vendredi 25 janvier 2008

Transperrance

On nous vante et on nous vend la modernité comme une gigantesque entreprise de transparence. A quoi renvoie ce terme? A l'idée d'une identité du réel et de l'apparence. Le réel est rassurant puisqu'il correspond grosso modo à l'impression qu'il dégage. Le postulat selon lequel les choses sont telles qu'elles se présentent provient nécessairement de ceux qui ont intérêt à faire croire une pareille absurdité, c'est-à-dire les élites. A ce compte, on peut tout aussi bien prétendre que le mal n'existe pas et que la vie est un long et paisible chemin tranquille. Vivent les pâquerettes!
La transparence est ternie par sa correspondance troublante avec l'époque qui la meut et qui tend à affirmer que le réel est connu et que ce doux réel est assujetti aux normes de perception et de compréhension de l'homme. Cette sérénade en mode majeur ressemble pourtant et étrangement à la mélopée ensorcelée et maléfique que déversaient aux oreilles des marins transis et en état d'agonie les sirènes aussi attirantes que mortifères.
Si le réel est connu, alors le réel est transparent. L'homme n'a rien à craindre du système qui le meut puisque le système n'a rien à cacher. L'homme n'a rien à craindre de l'homme, de ses congénères, puisque l'homme est tel au fond qu'il le prétend. Dis-moi qui tu es : je le peux. Donc je suis transparent et nous vivons une époque formidable. L'idylle est-elle aussi mirifique ou la perfection n'accouche-t-elle pas en fait du trouble et de l'agonie programmée?
Mais si ce postulat est faux, alors la transparence n'est pas seulement un mensonge. C'est aussi un redoutable moyen de propagande et de manipulation. L'exigence de transparence est aussi impossible que l'exigence de vie éternelle ou de perfection. Au fond, si la perfection n'est pas de ce monde, la transparence non plus.
Si l'idéal de transparence n'est pas atteint, c'est parce que la définition claire et précise du réel n'est possible qu'à condition que soit laissée de côté la majeure part du réel. Que reste-t-il du réel quand la transparence est ôtée? Quel côté obscur de la force ressurgit, qui était seulement occulté? Principalement deux aspects :
1) d'autres ordres que l'ordre auquel on appartient;
2) le néant.
Ces deux exceptions majeures et retentissantes obèrent définitivement l'idéal de transparence et montre à quel point cet objectif est hypocrite et dévastateur. Car la transparence sert précisément ceux qui s'en réclament pour servir des intérêts autrement plus nébuleux et ténébreux que l'idéal superbe et éclatant dont ils se réclament. En un mot comme en cent : l'exigence de transparence sert en fait ceux qui sont armés d'intentions inavouables et contrecarrant la transparence.
La transparence est bien ténébreuse affaire. Elle met en avant une exigence qui instaure et conforte en fait l'opacité et la négation de la vérité. Plus l'homme se réfère à la transparence, plus en fait il poursuit des buts de manipulation et de diversion. Comme il est impossible de finir le réel, le seul moyen d'y parvenir consiste à opérer le mécanisme fatal de la réduction. Dans les premiers temps, le résultat semble révolutionnaire et mirifique et puis, alors que l'on pense la révolution entérinée et le progrès promulgué, les premiers signaux alarmants se manifestent. L'édifice se craquèle. Les fondations se lézardent.
Pourquoi cette catastrophe incompréhensible surgit-elle pour gâcher le bel ordonnancement institué? Parce que le bel ordonnancement est un leurre, qui répond au doux nom de réduction, voire d'illusion. Au final, au lieu de respecter les conditions de fonctionnement du réel, on a fait qu'empirer les choses sous prétexte de les améliorer. Il est vrai qu'elles peuvent désormais se prévaloir de l'effort de transparence, un peu comme l'on parle d'effort de guerre quand on veut justifier des privations et des lourdes pertes qu'engendre inévitablement tout conflit armé.



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