vendredi 23 janvier 2009

Le Petit Inquisiteur

En mémoire des bien-pensants, en particulier de ceux qui fleurissent parmi les disciples du Christ.

Voici cinq traductions du Testimonium Flavianum (nom traditionnel donné aux Antiquités juives, XVIII, 63-64) de Flavius Josèphe, que j'ai trouvées sur un site remarquablement bien documenté. Les mots en vert indiquent que le texte grec aurait été mal traduit et les mots en rouge signalent deux petites erreurs de lecture introduites par un copiste. Les passages discutés sont en gras.
http://www.ebior.org/Vie-de-Jesus/Josephe.htm

1) Histoire ecclésiastique
d'Eusèbe de Césarée (265-340). Il s'agit de la version standard correspondant à une double tradition manuscrite grecque qui nous est parvenue fort corrompue.

"Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler un homme. Il accomplissait notamment des actes étonnants et est devenu un maître pour des gens qui acceptaient la vérité avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs. Le Christ c'était lui. Et quand, par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, il avait été condamné par Pilate à être crucifié, ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé. Il leur est apparu le troisième jour de nouveau vivant selon les paroles des divins prophètes qui racontent ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu." (Traduction d'Herman SOMERS)
Et vers ces temps-là une autre offense est venue provoquer une sédition des juifs.

2) "Histoire universelle d'Agapios, évêque melchite de Hiérapolis en Syrie au X ème siècle. En 1971 le professeur Shlomo PINES de l'université hébraïque de Jérusalem attira l'attention sur ce texte en arabe que personne n'avait remarqué alors qu'il était pourtant traduit en français.

"En ce temps-là vivait un sage nommé Jésus. Il se conduisait bien et était estimé pour sa vertu. Nombreux furent ceux, tant Juifs que gens d'autres nations, qui devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples ne cessèrent de suivre son enseignement. Ils racontèrent qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Peut-être était-il le Messie sur qui les prophètes ont raconté tant de merveilles."

3) Chronique syriaque de Michel le Syrien, patriarche jacobite d'Antioche au XII ème siècle.

"En ce temps-là, il y eut un homme sage du nom de Jésus s'il nous convient de l'appeler homme. Car il était l'auteur d'œuvres glorieuses et maître de vérité. Et de beaucoup parmi les Juifs et parmi les nations il fit ses disciples. On pensait qu'il était le Messie. Et non selon le témoignage des chefs de notre peuple. C'est pourquoi Pilate le livra au châtiment de la croix et il mourut. Et ceux donc qui l'aimaient ne cessèrent pas d'aimer. Il leur apparut au bout de trois jours, vivant. Car les prophètes de dieu avaient dit sur lui de telles merveilles. Et jusqu'à nos jours n'a pas cessé le peuple chrétien qui tire de lui son nom."

4) Reconstitution d'A.Pelletier reprise dans le Monde de la Bible, n°109,1998, p 18-19 : les sources littéraires de la vie de Jésus et dans les Suppléments aux cahiers Evangile, n°36, Flavius Josèphe, Cerf, p 51. Remarquons que Michel Quesnel dans son article du Monde de la Bible ne précise pas que la traduction proposée est une reconstitution moderne !

"A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, car il accomplissait des choses prodigieuses. Maître de gens qui étaient tout disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs et jusque parmi les Hellènes. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l'eut condamné à la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas de l'aimer, parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. De nos jours encore ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de lui on appelle chrétiens.

5) Traduction d'Herman SOMERS qui propose deux petites corrections au texte grec ce qui l'amène à une traduction originale et renouvelée.

"Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler sage. Il accomplissait notamment des actes bizarres et est devenu un maître pour des gens qui l'acceptaient vraiment avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs (que) lui-même était le Christ . Et c'est lui (justement) qui par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, avait été condamné par Pilate à être crucifié et ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé (de prétendre : ) il leur était apparu le troisième jour de nouveau vivant, les divins prophètes ayant prétendu ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le (petit) peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu.

Et vers ces temps-là un autre scandale est venu perturber les juifs."



Hier, je faisais une recherche sur Flavius Josèphe. C'est un historien juif romanisé du premier siècle chrétien qui a écrit quelques livres d'histoire en langue grecque sur la Judée de son époque. Josèphe serait (sans doute) un historien fort mineur et seulement connu des spécialistes spécialisés s'il n'avait écrit quelques lignes sur un certain Jésus Christ. Ces lignes ont fait couler beaucoup d'encre : on a commencé par les prendre au pied de la lettre, pour argent comptant; et puis on s'est avisé à partir de la modernité, singulièrement sous les Lumières, qu'il s'agissait d'interventions chrétiennes des premiers siècles du calendrier chrétien et on s'est montré circonspect.
Si circonspect qu'on a rejeté ce qu'on adorait. On a fait son Renan après avoir fait son sorbonnard (j'utilise ici Renan comme le symbole de la critique antichrétienne, et non pour ses positions par rapport à l'historicité contestée des écrits de Josèphe). Finalement, les exégètes et autres philologues n'ont qu'une certitude à l'heure actuelle : il est impossible de savoir précisément ce qu'a écrit Josèphe. Certitude qui implique une autre certitude : il y a bien eu réécriture des manuscrits de Josèphe par des chrétiens fervents. Mais quelle version accorder au juste?
Aujourd'hui, après avoir longtemps tergiversé, les spécialistes privilégieraient une version (provisoire) qui pose néanmoins de nombreux problèmes : Josèphe aurait bien parlé de Jésus, mais en des termes qui non seulement seraient négatifs, mais qui de surcroît seraient fort peu favorables au dogme chrétien, du moins au dogme défendu par l'Église romaine - des premiers siècles. En gros, Josèphe parlerait d'un messie juif fort humain. Je citerai sur ce sujet le commentaire auquel parvient A. Paul, Cahier Evangile n° 14, Intertestament : "Il est impossible de reconstituer le texte primitif tel que Josèphe l'aurait rédigé. Plutôt que de considérer les recensions comme des variantes d'un seul et même texte dit ' primitif ', il convient de voir en chacune d'elles un texte différent".
Quoi qu'il en soit, je crois que sur cette question, on ne saura jamais rien de définitif et que la chose raisonnable à laquelle on puisse s'accrocher est la suivante : il y a eu un Jésus; il est fort à parier que le personnage historique différait notablement du personnage religieux que l'on nous présente depuis 1500 ans. C'est assez problématique, d'autant que l'on peut supposer raisonnablement que le personnage religieux résulte d'une recomposition à partir du personnage historique, de différents personnages mythiques du bassin méditerranéen, de certaines traditions religieuses juives et affiliées.
D'ailleurs, d'autres historiens romains comme Suétone montrent assez qu'il est fort difficile pour un Romain de l'époque de distinguer entre les premiers chrétiens et les Juifs. Les Romains polythéistes avaient les plus grandes difficultés à distinguer entre les deux formes de monothéisme balbutiant. J'ajoute que le judaïsme, tout comme le christianisme, a longtemps pratiqué la conversion, contrairement à un anachronisme moderne qui estime que la conversion n'existe pas chez les Juifs (voir notamment les travaux de l'historien israélien Shlomo Sand).
Gageons que si l'on avait l'occasion de filmer le Jésus historique, le résultat serait décapant, décoiffant, brut de décoffrage. Assisterait-on à un remake du films réalisé par les Monty Python? A un charlatan décevant? A un illuminé exalté? A un homme exceptionnel et mystique? A un homme mystérieux, habité par le Verbe de son Père? Finalement, si le dogme de la Trinité est d'une profondeur évidente, il est fort à parier que le dogme musulman selon lequel Jésus était un grand prophète humain est plus proche de la vérité historique. Je laisse là ce débat théologique, sans quoi il tournerait à la foire d'empoigne et je serais accusé d'islamophilie, ce qui par les temps qui courent est un crime odieux et répugnant (l'Occident de Voltaire a évolué en Valtaire).
Si l'on discute avec un dogmatique de l'historicité du Christ, il aura toutes les peines à vous répondre : pour lui, le témoignage de Josèphe ou tout autre témoignage historique ne peut que corroborer sa foi et les versions du Nouveau Testament. Après tout, la vérité est consignée dans la Bible. Mais il est ahurissant de discuter aujourd'hui avec un chrétien institutionnalisé, en particulier avec un catholique conservateur. On sait qu'historiquement le catholicisme est conservateur et qu'il pousse au conservatisme politique. Du temps de la monarchie française, les catholiques étaient officiellement du côté de la monarchie.
Depuis la Révolution, les catholiques se situent bien plus du côté du conservatisme que du progressisme. Il faut préciser que le progressisme est majoritairement athée (relire les écrits de Marx) et qu'il existe un courant dit des chrétiens de gauche qui offre une alternative à conservatisme catholique. Mais les conservateurs catholiques sont du côté du pouvoir dans la mesure où ils affrontent un redoutable paradoxe : faire confiance à l'officiel et à l'institutionnel alors que leur foi leur vient d'un prophète qui a bravé les institutions et les lois officielles - de la Loi juive.
Jésus enseignait que le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. Jésus a universalisé la Loi juive à l'ensemble des hommes. Jésus moquait et tançait les pharisiens, les scribes et les officiels juifs de son époque. Jésus fut crucifié par les Romains avec la complicité du Grand Sanhédrin. Jésus renversa les tables des marchands du Temple. Jésus sauva de la lapidation la femme adultère. Jésus s'entretenait avec les Samaritains.
Bref, le témoignage des disciples reconnus par l'Église romaine est irrévocable : le Christ vient pour renverser les institutions en place et les remplacer par de nouvelles. Le Christ défiait les traditions et l'officiel. Il venait révéler la vérité dans une période troublée où les institutions corrompues - portent le mensonge. C'est dire que si les institutions sont obligatoires, elles sont aussi tout à fait contestables. Non pas que les institutions soient contestables en tant que telles; mais qu'elles puissent être contestées et que dans les périodes de transition et de crise institutionnelles, les édifices institutionnels vacillent et se montrent terriblement fautifs et viciés.
Je comprends le chrétien conservateur qui défend les institutions : après tout, il défend les institutions que le christianisme a contribué à édifier, façonner et développer. Mais je trouve incompréhensible le chrétien qui défend les institutions en tant qu'institutions : après tout, le Christ a contesté les institutions. Le Christ a montré que les institutions pouvaient se tromper. Le Christ a été crucifié par des institutionnels, ce qui vaudra le sobriquet infamant de peuple déicide aux Juifs. Les Romains y ont laissé des plumes : le geste de Ponce Pilate se lavant les mains vaut toutes les paraboles et en dit long sur la lâcheté de l'institutionnel, capable au nom de l'application de la lettre de commettre les atrocités les plus lâches et méprisables.
Que penser alors des chrétiens d'aujourd'hui qui au nom de leur christianisme institutionnalisé refusent de voir l'évidence dans le 911, dans la crise financière, dans l'édification patiente du Nouvel ordre mondial comme résolution fallacieuse de la crise, dans le carnage de Gaza? Sont-ils finalement du même tonneau que le Grand Inquisiteur de Dostoïevski - qui condamne le Christ au nom du christianisme? Condamnent-ils l'esprit du christianisme au nom des institutions chrétiennes? Le bouleversement au nom de l'institutionnalisme?
Que s'est-il passé pour que le disciple d'un homme qui finit crucifié, martyrisé, ridiculisé, j'en passe et des meilleures, le tout par le bon soin des institutions de l'époque, puisse accorder sa confiance aveugle aux institutions? Le Christ prouve par son enseignement que les instituions peuvent se tromper, peuvent (se) corrompre, peuvent mentir, peuvent être injustes. Et l'on voudrait nous faire croire que le 911 est forcément une vérité et que la vérité émane forcément de l'officiel? Qui faut-il pardonner de toute urgence - parce qu'il ne sait plus ce qu'il fait?

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