jeudi 18 mars 2010

Horde nouvelle



Il faudrait se montrer raciste pour espérer que le visage actuel de l'Afrique l'emporte comme modèle immuable. Ceux qui défendent l'Afrique au nom de son présent - qui n'est pas un cadeau mais un fardeau - sont des racistes plus ou moins inconscients qui légitiment par ce prisme la destruction de l'Afrique depuis l'esclavage, le colonialisme et l'impérialisme. Quitte donc ça. Les valeurs qui régissent l'Afrique contemporaine sont dégénérées. La grandeur de l'Afrique se constate quand on s'avise de son passé, de son histoire, de ses cultures - finalement le colonialisme occidental n'a pris le dessus que récemment. La grandeur de l'Afrique se constate quand on s'avise de son avenir.
La posture d'un Hegel, de ses prédécesseurs ou de ses successeurs (de plus en plus déclinants) est grotesque : estimer que l'Afrique présente un visage pré-culturel éternel - que l'Afrique telle qu'elle se présente de nos jours a toujours existé. Malheureusement, des rudiments d'histoire indiquent que l'Afrique s'est effondrée depuis quatre cents ans et que le modèle oligarchique qu'elle offre actuellement n'est pas son visage de lait, mais un masque effrayant et hideux qu'elle arbore depuis qu'elle est la vache à laid de l'Occident impérialiste et colonialiste.
Si l'on estime que l'avenir de l'homme se situe en Afrique, plus exactement que ce sont des Africains qui mèneront l'homme vers sa prochaine aventure, son prochain colonialisme, son prochain impérialisme, la conquête spatiale, il est important de comprendre que ce n'est pas cette Afrique esclavagisée, colonisée, impérialisée et oligarchique, sous la coupe des intérêts occidentaux monétaristes et prévaricateurs, qui dispose des moyens de relever l'humanité en se rendant dans l'espace.
Ce n'est pas non plus l'Afrique du passé, si tant est qu'il est impossible de revenir - dans le passé. Pas de réaction, pas de ressenti-ment : il serait aussi raciste de revenir dans le passé que de décréter l'Afrique inchangée. L'Afrique dispose en son sein matriciel du moyen de sortir l'homme de sa prison mentale - mondialiste. Ce phénomène émane du continent qui a été le plus détruit et opprimé depuis que l'Occident a pris le dessus technique en instaurant le règne de l'immanentisme, qui désormais touche à sa fin.
Il est bizarre que la terre d'où l'homme vient est le lieu appelé à sortir l'homme de son berceau-fardeau. Dans un roman de science-fiction d'Isaac Asimov, compris dans le cycle Terre et fondation (de mémoire), des hommes de l'espace et d'un futur lointain, certains changés biologiquement (je crois), partent à la recherche de la Terre originelle. Les hommes ont colonisé l'espace, ont conquis les innombrables système solaires, ont oublié à force de millénaires d'où ils viennent. Leurs racines. Leur source. Tout comme l'Occidental contemporain méprise ses racines, au point qu'il en vient à douter, au point qu'il invente d'autres foyers de naissance plus glorieux (pour l'Occident), l'homme de l'espace est incapable de localiser la planète qui l'a vu naître.
C'est un déraciné de l'espace! Un ingrat de l'espèce! Pourquoi ce retour aux racines primordial au moment où l'idéologie mondialiste, fruit du postlibéralisme explicitement impérialiste, commence à fermenter dans les cerveaux rassis des Occidentaux qui croient vraiment qu'il faut arrêter les projets spatiaux et considérer que la limite infranchissable de l'homme finit (dans tous les sens du terme) avec les limites territoriales du monde. L'homme ne peut aller au-delà de sa planète. C'est la mère Afrique qui va se charger de rappeler que les projets compris dans le mondialisme sont caducs : l'impérialisme, le monétarisme, le colonialisme, l'oligarchisme, le mondialisme...
Au lieu de concepts dépassés, l'homme porté vers l'espace va montrer à quel point la réaction rend impossible (l'expression cathartique du nihilisme) ce qui manifeste l'évolution, le changement, le temps. L'immanentiste nie le temps et aimerait figer l'homme à une place statique et figé qui soit définitive : la Terre. L'Occident domine; l'Afrique est hors du temps. Pourtant, le spatialisme est le grand projet qui relègue toutes les conceptions savantes autour du mondialisme dans la réaction. Bien entendu, la décroissance qui se voudrait à l'avant-garde du Progrès exprime la quintessence de cette réaction morbide et légitimée, comme si l'acceptation de la mort rendait la mort plus acceptable.
Les lignes des valeurs bougent tellement que la nouveauté exprimé par le spatialisme renvoie aux oubliettes de l'histoire, vers la réaction claire et nette, des valeurs qui auraient tant aimé se présenter comme avant-gardistes et qui ne sont jamais que désuètes et déphasées. Peut-être que l'aventure spatiale donnera lieu à des impérialismes planétaires, où certains régimes planétaires décideront de dominer d'autres régimes. Des formes impérialistes se mettraient en place autour d'un système solaire, si d'aventure un tyran ou une oligarchie prenaient la tête d'un régime planétaire et décidaient, forts de leur supériorité matérielle, d'assujettir les autres planètes à leur domination. Dans cette configuration, la résurgence de l'impérialisme et du colonialisme classiques serait inéluctable, quoique promise à une certaine limite (ce qui est impérialiste est figé, l'anti-impérialisme est dynamique).
Mais l'aventure spatiale fait évoluer l'impérialisme en ce que la prochaine domination ne se situe plus entre l'homme et lui-même, mais entre l'homme et l'espace. L'homme doit impérialiser l'espace, l'homme doit coloniser l'espace. Plus l'espèce. L'utilisation de forces limitées mais créatrices (innovatrices) pour dominer l'espace propulse l'appétit de domination vers une nouvelle configuration, qui capte l'homme dans la confrontation avec l'étranger autant qu'étrange : l'espace. Dans la mentalité spatialiste, l'impérialisme spatialiste implique que l'homme spatialise l'impérialisme - et impérialise l'espace, tout du moins jusqu'à ce qu'il le domine suffisamment pour s'en prendre à ses congénères, ce qui prendra bien quelques siècles.
Pourquoi l'Afrique sera-t-elle la tête de proue du spatialisme? Pourquoi la mère de l'homme est-elle appelée à devenir sa fille? Pas à cause du clin d'œil - l'origine qui devient l'avenir. Pour une raison précise : les religions polythéistes sont nées en Afrique. Le transcendantalisme est né en Afrique. Le nihilisme est né en Afrique. Le nihilisme n'est pas né suite au transcendantalisme. Il lui est consubstantiel. Le transcendantalisme constitue une réponse au défi du nihilisme atavique.
L'homme des limbes découvre que s'il ne propose pas un projet croissant, il va décroître - disparaître. Nous en sommes à un carrefour : soit l'homme opte pour le déclin, légitimé sous le terme de décroissance; soit il tient la mondialisation pour un processus aussi inéluctable que continu - et il s'envole vers l'espace. Seul l'Africain peut réaliser ce projet vital pour les intérêts humains, en ce que la configuration religieuse est identique à celle qui marquait les débuts de l'homme : le spatialisme est une configuration politique dont l'identité religieuse correspond à une nouvelle forme religieuse qui reproduit la position de l'homme des débuts.
J'ai nommé cette forme religieuse le néanthéisme par opposition à toute forme nihiliste - en particulier la forme moderne de l'immanentisme (aujourd'hui terminal). Dans le transcendantalisme, une forme d'immobilisme s'instaure parce que le religieux renvoie au même quand le sensible est entendu comme l'autre. Dans ce schéma, il convient que le changement soit la partie dégradée et que le tout représente une certaine forme de permanence définie comme l'éternité. Dès lors, cette configuration n'est possible que dans une représentation du réel où l'étranger extérieur est ouvert au point de suggérer qu'il est infini et inépuisable.
Dans le schéma monothéiste qui succède au polythéisme, ce n'est pas l'abolition du transcendantalisme, mais son évolution qui est à l'œuvre. Malgré les freins au changement qu'il implique, le polythéisme voit peu à peu le changement survenir : l'homme poursuit le processus de globalisation qui le voit quitter sa tribu originelle et parvenir vers des formes politiques où la rationalité se combine à la territorialité. C'est en sa forme moderne l'État-nation. Cette phase historique traduit le bouleversement qui conduit à la crise religieuse du polythéisme.
Le transcendantalisme lui survit, mais en s'adaptant, avec la forme du monothéisme. Le polythéisme correspondait à la pluralité des hommes, quand le monothéisme sanctionne l'unification progressive de l'homme. C'est un changement considérable, où le transcendantalisme s'adapte au processus qu'il a à la fois initié et en même temps ralenti - jusqu'à parfois vouloir le stopper carrément. La transition inéluctable entre polythéisme et monothéisme sanctionne aussi le besoin de changement religieux, qui est carencé, voire trop absent du polythéisme. Dans le renversement monothéiste, l'unité du divin s'obtient grâce à l'opposition inversée du même et de l'autre : l'autre est le divin, le même est le sensible.
Dans ce renversement fort peu nietzschéen (au point que Nietzsche chercha un fantasmatique secours dans le recours au polythéisme prémonothéiste compris comme dionysiaque, soit explicitement nihiliste en antipolythéiste à l'examen), le changement se trouve sacralisé et permet de mener l'homme aux limites de la Terre, à un point de virtualité où l'homme se trouve pris entre deux possibles : soit en revenir à une conception finie et statique qui prend pour nom l'impérialisme et qui décroît doucement; soit croîtr evers l'espace.
C'est dans ce contexte de crise du sens et de crise religieuse que survient l'immanentisme, qui n'est jamais que la forme perfectionnée du nihilisme antique (dont on aperçoit le museau lors de la crise amenant le monothéisme). L'immanentisme profite de la crise religieuse qui affecte l'ensemble du transcendantalisme et qui réclame rien moins qu'un passage du transcendantalisme vers le néanthéisme. Dans cette ouverture, le néanthéiste se trouve dans la même position que le polythéiste originel face au monde qui s'ouvrait à lui.
De nouveau, l'espace offre la configuration d'un même qui reste à conquérir et à humaniser. Les différences sont de taille, puisque le néanthéisme suppose le remplacement de l'Être par le non-être et la reconnaissance que le non-être appartient autant au réel que l'être. L'espace étrange et étrange devient humanisable parce que la définition de l'espace se trouve humanisable avec l'appropriation du non-être et la révélation qu'il existe un réel qui n'est pas réductible à l'ordre de l'être et qui pourtant peut être conquis par l'homme.
Sans cette évolution religieuse, l'homme ne peut s'emparer d'un horizon qui lui est étranger. Dans la mentalité immanentiste, le non-être existe, en tant que néant pur et positif. Il est strictement antagoniste à l'ordre de l'être. Rien ne sert de conquérir l'espace qui est l'espace du néant. Mieux vaut décroître. C'est la mentalité africaine profondément ancrée dans la vision polythéiste de l'Être/même qui offre le plus de possibilités pour proposer un nouvel horizon et quitter les limites intenables du monde actuel.
Comme l'Africain a été exclu de l'histoire occidentaliste depuis l'esclavage et la colonisation, il est d'une certaine manière cet homme potentiellement neuf, non pas qu'il ne soit pas corrompu par la mentalité oligarchique, mais qu'il soit ouvert au changement. Au moment où l'Occident se sclérose et devient imperméable au changement, miné par la mentalité immanentiste, la mue ne peut advenir que de la culture qui est le plus aux antipodes de l'immanentisme occidental. C'est la terre qui est le plus détruite par l'Occident qui a le plus de chance d'incarner la relève à cet Occident décadent, moribond et détestable. C'est l'Afrique qui incarne l'homme de demain.
Le dirigeant nationaliste nord-américain (et jamaïcain) Marcus Garvey avait raison à sa manière : « Peut-on le faire ? Nous pouvons le faire ! Nous le ferons ! ». C'est ce même visionnaire qui plus afro-nationaliste que rastafarien avait lancé : « Lève-toi, race puissante, accomplis ce que tu désires ». Garvey ne se doutait pas que l'avenir de l'Afrique ne se trouvait pas en Afrique (mythe du retour impossible et réactionnaire), mais dans l'espace. Garvey gardait une vision réductrice où l'esclavage et le colonialisme étaient les calamités dont l'homme noir ne pouvait s'échapper qu'en retournant dans la terre de ses ancêtres, la symbolique autant que mythique Éthiopie. De ce point de vue, Garvey avait tort. Ce n'est pas en Afrique que l'homme accomplira sa renaissance. C'est dans l'espace.

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