« Moi je les aime bien, mais je ne les adore pas. »
Montaigne, Essais, II, 12.
Je lis l'introduction d'un travail universitaire portant sur le libéralisme. Un certain Grand Professeur Lucien Jaume nous présente ses réflexions de toute une vie sur le libéralisme. De production d'idées, il n'y aura point, si tant est qu'on soit en droit d'attendre d'un Spécialiste de haut niveau de la philosophie politique, spécifiquement du libéralisme, une réflexion critique et personnelle - créatrice. Jaume nous assaille de références ultra-savantes sur d'éminents penseurs qui se sont, de près ou de loin, penchés sur l'analyse de la liberté. C'est toujours la même histoire (rengaine) avec les penseurs universitaires : ce sont des perroquets savants.
Des roquets savants? Jaume nous explique que face à la crise du libéralisme, il serait temps de se débarrasser (plus que moins) du libéralisme économique inspiré par Hume et sa suite et d'en revenir aux fondamentaux du libéralisme politique. Jaume se rend-il compte qu'il nous refait le coup des penseurs néo-marxistes qui après l'effondrement irrémédiable du communisme (et des pensées collectivistes liées à Marx) prétendaient dans la pompe et la morgue en revenir au vrai Marx et distinguer entre les travaux tout à fait valables de la pensée marxienne et les productions périmées du marxisme, soit de l'idéologie économique qui a faussé la pensée du génial fondateur?
Jaume établit une duplication hallucinatoire entre le vrai libéralisme théorique et le faux libéralisme, l'application pratique. Laissons l'éminent Jaume à son érudition impeccable. Que vaut cet trésor de savoir? Rien, trois fois rien. Des milliers d'heures de lectures, de réflexions, à partir de et sur. Point d'idée originale, que des reprises d'idées étrangères et passées. Quand on sait que ce sont les idées qui demeurent, on se prend à lutter contre le vertige : serait-il concevable que ces universitaires soient des érudits, avec ce que ce terme comporte de maîtrise impressionnante (Pic de la Mirandole), mais aussi de bêtise drolatique (les ineffables Bouvard et Pécuchet en vitrine)?
Si l'on prend le cas de l'impressionnant Pic de la Mirandole, il ne s'agit pas de constater que notre érudit se situait encore une époque où le savoir n'était pas aussi étendu que maintenant. On pouvait du coup prétendre maîtriser ensemble du savoir. Cette seule remarque suffit à produire une sévère critique de ce savoir conçu comme un donné et qui finit morcelé - peau de chagrin étriquée. Sans remettre en question les dons intellectuels admirables de Pic, ni oublier qu'il fut l'objet de la haine des cercles oligarchiques de Florence (il serait mort d'un complot, par empoisonnement), constatons que le rêve syncrétique, voire œcuménique de Pic de réaliser la synthèse entre le platonisme, l'aristotélisme et la christianisme accouche d'une souris.
Contrairement à des créateurs d'idées, Pic n'a rien produit, même s'il aura été un inspirateur et un modèle pour des créateurs admirables comme Pascal. Tragédie du savant Pic : le drame dans cette reconnaissance de l'académisme, c'est qu'elle s'accompagne de la médiocrité consumée et consommée. Médiocrité travestie en excellence, soit médiocrité qualitative camouflée en excellence quantitative. On ne remplace pas l'être par l'avoir, l'infini par le fini. Qui se souviendra des travaux de l'ultra-diplômé et ultra-académiste Jaume d'ici cinquante ans? Personne. Dans le domaine des idées, cette disproportion entre la reconnaissance sociale et l'importance idéelle donne à réfléchir. Le modèle académique et universitaire qu'on nous présente comme l'excellence intellectuelle serait-il une vaste duperie faisandée?
Si la réponse se situe dans l'affirmative, elle ne diffère guère des modèles passés. L'académisme le plus impressionnant n'est jamais que l'excellence dans la répétition. La répétition ne dépasse guère le cadre de la pétition - de principe. Cette constatation n'implique pas qu'aucune création n'existe au sein des cercles académiques. Simplement, elle se révèle ardue et peut-être presque impossible si l'on songe que l'académisme instaure le règne du prévisible. Créer au sein de la mouture académique anti-créatrice et stéréotypée est l'exercice de création le plus ardu qui soit. En matière de savoir, le prévisible débouche sur le prolongement du savoir passé, dans une conception anti-dynamique et finalement entropique de la pensée.
La formule célèbre de Montaigne sanctionne l'inclination de son époque pour le retour à l'Antiquité sous prétexte d'humanités. Nous en sommes restés à ce stade et sans doute l'avons-nous toujours été. L'académisme des universités sanctionne une démarche anti-créatrice, qui consiste à évaluer un objet préalablement défini avec rigueur et satisfaction. Du coup, on ne reconnaît l'excellence que dans le mimétisme et la répétition. Un Jaume n'est que l'illustration à la fois admirable et consternante de cette perversion du savoir, qui devient littéralement pensée gelée et congelée, ainsi que le dénonçait Rabelais.
Ils sont des dizaines et des centaines à illustrer ce glissement de sens de l'idée créatrice vers la simple répétition d'idées passées et du coup dépassées. Principe de la différance identitaire : démultiplier jusqu'à l'éclatement de responsabilité le quantitatif pour compenser (sans y parvenir) la ruine du qualitatif. Le règne des experts commence dans cette hypertrophie de l'académisme et le prestige du modèle universitaire. On peut englober dans la catégorie de l'Expert (de la maison mère) les modèles de l'intellectuel contemporain (dont Sartre est la figure de proue, BHL la figure dégénérée terminale) et de l'historien des sciences humaines. Dans tous les cas, il s'agit de faire croire que la pensée créatrice équivaut à la maîtrise impressionnante d'un savoir fini, défini et passé. Oubliant que la vraie différence, la vraie originalité tient dans le changement de paradigmes, les académistes ont promu un modèle trompeur et enjôleur dans lequel ils brillent d'un prestige social au nom de leurs diplômes pseudo-intellectuels.
Comment appelle-t-on un professeur? Un répétiteur. Il n'est pas question de critiquer le professeur qui occupe le rôle important de l'éducateur. Mais la démarche professorale est de répéter. L'arnaque intervient quand le répétiteur passe pour créateur. Exemple? Le professeur de littérature enseigne l'histoire de la littérature. Il travaille dans le passé littéraire. Il est rare de confondre le professeur de littérature et l'écrivain. Pourquoi confond-on le philosophe et le professeur de philosophie? Les historiens des sciences humaines avec des penseurs de ces matières (si tant et que ces matières accouchent d'idées véritables et profondes, ce dont je doute au vu de leur démarche)?
La duperie à propos de la création ( et de sa confusion avec la répétition de type académique) se manifeste dans le cadre de la pensée. C'est éloquent, cette confusion : confondre le philosophe avec l'historien de la philosophie, c'est confondre tout simplement la création d'idée avec la répétition d'idée. Un brillant répétiteur est un répétiteur. Jamais un créateur. Si l'on prend la mentalité courante de nos société contemporaines du modèle immanentiste, on considère que c'est l'excellence mimétique et répétitrice qui accouche de la création.
Dans cette mentalité oligarchique où la fixité et la finitude constituent la norme, le professeur de base (la majorité des répétiteurs du modèle académique) est considéré comme un automate, à la suite d'une conception selon laquelle le répétiteur répète purement et simplement. On élabore une hiérarchie dénaturée et rationnellement fausse dans laquelle l'excellence professorale débouche sur l'élitisme social : la caste des excellents répétiteurs universitaires. Le professeur universitaire incarne cette excellence intellectuelle dans laquelle la répétition bénéficie d'un prestige considérable et souvent disproportionné. Et surtout cette répétition engendrerait dans l'excellence la création.
Rien n'est manifestement plus faux. Un Jaume nous fournit une indication précieuse, de cette excellence académique stérile et dépareillée, en désaccord avec la valeur exacte de ses idées (vides). L'on pourrait multiplier les exemples de ces grandes réussites universitaires qui non seulement en restent à l'excellence répétitrice, mais encore ajoutent à cette excellence académique dénaturée, quoique honnête la prétention arrogante et mensongère d'un certain statut social (nullement en rapport lucide avec la qualité intellectuelle). Que l'on songe aux supercheries dont nous affublent les normaliens et les énarques, ces modèles d'excellence académique, à tel point qu'ils passent de plus ne plus, fort justement, pour des pédants parfois stupides et parfois malhonnêtes.
Je ne citerai que le cas consternant et attristant de BHL, l'intellectuel sur-médiatique qui abonde en inventions préfabriquées et mensongères et qui essaye encore de faire croire à personne, soit à lui seul, qu'il est un intellectuel authentique (soit une dégénérescence-reconnaissance du penseur en engagé), non un propagandiste authentifié. Dans cette conception où le professeur est fondamentalement un automate, soit un répétiteur absolu, et quasiment un esclave objet de savoir, le professeur de haut rang, celui qui possède les diplômes académiques et la reconnaissance sociale, passe pour le créateur.
Force est de constater qu'il n'en est rien. A une époque où la mentalité oligarchique mondialiste explose et commence à se trouver identifiée, le professeur d'excellence occupe une fonction qui est démystifiée. Cette approche du professeur-automate débouche sur de graves dérives, comme les résultats catastrophiques de l'Éducation nationale soi-disant républicaine et soi-disant égalitariste. En haut de cette pyramide du savoir, si indicative du niveau exact des idées propagées, les répétiteurs sont des érudits (au mieux) et des pédants (trop souvent) qui ne présentent aucune idée et qui se contentent de briller sur du passé dépassé.
Du passé faisons table rase - ce pourrait être avec une certaine injustice le slogan d'un créateur. Du passé faisons notre miel : slogan d'un répétiteur non créateur. Cette mentalité répétitrice et fixe correspond dans le domaine des idées et de la création artistique à la mentalité oligarchique politique. C'est quand on se meut dans un univers stable, inchangé et fini que l'on conçoit la création comme l'excellence de la répétition - la summum de la répétition.
Dans la mentalité oligarchique, les idées sont traitées comme la matière : on les exploite dans un rapport de domination et l'on considère que la plupart des acteurs servent pour le bénéfice d'une petite minorité d'éclairés. C'est le schéma marchand et fort peu intellectuel des grands propriétaires terriens de la Rome antique. Au final, on se retrouve avec des terres dévastées et stériles. Idem pour le domaine des idées et de la création artistique : si vous concevez les idées comme une terre à exploiter, vous en ressortez avec des idées répétitives et stériles, des fausses idées, des parodies d'idées - le symptôme de cette confusion tient dans l'hallucination entre le philosophe dépositaire des idées et le professeur de philosophie qui enseigne l'histoire de la philosophie, qui n'est pas philosophe et qui est incapable de pondre la moindre idée.
Tel est l'état actuel des professeurs en Occident, où la plupart sont des répétiteurs objectivés et aveugles et où la crème des répétiteurs se repaît dans une conception où la reconnaissance académique signifie l'excellence créatrice. Malheureusement, l'excellence mimétique diffère du tout au tout de l'excellence répétitrice. Heureusement pour l'homme, malheureusement pour la soif de domination qui accompagne l'appétit de savoir fort peu intellectuel, et fort politique, ainsi que l'avait remarqué l'immanentiste tardif et dégénéré Nietzsche, cette approche stérile va s'effondrer bientôt, avec la mentalité oligarchique qui porte le système impérialiste occidental, dont l'excellence quantitative accouche d'une souris qualitative.
Au crépuscule de cette idole travestie en excellence, cet astre noir se présentant comme un soleil luisant et fécond, il serait temps de ne pas s'en tenir aux mensonges superficiels, mais de constater que dès le départ, dès l'origine, au commencement, la conception académique est fausse quand elle prétend amalgamer excellence répétitive et création. Jaume et tous ses clones (car la répétition engendre le clonage quasi indéfini et irresponsable) ne créeront jamais le moindre petit iota d'idée parce qu'ils en sont incapables. Ils produisent des présentations fort rigoureuses et très méthodiques des idées du passé. Au passage, l'apologie de la rigueur traduit la soif scientiste d'objectiver l'idée, soit de détruire la création en la réduisant à de la répétition passée. Ils répètent avec une science consommée parce qu'il est plus facile de répéter que de créer. Il est plus facile d'emmagasiner du donné que de changer ce donné.
Le problème avec cette conception, c'est qu'elle détruit. Elle détruit parce que l'homme ne peut se maintenir dans un monde stable et fixe, comme les autres espèces animales. L'homme a besoin sans cesse de progresser pour demeurer dans la pérennité et la viabilité. Si l'homme ne change pas, il décroît. Soit dit en passant, la promotion actuelle éhontée de la décroissance, pour des motifs pseudo-écologiques, est un symptôme de propagande mortifère et suicidaire. La mentalité de l'excellence académique est fausse à partir du moment où elle prétend remplacer et expliquer la création.
Dès lors, on glisse d'un académisme identifié et assumé à une parodie de création qui détruit la création et qui de ce fait empêche le changement et la pérennité du fonctionnement humain. On peut sans exagérer parler de conception viciée et pernicieuse dès les fondements de cet académisme pervers et dévoyé, qui mène vers la stérilité créatrice dans un premier temps, puis vers la destruction de toute forme de vie humaine par la suite. L'académisme créateur est une perversion de la création et n'est pas une mentalité limitée, d'envergure isolée - à des cercles intellectualistes et gourmés peu représentatifs des sociétés. Cette mentalité (au sens où la mentalité ne ressortit pas de la volonté aveugle ou complotiste) est au contraire représentative de la mentalité générale qui gouverne la société actuelle, singulièrement dans l'Occident dominant-décroissant : l'oligarchie politique, l'impérialisme, le nihilisme - l'immanentisme.
Cette conception repose sur le mensonge qui est au fondement de l'immanentisme. Suite aux découvertes de la science expérimentale moderne, l'homme a cru qu'il pouvait remplacer le divin transcendantaliste. C'est la conception de l'immanentiste idéaliste tardif et dégénéré Nietzsche, selon lequel le seul moyen de sauver l'homme consiste à instaurer une révolution ontologique dans lequel l'homme mute en Surhomme, soit en créateur de ses propres valeurs. Dieu est mort, il a été assassiné, répète Nietzsche (à la suite de Hegel), proposant comme modèle de substitution Dionysos.
Quelle est cette erreur fondamentale, ce vice à la racine qui fausse le raisonnement académiste? C'est une conception de la création qui ressortit de l'illusion nihiliste. Le propre d'un créateur est d'estimer que la dynamique du changement implique que sa création soit partie du réel. Au contraire l'académiste qui se prend pour le créateur estime avec hallucination qu'il n'est pas un singulier créateur, mais selon la propre proposition de Nietzsche, le créateur en remplacement du Créateur.
Le Créateur symbolise la totalité du réel, quand le créateur ne peut jamais qu'exprimer une certaine partie de ce réel. C'est tout le problème de Nietzsche qui conçoit avec sa mentalité frelatée d'immanentiste tardif et dégénéré (le caractère dégénéré de Nietzsche ressort notamment de son exaltation maniaque) la réaction humaine comme le substitut adéquat de la Création divine dépassée et superstitieuse. Le propre de l'académiste qui se prend pour créateur ne se limite pas à la boursouflure dépareillée et disproportionnée de ses écrits. Tout le fondement de son rapport au réel s'en trouve affecté.
Cet académiste perverti s'imagine être créateur du fait de son excellence. Malheureusement, il ne crée rien. Ce qu'il prend pour de la création s'apparente à de la récréation stérile et inutile, transposée en un milieu clos, fixe, figé, fini (le monde universitaire). Une étrange exhalation de mort empeste l'atmosphère viciée et vicieuse de notre brillant académiste. L'académiste de type universitaire comme un Jaume opère une critique blanche qui critique sans jamais critiquer en ce qu'elle prend son donné de matière critiquable pour le tout du réel. On ne peut critiquer que des parties, jamais l'ensemble.
La critique académiste présente son erreur de fond, son erreur insurmontable et monumentale (comme ses productions grandiloquentes et vaines) : prendre la partie pour le tout. Dans le domaine de la pensée, cette erreur théorique n'est pas seulement impardonnable. Elle condamné définitivement la pensée. Comment penser un objet qui est impensable? Comment penser le tout? L'effort premier de définition implique que l'on segmente et que l'on finitudise. En l'occurrence, la définition est impossible. La pensée est impossible.
L'impossible est la catégorie symptomatique qui définit le nihilisme. La pensée académique est ainsi condamnée à se dépenser sans penser. C'est un terrible aveu d'échec en même temps qu'une preuve d'impuissance. Aucune créativité n'est possible dans le cercle vicieux et damné de cette démarche. Aucune création : c'est ce que montrent les productions académiques qui sont condamnées à n'être que des répétitions dénuées de création. Comprend-on pourquoi on recrute les propagandistes médiatique dans les cercles de l'excellence académique (en France, la rue d'Ulm offre un réservoir de choix de cette confusion impertinente entre l'excellence académique et la création)?
Pas étonnant que les professeurs pas toujours excellents et toujours sur-diplômés des milieux universitaires traduisent la faillite de ce qu'ils représentent : la création reconnue et institutionnalisée présentée comme création continue. Dans le fond, nos intellectuels universitaires sont les représentants de l'échec de la pensée. La pensée joue le rôle de la théorie esthétique, qui même si elle n'est pas explicitée en idée se trouve au départ de toute démarche de création, en particulier artistique. Il est temps de lutter contre l'académisme : pas contre le rôle du répétiteur de savoir qui transmet son savoir et reconnaît que son rôle, même excellent, se borne à la transmission. Pas contre l'académisme assumé. Contre la mutation de ce répétiteur en créateur. Contre l'académisme oxymorique.
Face à ce déni et à ce mensonge, il est temps de montrer que l'imposture est identifiée : nous sommes face à l'aspect intellectuel de la mentalité nihiliste. Qu'est-ce qu'un artiste nihiliste? En gros, il correspond à la description de la mutation artistique telle que Hegel l'annonce : l'artiste conçoit désormais l'idée de l'art. Nietzsche, qui est à sa manière un hégélien exacerbé et postromantique, a défini l'artiste immanentiste : c'est celui qui crée ses valeurs. Et qu'est-ce que la pensée dans ce monde donné et statique?
C'est une entreprise de savoir clos et fermé, qui dégénère sur une répétition quasi maniaque : le créateur de valeurs ne crée rien puisqu'il ne fait que reprendre un agencement qui est fini et qui est déjà produit. Raison pour laquelle ceux qui jouent et assument le rôle de créateur immanentiste sont répétitifs. Ils créent de la répétition. Ils récréent. Ils ne créent rien. Cas d'un Rosset, qui répète en bon élève de la rue d'Ulm, de l'agrégation de philosophie et des autres diplômes prestigieux Spinoza et Nietzsche et qui s'inspire de la démarche de son glorieux ancêtre Gorgias.
Les sophistes traduisent ce moment où la création et la pensée basculent vers le nihilisme : quand on est un créateur nihiliste, un penseur nihiliste, on est un érudit, un savant, un rhéteur, bref un répétiteur de l'excellence, qui n'invente rien et qui ne produit rien de nouveau, d'original, de changeant. C'est contre cette duperie qu'il faut s'élever, car l'approche académique de la création artistique et de la pensée réduit la création à de la répétition et détruit ce qui permet à l'homme de vivre. Le parachèvement de cette entreprise mortifère se situe dans l'approche de la création et sa subversion en objet de savoir donné et défini une bonne fois pour toutes.
C'est la raison pour laquelle l'oligarchisme et l'impérialisme ne sont pas des données seulement politiques, mais infectent l'ensemble des valeurs humaines. A ce titre, l'on peut intégrer l'impérialisme et l'oligarchisme dans la mentalité nihiliste moderne (l'immanentisme) qui ne fonctionne pas en complot mais achève de congeler l'homme en finissant par sa spécificité : la pensée. L'homme crée par la pensée. La pensée est présente dans la création comme le fondement et le processus finaliste.
En transformant la pensée en un donné antidynamique (au sens platonicien) et statique, l'académisme pervers et pseudo-créateur espère transformer le réel à l'image de son désir. Prendre ses désirs pour des réalités, prendre la partie pour le tout : l'académisme présente bien les caractéristiques du déni immanentiste. Mais cette démarche de déni viscéral ne peut déboucher que sur l'erreur, voire la folie : car non seulement on ne produit rien en produisant quantitativement beaucoup (le châtiment par excellence de l'académiste forcené et besogneux qui croit créer en abondant dans son pédantisme), mais le seul changement auquel on parvient est de détruire.
La création immanentiste correspond à la destruction (antagonisme entre le réel et le néant). Dans cette conception dévoyée et misérable, la figure aberrante de l'académiste créateur permet de faire passer la destruction pour de la création. Nous nous mouvons dans un monde dément où la décroissance passe pour l'avenir de la croissance et pour la nécessaire mutation politique vers le format écologique. Dans ce monde de pur rapport de forces et de domination, l'impérialisme est omniprésent. L'impérialisme de la pensée est cet académisme creux, élitiste, inégalitariste, à l'image d'un Gorgias durant la crise sophiste et à l'image des postmodernes de nos jours qui, tous sans exception, sont des progressistes pervers, adhérant à l'inégalitarisme, l'élitisme et l'impérialisme, en particulier dans ce qu'ils prennent pour leur entreprise de création.
Cette excellence académique est une excellence de médiocre. Non seulement la pensée est à l'origine de la création mais l'incapacité de l'académiste immanentiste à intégrer la création en termes dynamiques le condamne à passer à côté de l'essentiel en dressant un éloge irrationnel et désaxé du superficiel : le brillant, le clinquant, l'artifice. Qu'est-ce qu'un académiste? Son pire châtiment est d'être le raté de l'excellence. Pour le cerner d'une fable, je ne résiste pas au plaisir de citer l'anecdote du virtuose du lancer de pois récompensé comme de juste par Alexandre : "Tel ce personnage que Quintilien et Montaigne nous livrent comme exemple de parfaite ineptie, qui réussissait à enfiler de loin les pois chiches sur une aiguille et dont Alexandre le Grand récompensa, dit-on, la virtuosité par le cadeau d'un boisseau de pois chiches - cadeau dont l'ironie évidente, relevée par tous les commentateurs, ne doit point voiler le caractère profondément pertinent et approprié : car ces pois offerts par le roi, qui pourront du moins servir de matériaux aux futurs exercices d'entrainement du champion constituent le seul don qui soit réellement profitable à un homme qui voit, dans l'adresse au lancer de pois, la principale utilité de la vie. Les variantes de cet égarement sont innombrables et semblent toujours traduire un désir inconscient de compenser le défaut de réussite même modeste, dans un domaine reconnu comme intéressant, par une action d'éclat singulière et d'autant plus irrécusable que, n'intéressant personne, elle ne risque guère d'être contestée par quiconque."
Citation tirée des Principes de sagesse et de folie de Clément Rosset. L'ironie est que Rosset se moque du virtuose de lancer de pois sans se rendre compte que l'ironie s'adresse en premier lieu à son endroit, soit aux sophistes nihilistes qui croient créer dans la mesure où ils répètent un savoir donné et gelé (même impressionnant et virtuose). Rosset est ce virtuose du savoir qui crée de manière nihiliste, soit qui détruit et qui répète.
La morale de cette morale : Il est tout à fait conséquent de récompenser l'excellence par l'excellence. La médiocrité par l'excellence? Alexandre a cerné le virtuose médiocre. Il l'a récompensé comme de juste : de la plus prodigue des manières. De la plus stupide aussi. Tel est le profil psychologique et intellectuel de l'académiste créateur : un Bouvard, un Pécuchet, un Deleuze, un Gorgias.
Montaigne, Essais, II, 12.
Je lis l'introduction d'un travail universitaire portant sur le libéralisme. Un certain Grand Professeur Lucien Jaume nous présente ses réflexions de toute une vie sur le libéralisme. De production d'idées, il n'y aura point, si tant est qu'on soit en droit d'attendre d'un Spécialiste de haut niveau de la philosophie politique, spécifiquement du libéralisme, une réflexion critique et personnelle - créatrice. Jaume nous assaille de références ultra-savantes sur d'éminents penseurs qui se sont, de près ou de loin, penchés sur l'analyse de la liberté. C'est toujours la même histoire (rengaine) avec les penseurs universitaires : ce sont des perroquets savants.
Des roquets savants? Jaume nous explique que face à la crise du libéralisme, il serait temps de se débarrasser (plus que moins) du libéralisme économique inspiré par Hume et sa suite et d'en revenir aux fondamentaux du libéralisme politique. Jaume se rend-il compte qu'il nous refait le coup des penseurs néo-marxistes qui après l'effondrement irrémédiable du communisme (et des pensées collectivistes liées à Marx) prétendaient dans la pompe et la morgue en revenir au vrai Marx et distinguer entre les travaux tout à fait valables de la pensée marxienne et les productions périmées du marxisme, soit de l'idéologie économique qui a faussé la pensée du génial fondateur?
Jaume établit une duplication hallucinatoire entre le vrai libéralisme théorique et le faux libéralisme, l'application pratique. Laissons l'éminent Jaume à son érudition impeccable. Que vaut cet trésor de savoir? Rien, trois fois rien. Des milliers d'heures de lectures, de réflexions, à partir de et sur. Point d'idée originale, que des reprises d'idées étrangères et passées. Quand on sait que ce sont les idées qui demeurent, on se prend à lutter contre le vertige : serait-il concevable que ces universitaires soient des érudits, avec ce que ce terme comporte de maîtrise impressionnante (Pic de la Mirandole), mais aussi de bêtise drolatique (les ineffables Bouvard et Pécuchet en vitrine)?
Si l'on prend le cas de l'impressionnant Pic de la Mirandole, il ne s'agit pas de constater que notre érudit se situait encore une époque où le savoir n'était pas aussi étendu que maintenant. On pouvait du coup prétendre maîtriser ensemble du savoir. Cette seule remarque suffit à produire une sévère critique de ce savoir conçu comme un donné et qui finit morcelé - peau de chagrin étriquée. Sans remettre en question les dons intellectuels admirables de Pic, ni oublier qu'il fut l'objet de la haine des cercles oligarchiques de Florence (il serait mort d'un complot, par empoisonnement), constatons que le rêve syncrétique, voire œcuménique de Pic de réaliser la synthèse entre le platonisme, l'aristotélisme et la christianisme accouche d'une souris.
Contrairement à des créateurs d'idées, Pic n'a rien produit, même s'il aura été un inspirateur et un modèle pour des créateurs admirables comme Pascal. Tragédie du savant Pic : le drame dans cette reconnaissance de l'académisme, c'est qu'elle s'accompagne de la médiocrité consumée et consommée. Médiocrité travestie en excellence, soit médiocrité qualitative camouflée en excellence quantitative. On ne remplace pas l'être par l'avoir, l'infini par le fini. Qui se souviendra des travaux de l'ultra-diplômé et ultra-académiste Jaume d'ici cinquante ans? Personne. Dans le domaine des idées, cette disproportion entre la reconnaissance sociale et l'importance idéelle donne à réfléchir. Le modèle académique et universitaire qu'on nous présente comme l'excellence intellectuelle serait-il une vaste duperie faisandée?
Si la réponse se situe dans l'affirmative, elle ne diffère guère des modèles passés. L'académisme le plus impressionnant n'est jamais que l'excellence dans la répétition. La répétition ne dépasse guère le cadre de la pétition - de principe. Cette constatation n'implique pas qu'aucune création n'existe au sein des cercles académiques. Simplement, elle se révèle ardue et peut-être presque impossible si l'on songe que l'académisme instaure le règne du prévisible. Créer au sein de la mouture académique anti-créatrice et stéréotypée est l'exercice de création le plus ardu qui soit. En matière de savoir, le prévisible débouche sur le prolongement du savoir passé, dans une conception anti-dynamique et finalement entropique de la pensée.
La formule célèbre de Montaigne sanctionne l'inclination de son époque pour le retour à l'Antiquité sous prétexte d'humanités. Nous en sommes restés à ce stade et sans doute l'avons-nous toujours été. L'académisme des universités sanctionne une démarche anti-créatrice, qui consiste à évaluer un objet préalablement défini avec rigueur et satisfaction. Du coup, on ne reconnaît l'excellence que dans le mimétisme et la répétition. Un Jaume n'est que l'illustration à la fois admirable et consternante de cette perversion du savoir, qui devient littéralement pensée gelée et congelée, ainsi que le dénonçait Rabelais.
Ils sont des dizaines et des centaines à illustrer ce glissement de sens de l'idée créatrice vers la simple répétition d'idées passées et du coup dépassées. Principe de la différance identitaire : démultiplier jusqu'à l'éclatement de responsabilité le quantitatif pour compenser (sans y parvenir) la ruine du qualitatif. Le règne des experts commence dans cette hypertrophie de l'académisme et le prestige du modèle universitaire. On peut englober dans la catégorie de l'Expert (de la maison mère) les modèles de l'intellectuel contemporain (dont Sartre est la figure de proue, BHL la figure dégénérée terminale) et de l'historien des sciences humaines. Dans tous les cas, il s'agit de faire croire que la pensée créatrice équivaut à la maîtrise impressionnante d'un savoir fini, défini et passé. Oubliant que la vraie différence, la vraie originalité tient dans le changement de paradigmes, les académistes ont promu un modèle trompeur et enjôleur dans lequel ils brillent d'un prestige social au nom de leurs diplômes pseudo-intellectuels.
Comment appelle-t-on un professeur? Un répétiteur. Il n'est pas question de critiquer le professeur qui occupe le rôle important de l'éducateur. Mais la démarche professorale est de répéter. L'arnaque intervient quand le répétiteur passe pour créateur. Exemple? Le professeur de littérature enseigne l'histoire de la littérature. Il travaille dans le passé littéraire. Il est rare de confondre le professeur de littérature et l'écrivain. Pourquoi confond-on le philosophe et le professeur de philosophie? Les historiens des sciences humaines avec des penseurs de ces matières (si tant et que ces matières accouchent d'idées véritables et profondes, ce dont je doute au vu de leur démarche)?
La duperie à propos de la création ( et de sa confusion avec la répétition de type académique) se manifeste dans le cadre de la pensée. C'est éloquent, cette confusion : confondre le philosophe avec l'historien de la philosophie, c'est confondre tout simplement la création d'idée avec la répétition d'idée. Un brillant répétiteur est un répétiteur. Jamais un créateur. Si l'on prend la mentalité courante de nos société contemporaines du modèle immanentiste, on considère que c'est l'excellence mimétique et répétitrice qui accouche de la création.
Dans cette mentalité oligarchique où la fixité et la finitude constituent la norme, le professeur de base (la majorité des répétiteurs du modèle académique) est considéré comme un automate, à la suite d'une conception selon laquelle le répétiteur répète purement et simplement. On élabore une hiérarchie dénaturée et rationnellement fausse dans laquelle l'excellence professorale débouche sur l'élitisme social : la caste des excellents répétiteurs universitaires. Le professeur universitaire incarne cette excellence intellectuelle dans laquelle la répétition bénéficie d'un prestige considérable et souvent disproportionné. Et surtout cette répétition engendrerait dans l'excellence la création.
Rien n'est manifestement plus faux. Un Jaume nous fournit une indication précieuse, de cette excellence académique stérile et dépareillée, en désaccord avec la valeur exacte de ses idées (vides). L'on pourrait multiplier les exemples de ces grandes réussites universitaires qui non seulement en restent à l'excellence répétitrice, mais encore ajoutent à cette excellence académique dénaturée, quoique honnête la prétention arrogante et mensongère d'un certain statut social (nullement en rapport lucide avec la qualité intellectuelle). Que l'on songe aux supercheries dont nous affublent les normaliens et les énarques, ces modèles d'excellence académique, à tel point qu'ils passent de plus ne plus, fort justement, pour des pédants parfois stupides et parfois malhonnêtes.
Je ne citerai que le cas consternant et attristant de BHL, l'intellectuel sur-médiatique qui abonde en inventions préfabriquées et mensongères et qui essaye encore de faire croire à personne, soit à lui seul, qu'il est un intellectuel authentique (soit une dégénérescence-reconnaissance du penseur en engagé), non un propagandiste authentifié. Dans cette conception où le professeur est fondamentalement un automate, soit un répétiteur absolu, et quasiment un esclave objet de savoir, le professeur de haut rang, celui qui possède les diplômes académiques et la reconnaissance sociale, passe pour le créateur.
Force est de constater qu'il n'en est rien. A une époque où la mentalité oligarchique mondialiste explose et commence à se trouver identifiée, le professeur d'excellence occupe une fonction qui est démystifiée. Cette approche du professeur-automate débouche sur de graves dérives, comme les résultats catastrophiques de l'Éducation nationale soi-disant républicaine et soi-disant égalitariste. En haut de cette pyramide du savoir, si indicative du niveau exact des idées propagées, les répétiteurs sont des érudits (au mieux) et des pédants (trop souvent) qui ne présentent aucune idée et qui se contentent de briller sur du passé dépassé.
Du passé faisons table rase - ce pourrait être avec une certaine injustice le slogan d'un créateur. Du passé faisons notre miel : slogan d'un répétiteur non créateur. Cette mentalité répétitrice et fixe correspond dans le domaine des idées et de la création artistique à la mentalité oligarchique politique. C'est quand on se meut dans un univers stable, inchangé et fini que l'on conçoit la création comme l'excellence de la répétition - la summum de la répétition.
Dans la mentalité oligarchique, les idées sont traitées comme la matière : on les exploite dans un rapport de domination et l'on considère que la plupart des acteurs servent pour le bénéfice d'une petite minorité d'éclairés. C'est le schéma marchand et fort peu intellectuel des grands propriétaires terriens de la Rome antique. Au final, on se retrouve avec des terres dévastées et stériles. Idem pour le domaine des idées et de la création artistique : si vous concevez les idées comme une terre à exploiter, vous en ressortez avec des idées répétitives et stériles, des fausses idées, des parodies d'idées - le symptôme de cette confusion tient dans l'hallucination entre le philosophe dépositaire des idées et le professeur de philosophie qui enseigne l'histoire de la philosophie, qui n'est pas philosophe et qui est incapable de pondre la moindre idée.
Tel est l'état actuel des professeurs en Occident, où la plupart sont des répétiteurs objectivés et aveugles et où la crème des répétiteurs se repaît dans une conception où la reconnaissance académique signifie l'excellence créatrice. Malheureusement, l'excellence mimétique diffère du tout au tout de l'excellence répétitrice. Heureusement pour l'homme, malheureusement pour la soif de domination qui accompagne l'appétit de savoir fort peu intellectuel, et fort politique, ainsi que l'avait remarqué l'immanentiste tardif et dégénéré Nietzsche, cette approche stérile va s'effondrer bientôt, avec la mentalité oligarchique qui porte le système impérialiste occidental, dont l'excellence quantitative accouche d'une souris qualitative.
Au crépuscule de cette idole travestie en excellence, cet astre noir se présentant comme un soleil luisant et fécond, il serait temps de ne pas s'en tenir aux mensonges superficiels, mais de constater que dès le départ, dès l'origine, au commencement, la conception académique est fausse quand elle prétend amalgamer excellence répétitive et création. Jaume et tous ses clones (car la répétition engendre le clonage quasi indéfini et irresponsable) ne créeront jamais le moindre petit iota d'idée parce qu'ils en sont incapables. Ils produisent des présentations fort rigoureuses et très méthodiques des idées du passé. Au passage, l'apologie de la rigueur traduit la soif scientiste d'objectiver l'idée, soit de détruire la création en la réduisant à de la répétition passée. Ils répètent avec une science consommée parce qu'il est plus facile de répéter que de créer. Il est plus facile d'emmagasiner du donné que de changer ce donné.
Le problème avec cette conception, c'est qu'elle détruit. Elle détruit parce que l'homme ne peut se maintenir dans un monde stable et fixe, comme les autres espèces animales. L'homme a besoin sans cesse de progresser pour demeurer dans la pérennité et la viabilité. Si l'homme ne change pas, il décroît. Soit dit en passant, la promotion actuelle éhontée de la décroissance, pour des motifs pseudo-écologiques, est un symptôme de propagande mortifère et suicidaire. La mentalité de l'excellence académique est fausse à partir du moment où elle prétend remplacer et expliquer la création.
Dès lors, on glisse d'un académisme identifié et assumé à une parodie de création qui détruit la création et qui de ce fait empêche le changement et la pérennité du fonctionnement humain. On peut sans exagérer parler de conception viciée et pernicieuse dès les fondements de cet académisme pervers et dévoyé, qui mène vers la stérilité créatrice dans un premier temps, puis vers la destruction de toute forme de vie humaine par la suite. L'académisme créateur est une perversion de la création et n'est pas une mentalité limitée, d'envergure isolée - à des cercles intellectualistes et gourmés peu représentatifs des sociétés. Cette mentalité (au sens où la mentalité ne ressortit pas de la volonté aveugle ou complotiste) est au contraire représentative de la mentalité générale qui gouverne la société actuelle, singulièrement dans l'Occident dominant-décroissant : l'oligarchie politique, l'impérialisme, le nihilisme - l'immanentisme.
Cette conception repose sur le mensonge qui est au fondement de l'immanentisme. Suite aux découvertes de la science expérimentale moderne, l'homme a cru qu'il pouvait remplacer le divin transcendantaliste. C'est la conception de l'immanentiste idéaliste tardif et dégénéré Nietzsche, selon lequel le seul moyen de sauver l'homme consiste à instaurer une révolution ontologique dans lequel l'homme mute en Surhomme, soit en créateur de ses propres valeurs. Dieu est mort, il a été assassiné, répète Nietzsche (à la suite de Hegel), proposant comme modèle de substitution Dionysos.
Quelle est cette erreur fondamentale, ce vice à la racine qui fausse le raisonnement académiste? C'est une conception de la création qui ressortit de l'illusion nihiliste. Le propre d'un créateur est d'estimer que la dynamique du changement implique que sa création soit partie du réel. Au contraire l'académiste qui se prend pour le créateur estime avec hallucination qu'il n'est pas un singulier créateur, mais selon la propre proposition de Nietzsche, le créateur en remplacement du Créateur.
Le Créateur symbolise la totalité du réel, quand le créateur ne peut jamais qu'exprimer une certaine partie de ce réel. C'est tout le problème de Nietzsche qui conçoit avec sa mentalité frelatée d'immanentiste tardif et dégénéré (le caractère dégénéré de Nietzsche ressort notamment de son exaltation maniaque) la réaction humaine comme le substitut adéquat de la Création divine dépassée et superstitieuse. Le propre de l'académiste qui se prend pour créateur ne se limite pas à la boursouflure dépareillée et disproportionnée de ses écrits. Tout le fondement de son rapport au réel s'en trouve affecté.
Cet académiste perverti s'imagine être créateur du fait de son excellence. Malheureusement, il ne crée rien. Ce qu'il prend pour de la création s'apparente à de la récréation stérile et inutile, transposée en un milieu clos, fixe, figé, fini (le monde universitaire). Une étrange exhalation de mort empeste l'atmosphère viciée et vicieuse de notre brillant académiste. L'académiste de type universitaire comme un Jaume opère une critique blanche qui critique sans jamais critiquer en ce qu'elle prend son donné de matière critiquable pour le tout du réel. On ne peut critiquer que des parties, jamais l'ensemble.
La critique académiste présente son erreur de fond, son erreur insurmontable et monumentale (comme ses productions grandiloquentes et vaines) : prendre la partie pour le tout. Dans le domaine de la pensée, cette erreur théorique n'est pas seulement impardonnable. Elle condamné définitivement la pensée. Comment penser un objet qui est impensable? Comment penser le tout? L'effort premier de définition implique que l'on segmente et que l'on finitudise. En l'occurrence, la définition est impossible. La pensée est impossible.
L'impossible est la catégorie symptomatique qui définit le nihilisme. La pensée académique est ainsi condamnée à se dépenser sans penser. C'est un terrible aveu d'échec en même temps qu'une preuve d'impuissance. Aucune créativité n'est possible dans le cercle vicieux et damné de cette démarche. Aucune création : c'est ce que montrent les productions académiques qui sont condamnées à n'être que des répétitions dénuées de création. Comprend-on pourquoi on recrute les propagandistes médiatique dans les cercles de l'excellence académique (en France, la rue d'Ulm offre un réservoir de choix de cette confusion impertinente entre l'excellence académique et la création)?
Pas étonnant que les professeurs pas toujours excellents et toujours sur-diplômés des milieux universitaires traduisent la faillite de ce qu'ils représentent : la création reconnue et institutionnalisée présentée comme création continue. Dans le fond, nos intellectuels universitaires sont les représentants de l'échec de la pensée. La pensée joue le rôle de la théorie esthétique, qui même si elle n'est pas explicitée en idée se trouve au départ de toute démarche de création, en particulier artistique. Il est temps de lutter contre l'académisme : pas contre le rôle du répétiteur de savoir qui transmet son savoir et reconnaît que son rôle, même excellent, se borne à la transmission. Pas contre l'académisme assumé. Contre la mutation de ce répétiteur en créateur. Contre l'académisme oxymorique.
Face à ce déni et à ce mensonge, il est temps de montrer que l'imposture est identifiée : nous sommes face à l'aspect intellectuel de la mentalité nihiliste. Qu'est-ce qu'un artiste nihiliste? En gros, il correspond à la description de la mutation artistique telle que Hegel l'annonce : l'artiste conçoit désormais l'idée de l'art. Nietzsche, qui est à sa manière un hégélien exacerbé et postromantique, a défini l'artiste immanentiste : c'est celui qui crée ses valeurs. Et qu'est-ce que la pensée dans ce monde donné et statique?
C'est une entreprise de savoir clos et fermé, qui dégénère sur une répétition quasi maniaque : le créateur de valeurs ne crée rien puisqu'il ne fait que reprendre un agencement qui est fini et qui est déjà produit. Raison pour laquelle ceux qui jouent et assument le rôle de créateur immanentiste sont répétitifs. Ils créent de la répétition. Ils récréent. Ils ne créent rien. Cas d'un Rosset, qui répète en bon élève de la rue d'Ulm, de l'agrégation de philosophie et des autres diplômes prestigieux Spinoza et Nietzsche et qui s'inspire de la démarche de son glorieux ancêtre Gorgias.
Les sophistes traduisent ce moment où la création et la pensée basculent vers le nihilisme : quand on est un créateur nihiliste, un penseur nihiliste, on est un érudit, un savant, un rhéteur, bref un répétiteur de l'excellence, qui n'invente rien et qui ne produit rien de nouveau, d'original, de changeant. C'est contre cette duperie qu'il faut s'élever, car l'approche académique de la création artistique et de la pensée réduit la création à de la répétition et détruit ce qui permet à l'homme de vivre. Le parachèvement de cette entreprise mortifère se situe dans l'approche de la création et sa subversion en objet de savoir donné et défini une bonne fois pour toutes.
C'est la raison pour laquelle l'oligarchisme et l'impérialisme ne sont pas des données seulement politiques, mais infectent l'ensemble des valeurs humaines. A ce titre, l'on peut intégrer l'impérialisme et l'oligarchisme dans la mentalité nihiliste moderne (l'immanentisme) qui ne fonctionne pas en complot mais achève de congeler l'homme en finissant par sa spécificité : la pensée. L'homme crée par la pensée. La pensée est présente dans la création comme le fondement et le processus finaliste.
En transformant la pensée en un donné antidynamique (au sens platonicien) et statique, l'académisme pervers et pseudo-créateur espère transformer le réel à l'image de son désir. Prendre ses désirs pour des réalités, prendre la partie pour le tout : l'académisme présente bien les caractéristiques du déni immanentiste. Mais cette démarche de déni viscéral ne peut déboucher que sur l'erreur, voire la folie : car non seulement on ne produit rien en produisant quantitativement beaucoup (le châtiment par excellence de l'académiste forcené et besogneux qui croit créer en abondant dans son pédantisme), mais le seul changement auquel on parvient est de détruire.
La création immanentiste correspond à la destruction (antagonisme entre le réel et le néant). Dans cette conception dévoyée et misérable, la figure aberrante de l'académiste créateur permet de faire passer la destruction pour de la création. Nous nous mouvons dans un monde dément où la décroissance passe pour l'avenir de la croissance et pour la nécessaire mutation politique vers le format écologique. Dans ce monde de pur rapport de forces et de domination, l'impérialisme est omniprésent. L'impérialisme de la pensée est cet académisme creux, élitiste, inégalitariste, à l'image d'un Gorgias durant la crise sophiste et à l'image des postmodernes de nos jours qui, tous sans exception, sont des progressistes pervers, adhérant à l'inégalitarisme, l'élitisme et l'impérialisme, en particulier dans ce qu'ils prennent pour leur entreprise de création.
Cette excellence académique est une excellence de médiocre. Non seulement la pensée est à l'origine de la création mais l'incapacité de l'académiste immanentiste à intégrer la création en termes dynamiques le condamne à passer à côté de l'essentiel en dressant un éloge irrationnel et désaxé du superficiel : le brillant, le clinquant, l'artifice. Qu'est-ce qu'un académiste? Son pire châtiment est d'être le raté de l'excellence. Pour le cerner d'une fable, je ne résiste pas au plaisir de citer l'anecdote du virtuose du lancer de pois récompensé comme de juste par Alexandre : "Tel ce personnage que Quintilien et Montaigne nous livrent comme exemple de parfaite ineptie, qui réussissait à enfiler de loin les pois chiches sur une aiguille et dont Alexandre le Grand récompensa, dit-on, la virtuosité par le cadeau d'un boisseau de pois chiches - cadeau dont l'ironie évidente, relevée par tous les commentateurs, ne doit point voiler le caractère profondément pertinent et approprié : car ces pois offerts par le roi, qui pourront du moins servir de matériaux aux futurs exercices d'entrainement du champion constituent le seul don qui soit réellement profitable à un homme qui voit, dans l'adresse au lancer de pois, la principale utilité de la vie. Les variantes de cet égarement sont innombrables et semblent toujours traduire un désir inconscient de compenser le défaut de réussite même modeste, dans un domaine reconnu comme intéressant, par une action d'éclat singulière et d'autant plus irrécusable que, n'intéressant personne, elle ne risque guère d'être contestée par quiconque."
Citation tirée des Principes de sagesse et de folie de Clément Rosset. L'ironie est que Rosset se moque du virtuose de lancer de pois sans se rendre compte que l'ironie s'adresse en premier lieu à son endroit, soit aux sophistes nihilistes qui croient créer dans la mesure où ils répètent un savoir donné et gelé (même impressionnant et virtuose). Rosset est ce virtuose du savoir qui crée de manière nihiliste, soit qui détruit et qui répète.
La morale de cette morale : Il est tout à fait conséquent de récompenser l'excellence par l'excellence. La médiocrité par l'excellence? Alexandre a cerné le virtuose médiocre. Il l'a récompensé comme de juste : de la plus prodigue des manières. De la plus stupide aussi. Tel est le profil psychologique et intellectuel de l'académiste créateur : un Bouvard, un Pécuchet, un Deleuze, un Gorgias.
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