Il est toujours instructif de lire un nihiliste aussi explicite que Rosset. D'ordinaire, les nihilistes avancent masqués, ce qui fait qu'il est très dur de les démasquer. Combien de recenseurs de livres ont eu le courage d'écrire explicitement que Rosset était un nihiliste? A ma connaissance: aucun. C'est normal : nous vivons une époque d'immanentisme, qui est la forme moderne du nihilisme. Un immanentiste ne peut démasquer l'immanentisme radical de Rosset. Les autres immanentistes contemporains de Rosset sont toujours des endormeurs et des enfumeurs, ce qui fait qu'il est impossible de les confondre.
Pour les confondre, encore faudrait-il qu'ils soient de mauvaise foi, un peu comme un tartuffe qui fait semblant de croire, mais ne croit pas en ce qu'il fait semblant de croire. Mais nos tartuffes sont des inconscients : ils croient vraiment en ce qu'ils croient au moins partiellement. Nul n'adhère au nihilisme en ayant conscience que le nihilisme est fallacieux. D'ailleurs, aucun ne prend son nihilisme pour du nihilisme, soit pour une forme de pensée négative. Leur mode de pensée est toujours présenté avantageusement, y compris chez les nihilistes les plus explicites.
Simplement, ce à quoi ils croient est faux. L'immanentisme est faux. Quelle est la différence entre un immanentiste implicite et un immanentiste explicite?
L'explicite comme Rosset a conscience au moins de la démarche de l'immanentisme, qui repose sur la subversion du principe de non-contradiction; tandis que l'implicite n'a pas conscience de la démarche. L'implicite est plus inconscient que l'explicite. En tout cas, tous deux sont inconséquents. Sans doute les deux types d'immanentistes adhèrent-ils au fond à l'immanentisme, sans se rendre compte de sa négativité et de sa dangerosité.
Les deux immanentistes sont au fond des ennemis irréductibles, tant il est vrai que l'ennemi se recrute parmi les proches, fort du principe selon lequel le désir mimétique est le fondement de tout désir, de tout sentiment, de toute action. Rien d'étonnant à ce que deux postmodernes, soit des immanentistes implicites, comme Deleuze et Derrida, qui se respectaient visiblement, quoique jalousement, aient tant méprisé, chacun à leur manière, leur collègue et confrère en immanentisme Rosset. La haine la plus farouche se situait certainement entre Rosset et Derrida, ce qui indique que le pape/père de la déconstruction et de la différance était certainement le plus implicite et inconscient des immanentistes.
Mais la vraie différence (la plus pertinente) s'observe entre Deleuze et Rosset, car les deux se sont fréquentés jusqu'au milieu des années soixante-dix et présentent des références philosophiques communes : Spinoza et Nietzsche sont des auteurs étudiés par l'historien de la philosophie Deleuze, qui ne se rendit pas compte qu'en sortant de l'histoire de la philosophie pour philosopher, il était devenu un histrion de la philosophie. C'est ce que remarque son professeur Gandillac, qui était un prestigieux et authentique historien de la philosophie et qui eut la sagesse de le demeurer - jusqu'à la centaine allègre.
Mieux vaut un honnête historien de la philosophie à un faux philosophe, et c'est ce que Deleuze n'avait pas compris : il avait pourtant tout pour réussir une brillante carrière de professeur de philosophie à la Sorbonne et de nouvel intellectuel gauchiste et brillant, successeur attitré et intronisé de Sartre. Il préféra cependant embrasser la carrière de faux/fou philosophe. Certes, les médias et le mirage aux alouettes de la République des Lettres l'ont encensé quand il a publié ses ouvrages de philosophie personnelle, les plus gratinés en compagnie d'un psychanalyste italien du nom de Guattari, mais dans le fond, qu'on se pose une seule question : quelle idée originale a sorti Deleuze?
Aucune. C'est ce qui situe la valeur de Deleuze. Deleuze a tout repris principalement à Spinoza et Nietzsche. On peut affirmer que les deux penseurs préférés de Deleuze étaient Spinoza et Nietzsche. C'est aussi le cas pour Rosset. Cette convergence n'est pas anodine. Elle signe leur appartenance et leur identité communes à l'immanentisme. La divergence mérite d'être comprise dans les termes de l'immanentisme : Deleuze lit Spinoza et Nietzsche pour faire progresser le système immanentiste; quand Rosset se sert de Spinoza et Nietzsche pour révéler le système.
D'ailleurs, que l'on lise les livres illisibles de Deleuze sur Nietzsche : ils laissent transparaître la tentative stupéfiante d'interpréter les concepts nietzschéens sous le prisme du gauchisme. Quand Rosset parle de Nietzsche, c'est pour restituer un Nietzsche authentique, qui était un penseur immanentiste pragmatique, prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré. Nietzsche était tout sauf un progressiste et le contresens apparent de Deleuze s'apparente plutôt à une manipulation et une récupération.
Le moins immanentiste des penseurs de cette période d'après-guerre est aussi le meilleur. René Girard. Cet anthropologue chrétien partage avec Rosset le privilège d'avoir été boudé par l'intelligentsia parisianiste et mondialisée. Il s'est expatrié aux États-Unis et a sorti l'oeuvre la plus solide et féconde de l'après-guerre. Il est certain qu'une mentalité dépasse de loin les engagements des individus. Dans une époque immanentiste, il est impossible de ne pas être imprégné d'une manière ou d'une autre par l'immanentisme.
Girard est ainsi immanentiste, mais c'est un immanentiste qui a fui la philosophie et qui lui a préféré la religion. Girard est un catholique authentique. C'est de toutes les options qui existent le plus sûr moyen d'échapper à l'immanentisme. Croire dans une religion transcendantaliste est l'alternative pour échapper à la religion immanentiste, qui est une religion mutante, et antireligieuse, ayant opéré sa mutation à partir des hérésies monothéistes, en premier lieu à partir des hérésies protestantes, comme le restaurationnisme anglo-saxon.
Girard a échappé à l'immanentisme en adhérant à ce qui semble être le geste le plus ringard de l'époque contemporaine : croire dans le christianisme. Ce chartiste diplômé des grandes écoles avait tout pour adhérer à l'immanentisme : il vivait en France, en Europe, en Occident, il s'est exilé aux États-Unis pour enseigner la littérature comparée et l'anthropologie. Démocratie, laïcité, libéralisme, il faut vraiment être fou pour fuir ces mirages et adhérer au dogme catholique.
Girard avait tout pour finir comme Gauchet, ou, s'il avait plus mal fini, en atlantiste dogmatique Revel. Gauchet explique que l'Occident est sorti de la religion et que le christianisme a eu pour principal mérite d'autoriser cette sortie de la religion, qui est la forme la plus haute à laquelle nous puissions prétendre. La philosophie selon Hegel s'arrête à Iéna. La culture selon Gauchet et ses épigones finit en Occident. La plus caricatural est certainement Fukuyama, qui prophétise la fin de l'histoire, concept éminemment hégélien.
Revel est un agent explicite et patenté de l'atlantisme, et à cet égard il explique que le libéralisme est certes la moins pire des alternatives, mais que c'est aussi la seule : il se trouve d'une certaine manière dans la posture de Leibniz expliquant que ce monde est le meilleur des mondes - et aussi le seul. Revel reprend l'argumentaire des atlantistes, à commencer par Popper ou Russell : le libéralisme est le moins pire de tous les systèmes politiques. A l'heure de l'effondrement du libéralisme, comme il y eut l'effondrement du communisme, que les atlantistes célébrèrent comme la fin de l'histoire et le triomphe du libéralisme, une telle définition du libéralisme prête à sourire. Elle se révèle également tragique.
Girard échappe à la mode contemporaine de la propagande : son christianisme est tellement ringard qu'il lui permet d'échapper au nihilisme de l'immanentisme. Il est frappant de constater que Gauchet, Revel et tous leurs jumeaux ont cru faire assaut de nouveauté et d'originalité dans la mesure où ils ne faisaient que reprendre le moule classique de la propagande.
En contrant les effets de la propagande et la mode, Girard produit l'oeuvre la plus originale de cette période : c'est donc que son christianisme n'est pas si ringard que la propagande le laisse accroire et qu'il est plus fécond d'adhérer au catholicisme vieillot de deux mille ans qu'à l'immanentisme si novateur et si révolutionnaire. Le mécanisme est assez facile à expliquer : le transcendantalisme met en contact avec le vrai principe ou la véritable source de la différence, qui est l'absolu. Au contraire, le nihilisme met en contact avec le néant, qui est la véritable source de la destruction. Notable différence!
Pour les confondre, encore faudrait-il qu'ils soient de mauvaise foi, un peu comme un tartuffe qui fait semblant de croire, mais ne croit pas en ce qu'il fait semblant de croire. Mais nos tartuffes sont des inconscients : ils croient vraiment en ce qu'ils croient au moins partiellement. Nul n'adhère au nihilisme en ayant conscience que le nihilisme est fallacieux. D'ailleurs, aucun ne prend son nihilisme pour du nihilisme, soit pour une forme de pensée négative. Leur mode de pensée est toujours présenté avantageusement, y compris chez les nihilistes les plus explicites.
Simplement, ce à quoi ils croient est faux. L'immanentisme est faux. Quelle est la différence entre un immanentiste implicite et un immanentiste explicite?
L'explicite comme Rosset a conscience au moins de la démarche de l'immanentisme, qui repose sur la subversion du principe de non-contradiction; tandis que l'implicite n'a pas conscience de la démarche. L'implicite est plus inconscient que l'explicite. En tout cas, tous deux sont inconséquents. Sans doute les deux types d'immanentistes adhèrent-ils au fond à l'immanentisme, sans se rendre compte de sa négativité et de sa dangerosité.
Les deux immanentistes sont au fond des ennemis irréductibles, tant il est vrai que l'ennemi se recrute parmi les proches, fort du principe selon lequel le désir mimétique est le fondement de tout désir, de tout sentiment, de toute action. Rien d'étonnant à ce que deux postmodernes, soit des immanentistes implicites, comme Deleuze et Derrida, qui se respectaient visiblement, quoique jalousement, aient tant méprisé, chacun à leur manière, leur collègue et confrère en immanentisme Rosset. La haine la plus farouche se situait certainement entre Rosset et Derrida, ce qui indique que le pape/père de la déconstruction et de la différance était certainement le plus implicite et inconscient des immanentistes.
Mais la vraie différence (la plus pertinente) s'observe entre Deleuze et Rosset, car les deux se sont fréquentés jusqu'au milieu des années soixante-dix et présentent des références philosophiques communes : Spinoza et Nietzsche sont des auteurs étudiés par l'historien de la philosophie Deleuze, qui ne se rendit pas compte qu'en sortant de l'histoire de la philosophie pour philosopher, il était devenu un histrion de la philosophie. C'est ce que remarque son professeur Gandillac, qui était un prestigieux et authentique historien de la philosophie et qui eut la sagesse de le demeurer - jusqu'à la centaine allègre.
Mieux vaut un honnête historien de la philosophie à un faux philosophe, et c'est ce que Deleuze n'avait pas compris : il avait pourtant tout pour réussir une brillante carrière de professeur de philosophie à la Sorbonne et de nouvel intellectuel gauchiste et brillant, successeur attitré et intronisé de Sartre. Il préféra cependant embrasser la carrière de faux/fou philosophe. Certes, les médias et le mirage aux alouettes de la République des Lettres l'ont encensé quand il a publié ses ouvrages de philosophie personnelle, les plus gratinés en compagnie d'un psychanalyste italien du nom de Guattari, mais dans le fond, qu'on se pose une seule question : quelle idée originale a sorti Deleuze?
Aucune. C'est ce qui situe la valeur de Deleuze. Deleuze a tout repris principalement à Spinoza et Nietzsche. On peut affirmer que les deux penseurs préférés de Deleuze étaient Spinoza et Nietzsche. C'est aussi le cas pour Rosset. Cette convergence n'est pas anodine. Elle signe leur appartenance et leur identité communes à l'immanentisme. La divergence mérite d'être comprise dans les termes de l'immanentisme : Deleuze lit Spinoza et Nietzsche pour faire progresser le système immanentiste; quand Rosset se sert de Spinoza et Nietzsche pour révéler le système.
D'ailleurs, que l'on lise les livres illisibles de Deleuze sur Nietzsche : ils laissent transparaître la tentative stupéfiante d'interpréter les concepts nietzschéens sous le prisme du gauchisme. Quand Rosset parle de Nietzsche, c'est pour restituer un Nietzsche authentique, qui était un penseur immanentiste pragmatique, prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré. Nietzsche était tout sauf un progressiste et le contresens apparent de Deleuze s'apparente plutôt à une manipulation et une récupération.
Le moins immanentiste des penseurs de cette période d'après-guerre est aussi le meilleur. René Girard. Cet anthropologue chrétien partage avec Rosset le privilège d'avoir été boudé par l'intelligentsia parisianiste et mondialisée. Il s'est expatrié aux États-Unis et a sorti l'oeuvre la plus solide et féconde de l'après-guerre. Il est certain qu'une mentalité dépasse de loin les engagements des individus. Dans une époque immanentiste, il est impossible de ne pas être imprégné d'une manière ou d'une autre par l'immanentisme.
Girard est ainsi immanentiste, mais c'est un immanentiste qui a fui la philosophie et qui lui a préféré la religion. Girard est un catholique authentique. C'est de toutes les options qui existent le plus sûr moyen d'échapper à l'immanentisme. Croire dans une religion transcendantaliste est l'alternative pour échapper à la religion immanentiste, qui est une religion mutante, et antireligieuse, ayant opéré sa mutation à partir des hérésies monothéistes, en premier lieu à partir des hérésies protestantes, comme le restaurationnisme anglo-saxon.
Girard a échappé à l'immanentisme en adhérant à ce qui semble être le geste le plus ringard de l'époque contemporaine : croire dans le christianisme. Ce chartiste diplômé des grandes écoles avait tout pour adhérer à l'immanentisme : il vivait en France, en Europe, en Occident, il s'est exilé aux États-Unis pour enseigner la littérature comparée et l'anthropologie. Démocratie, laïcité, libéralisme, il faut vraiment être fou pour fuir ces mirages et adhérer au dogme catholique.
Girard avait tout pour finir comme Gauchet, ou, s'il avait plus mal fini, en atlantiste dogmatique Revel. Gauchet explique que l'Occident est sorti de la religion et que le christianisme a eu pour principal mérite d'autoriser cette sortie de la religion, qui est la forme la plus haute à laquelle nous puissions prétendre. La philosophie selon Hegel s'arrête à Iéna. La culture selon Gauchet et ses épigones finit en Occident. La plus caricatural est certainement Fukuyama, qui prophétise la fin de l'histoire, concept éminemment hégélien.
Revel est un agent explicite et patenté de l'atlantisme, et à cet égard il explique que le libéralisme est certes la moins pire des alternatives, mais que c'est aussi la seule : il se trouve d'une certaine manière dans la posture de Leibniz expliquant que ce monde est le meilleur des mondes - et aussi le seul. Revel reprend l'argumentaire des atlantistes, à commencer par Popper ou Russell : le libéralisme est le moins pire de tous les systèmes politiques. A l'heure de l'effondrement du libéralisme, comme il y eut l'effondrement du communisme, que les atlantistes célébrèrent comme la fin de l'histoire et le triomphe du libéralisme, une telle définition du libéralisme prête à sourire. Elle se révèle également tragique.
Girard échappe à la mode contemporaine de la propagande : son christianisme est tellement ringard qu'il lui permet d'échapper au nihilisme de l'immanentisme. Il est frappant de constater que Gauchet, Revel et tous leurs jumeaux ont cru faire assaut de nouveauté et d'originalité dans la mesure où ils ne faisaient que reprendre le moule classique de la propagande.
En contrant les effets de la propagande et la mode, Girard produit l'oeuvre la plus originale de cette période : c'est donc que son christianisme n'est pas si ringard que la propagande le laisse accroire et qu'il est plus fécond d'adhérer au catholicisme vieillot de deux mille ans qu'à l'immanentisme si novateur et si révolutionnaire. Le mécanisme est assez facile à expliquer : le transcendantalisme met en contact avec le vrai principe ou la véritable source de la différence, qui est l'absolu. Au contraire, le nihilisme met en contact avec le néant, qui est la véritable source de la destruction. Notable différence!
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