que l'on produise seulement un seul penseur explicitement libéral, un seul penseur qu'aurait conçu le système démocratico-libéral. Impossible. Sans aller jusqu'à rappeler que le système libéral est un système où la dégradation qualitative est sidérante, où la nullité est de plus en plus prononcée, dans une descente aux Enfers que l'on aimerait s'épargner, aucun observateur impartial n'est en mesure de produire un seul grand nom affilié au libéralisme.
Bien entendu, les pensées de qualité abondent, mais ces pensées sont au mieux mineures : Aron, Popper, voire Weber, c'est valeureux, mais les grands noms ne sont pas dans la liste du système, tant s'en faut. Il est même ironique que ce soit les ennemis les plus indéfendables du libéralisme qui puissent, eux, se targuer de la profondeur et du génie. Un seul exemple : le nazisme, le terrible et impitoyable nazisme, le régime présenté par la démocratie comme l'incarnation du Mal, le nazisme peut s'enorgueillir d'avoir compté dans ses rangs en quelques années plus de penseurs que le libéralisme pourrait relever dans toute son histoire.
Heidegger, Carl Schmitt, Leo Strauss, c'est de l'antilibéralisme, mais ça pèsera toujours plus lourd que Adam Smith, Ricardo ou tous les penseurs libéraux déclarés et patentés. Pourquoi Heidegger vaudra-t-il toujours plus que Aron? Bonne question. Bonne et lourde question. Certainement pas parce que Heidegger fut nazi et pas Aron. Mais quand on mesure à quel point des intellectuels comme Revel ont hypothéqué la pensée pour produire la propagande libérale au service du nationalisme, on est sidéré que la question se pose.
La réponse coule de source : parce que Aron était libéral. L'adhésion au libéralisme empêche la pensée dans la mesure où la pensée a besoin de la profondeur et que le propre du libéralisme est de supprimer la profondeur pour privilégier l'immédiateté et l'apparence. Le libéralisme est une pensée reconnue comme spéciale, voire étrange, dans la mesure où elle se voudrait la pensée qui nie la pensée. Si bien qu'un authentique philosophe comme Hume a besoin de contredire son libéralisme politique dans sa réflexion philosophique pour penser. D'ailleurs, Hume est déjà en dissidence de libéralisme, si l'on s'avise que le libéralisme n'est pas vraiment invoqué dans son oeuvre philosophique et qu'il pencherait du côté des libéraux classiques et de type politique. Voltaire se situe quant à lui à la marge. A la terrible marge.
On peut être nazi et grand penseur (Heidegger). On ne peut être libéral et grand penseur. Ce triste constat suffit amplement à indiquer la valeur véritable du libéralisme, en tant que pensée prétendant remplacer tout l'ancien système appuyé sur le monothéisme et le religieux : négation de la pensée, le libéralisme n'est pas seulement voué à la médiocrité et au nihilisme. En tant qu'émanation et expression du nihilisme, il se révèle également terriblement dangereux.

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