vendredi 30 janvier 2009

Point d'honneur

Monsieur,

C'est bien plus qu'au directeur de la rédaction du Point que je m'adresse. C'est bien plus qu'au journaliste. C'est bien plus qu'à l'écrivain, au romancier, au polémiste - que sais-je? C'est à l'homme. Il est certain que les divergences d'opinion constituent le fondement de la démocratie. Il est certain qu'il est sain d'accueillir dans son hebdomadaire des avis contradictoires, voire antagonistes.
Il est certain aussi qu'il n'est pas bon signe de donner la parole à un propagandiste quand on fait du journalisme. S'est-on vraiment demandé pourquoi la presse française, la presse démocratique, la presse libre, traverse une crise aussi grave? C'est parce que les lecteurs en ont assez que ses représentants répandent la bonne parole institutionnelle, celle en vigueur dans le système, et nous distraient de multiples diversions pour mieux nous traire de fumeuses versions.
Toutes les autres explications apportées sont sans doute partiellement pertinentes, mais elles ne sont que secondaires. Ce n'est pas pour vous entretenir de la crise systémique, qui ne touche pas seulement la presse écrite, que je vous écris. C'est pour vous demander de cesser toute collaboration avec le sieur Bernard-Henri Lévy. Remarquez, les deux considérations sont liées. Vous devez vous être rendu compte maintenant que les productions du sieur BHL sont nulles et qu'elles fânent avant leur publication. C'est un triste privilège. Les grands écrivains sont toujours d'actualité. Les propagandistes ne le sont jamais.
Vous me rétorquerez peut-être que vous êtes farouchement opposé à la censure sous toutes ses formes. Je vous répondrai qu'il est temps d'arrêter les frais. C'est une chose de censurer un auteur; c'en est une autre de manifester de la complaisance vis-à-vis d'un écrivain vaniteux, soit d'un propagandiste capiteux. BHL se réclame des faits, BHL fait des effets, BHL coûte cher. Pas seulement en masse monétaire. Je pense à la réputation, je pense à la pensée, je pense à la qualité, valeurs et créations bien plus importantes que des espèces sonnantes et trébuchantes.
Vous m'opposerez peut-être l'indéniable talent d'auteur comique de BHL. C'est vrai : BHL est le plus grand écrivain comique involontaire de son temps. Si Heidegger avait connu BHL, il aurait écrit Le Comique et le Temps. A chaque fois que je le lis, je ris. BHL, bien entendu. Pas Heidegger. Notre intellectuel engagé dans la cause des puissants de ce monde est l'incarnation improbable d'un Mamamouchi au service de son vizir à vison, un Voltaire renversé qui n'aurait conservé du patriarche de Ferney que ses défauts et y aurait rajouté, tel un cuisinier raté, la perversion de la figure de l'intellectuel des Lumières. L'intellectuel des Lumières contestait le pouvoir; le Nouvel Intellectuel le sert. Le dessert-il? En tout cas, il en est la tourte après le dessert.
D'un point de vue qualitatif, à chaque fois maintenant que BHL écrit, le monde rit. Même Le Monde fidèle à BHL doit à force se tordre de ses divagations, de ses inventions et de ses rodomontades. Il serait temps de poser la question : pourquoi donner la parole à quelqu'un qui dit n'importe quoi, qui dit vague, qui produit des navets à la chaîne et qui n'a pas à être reconnu et publié sous le seul prétexte qu'il est le fils de? Je ne voudrais pas tomber dans l'argument facile, mais vous n'ignorez pas les liens entre BHL et l'actionnaire principal de votre hebdomadaire.
Cependant, si vous envisagez la réputation et la valeur du Point, il n'est plus possible de donner la parole à un chroniqueur qui se prend pour l'avatar syncrétique de Tocqueville, de Malraux et de Mauriac (peut-être également de Sartre, voire de Voltaire?), alors que sa pensée a toujours été nullissime et qu'elle se trouve depuis un petit moment discréditée. En ce cas, si discrédit il y a, et discrédit il y a, pourquoi ne réagir que maintenant et réclamer ce qui aurait dû l'être depuis longtemps?
Tout d'abord, il n'est jamais trop tard pour corriger ses erreurs. On pourrait invoquer le principe de réparation pour notifier au sieur Lévy que sa nullité n'a que trop duré et qu'il est temps qu'il cesse de galvauder des journaux qui se présentent comme démocratiques, libéraux et critiques. Vous n'ignorez pas que le monde, pas seulement la presse, s'enfonce dans une crise irrémédiable parce qu'elle est systémique. Le propre d'un propagandiste au service du pouvoir est de suivre le cours du pouvoir. Quand le pouvoir est en haut, BHL parade? Et quand le pouvoir est en berne? BHL pétarade. Quand le pouvoir s'effondre, BHL porte l'estocade.
BHL travaille depuis de trop longues décennies au service d'une cause explicite, le sionisme, qui n'est que l'arbre qui cache la forêt. BHL est partout là où l'atlantisme agit. Toutes les grandes causes de notre intellectuel-idéologue sont des causes atlantistes. Et plus le temps passe, plus BHL se trompe, ment, sombre dans la maladie du siècle qui consiste à décrire quand le plus sage serait d'écrire. On peut sans risque évoquer la faillite de BHL qui suivrait la faillite du système mondialisé libéral.
Quand on reprendra plus tard les témoignages de BHL et de ses affidés, on sera pris de nausée et de malaise. La mauvaise foi au sens sartrien aura une illustration ironique et perfide. Il n'est vraiment pas bon, Monsieur Giesbert, d'associer votre hebdomadaire à la cause perdue d'un tel énergumène. Vous êtes certain de vous discréditer. Et par les temps qui courent, le discrédit qui entache les structures du système ne manque pas de rallier à son sombre étendard ses propagandistes de choc : plus le système se délitera, se détruira et s'anéantira, plus BHL se distinguera par son éloignement du réel et par son errance caractérisée. BHL est le symptôme d'un monde qui finit et qui sombre dans la folie sénile au moment de disparaître.
Heidegger, dans un impressionnant passage, expliquait qu'il y a ceux qui meurent et ceux qui périssent. Je ne sais au juste si les jugements périssent, mais en tout cas, les mauvais jugements vieillissent mal. C'est ainsi que l'ancien patron du Monde ne se vantera pas d'avoir proclamé que BHL ne s'était jamais trompé. Connaîtra-t-on encore dans dix ans cet illustre fabuliste? Si l'on veut approcher de la vérité, il n'est que trop temps de prendre conscience : BHL s'est trompé en tous points. Raison pour laquelle il trompe en tous points. Ses petits poings se serrent de rage face à l'inacceptable de sa déliquescence, mais l'évidence est plus forte que l'influence. Les récentes interventions de BHL pour justifier les massacres de Gaza ne sont pas seulement l'exemple éclatant et affligeant du dérapage caractéristique et de l'absence de jugement de ce fanatique de la propagande. Plus le pouvoir est aux abois, plus BHL aboie.
Cette fois, Monsieur Giesbert, face à ceux qui sont morts en martyrs et qui témoigneront par leur mort de l'identité de leurs assassins, il en va de votre honneur et de votre jugement d'homme! Ne donnez plus la parole à cet hurluberlu qui délire sans doute (et depuis un bon moment). Ou alors, si vous pensez en termes de charité chrétienne, protégez la réputation de ce triste sire et de ses héritiers en lui ôtant son caractère d'auteur et de garant. Il est très lourd aujourd'hui d'avoir eu pour ancêtre un propagandiste nazi ou fasciste. Croyez-vous qu'il en ira autrement pour un propagandiste de la mode actuelle qui a eu l'impudence d'expliquer que l'armée israélienne avait fait preuve de retenue dans les massacres de Gaza et qui n'est capable que d'accélérer la gradation de son infamie face à l'aggravation de la crise?
Monsieur Giesbert, si vous voulez que votre hebdomadaire soit reconnu pour sa qualité et sa valeur démocratique dans cinquante ans, donnez la parole à des écrivains et des intellectuels dignes de ce nom. Dans ce monde qui s'effondre, coupez le sifflet à un propagandiste qui au mieux a perdu les pédales et qui se prend pour l'arbitre des élégances rances et putrides. Je vous le redis et vous le répète : il en va de votre honneur d'homme. Et si vous ne pouviez rien faire contre cette intervention grotesque et stéréotypée qui ruine votre hebdomadaire, ou si vous persistiez dans cette posture dangereuse qui consiste à publier un faussaire au nom de la liberté, sachez que vous entraîneriez Le Point dans la terrible chute (religieuse et ontologique) qui frappe de son destin acéré le cas BHL : le châtiment abominable d'être un mort-vivant, soit d'opposer au réel animé et mouvant ses représentations gelées et inanimées.

Aucun commentaire: