Mais j'aimerais revenir sur une attitude qui me semble hypocrite, au moins un tant soit peu : c'est très bien de définir rigoureusement le cœur du néoconservatisme, d'exclure les approximations, de clarifier les identités, mais : il faut aussi remarquer que la doctrine néoconservatrice est tellement haïe et honnie que de nos jours seule une poignée de partisans néoconservateurs se déclarent tels sans ambages : Kristol, Podhoretz, Kagan... Les autres nationalistes occidentalistes affirment pour se dédouaner qu'ils n'ont jamais été néoconservateurs, comme si les différences infimes devenaient des fossés infranchissables. Un cas édifiant et symptomatique de cette mauvaise foi qui rappelle le cas de Pierre déclarant ne pas connaître Jésus? Daniel Pipes, un théoricien si proche des néoconservateurs qu'il s'en prétend aux antipodes.
La distinction qu'établit Vaïsse entre néoconservateurs et faucons nationalistes dans le camp conservateur au temps de l'administration W. est pertinente, mais à condition dans le même temps de rappeler son caractère fort ténu, pour ne pas dire diaphane : les deux écoles sont si proches que Vaïsse est contraint de les distinguer sur la question de la démocratie. Grosso modo, les néoconservateurs seraient plus théoriciens que les faucons, qui seraient des purs pragmatiques.
En gros, ils s'accordent sur 95% de la politique, mais ils diffèrent sur 5%. La proximité doit-elle être cachée par des différences mineures, au demeurant fort instructives? Vaïsse finit par l'accorder : la vraie différence chez les conservateurs se situe entre le pôle néoconservateur/faucons et le pôle des réalistes. Les réalistes sont représentés par Powell, Scowcroft ou Rice. Les faucons par Wolfowitz, Cheney ou Rumsfeld. Dans ce cas, pourquoi Vaïsse ne nous entretient-il pas des marionnettistes qui manipulent à l'envi ces représentants si transparents, qui tous remontent à Kissinger, à Shultz, aux cartels bancaires de Wall Street?
Il est patent que Rice vient de la mouvance Scowcroft, mais pourquoi ne pas expliquer que Scowcroft est un proche de Kissinger? Pourquoi ne pas rappeler que c'est Shultz qui a composé l'administration W.? Ne pas aborder cette finalité, c'est passer à côté d u problème. C'est nous divertir avec des distinctions que l'on ne peut pas comprendre sans la production des causes.
Je crois que le vrai problème que tait Vaïsse en établissant une comparaison entre démocrates et conservateurs tient au problème de l'homogénéisation désertique à laquelle conduit la politique oligarchique. Elle gomme les différences, si bien qu'il faut beaucoup de courage et de ténacité à Vaïsse pour prétendre qu'Obama se distinguera de W. Vaïsse ne peut ignorer que Gates le conservateur réaliste a été confirmé entre W. et Obama, ce qui en dit long sur la rupture politique. Geithner le secrétaire au Trésor, est un élève de Kissinger, ce qui en dit long sur la distinction entre Scowcroft le conservateur réaliste et Geithner le démocrate tout aussi réaliste.
Vaïsse nous explique que les faucons démocrates sont emmenés par Albright, qui est un disciple du réaliste Brzezinski. Distinctions pour le moins ténues? D'ailleurs, Vaïsse est obligé de préciser que Brzezinski vient d'écrire un livre avec Scowcroft. Va-t-il nous parler de l'influence ombrageuse de Kissinger? Que nenni : il nous divertit avec la troisième école démocrate, les institutionnalistes. Il fait même encore mieux dans le divertissement : à la question de savoir à quelle école démocrate appartiendrait Obama, Vaïsse explique sans sourciller et sans rire qu'il appartient peu ou prou à chacune des trois écoles.
C'est ce qu'on appelle de la synthèse idyllique! Au moins Vaïsse ne prend-il aucun risque : Obama est un peu de tout. S'il est de tout, c'est qu'il n'est de rien. Cette vacuité d'Obama, tant dans la pensée que dans l'engagement, Vaïsse ne peut l'admette tout à fait sans accepter du même coup l'inacceptable. Aurait-on peur de découvrir que les Clinton, Albright ou Brzezinski sont enfantés par les cercles bancaires qui tiennent en Kissinger leur représentant attitré? Que c'est l'oligarchie bancaire qui possède les politiciens américains? Que les politiciens ne se battent pas pour des idées, mais pour des titres? Aurait-on peur de montrer qu'entre l'administration Obama et l'administration W., les vraies différences sont surtout d'apparences? Obama sera-t-il soft, quand W. était va-t-en guerre?
Obama remet-il en question la guerre contre le terrorisme qui est légitimé par le 911? Nullement. C'est qu'il va proposer le Nouvel Ordre Mondial pour remédier à la crise financière qui ravagerait tout sans son plan de sauvetage démocrate et salvateur. Obama ne peut pas empêcher la démarche suicidaire des pirates de la finance mondialisée, selon lesquels il convient d'augmenter et d'accroître leur pouvoir à mesure que le système qu'ils promeuvent et dont ils profitent éhontément se délite et décline. Tout va bien : ce sont les empoisonneurs qui deviennent les médecins.
Veut-on une comparaison pour les pirates de la finance? C'est la politique suicidaire d'Israël. Israël s'autodétruit à mesure qu'il détruit - et accroît son pouvoir. Le pouvoir destructeur trouve sa limite dans la destruction qu'il ne manque pas au final et in fine de s'infliger. Pour en revenir aux distinctions de Vaïsse, lui-même finit par reconnaître que le véritable affrontement interne se situe entre faucons et réalistes.
Mais les fausses différences servent surtout à masquer les vrais problèmes. Jamais Vaïsse n'aborde la question de la présentation scandaleuse du 911, des mensonges de la guerre contre le terrorisme, de la crise financière actuelle, qui n'est pas transitoire mais systémique et indépassable, du Nouvel Ordre Mondial comme remède consistant à empirer le mal... Vaïsse élude le principal pour distinguer le superficiel.
C'est très bien de distinguer le superficiel, mais à condition que le superficiel ne divertisse pas - de l'essentiel. Obama nous divertit avec la fin de Guantanamo pour nous faire oublier que la guerre contre le terrorisme continue et que le 911 a été commandité par le cœur du pouvoir américain, occidentaliste, atlantiste, mondialisé : les factions bancaires qui se réunissent en toute discrétion dans les conseils d'administration et qui prennent en toute impunité les décisions les plus graves qui soient.
"Tiens, très cher ami, les affaires vont bien mal... Il est certain que nous connaîtrons une crise systémique terminale et incurable.
- Je ne vous le fais pas dire. Quelle catastrophe!
- Rassurez-vous, j'ai une solution : nous allons organiser un attentat terrible et traumatisant qui viendra légitimer le Nouvel Ordre Mondial, soit l'Ordre Oligarchique Mondial.
- Si je vous suis bien, il s'agira de faire passer la mutation de la démocratie en oligarchie au nom de la résolution de la crise par la révolution de la mondialisation?
- C'est bien ça!
- Mais c'est une idée géniale!
- Vous êtes trop bon...
- Et votre attentat exceptionnel?
- Permettez-moi de vous conseiller. Regardez la télévision, lisez et écoutez les nouvelles durant l'année à venir : vous entendrez parler de notre petit feu d'artifice à coup sûr! Je préfère garder le déroulement des actions, que tout le suspense de cette belle entreprise ne vous soit pas éventé. La prémonition suspecte des événements vous gâcherait là n'en pas douter e plaisir du spectacle! Et quel spectacle! Du jamais vu!"
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/19/barack-obama-se-montre-tantot-realiste-tantot-idealiste_1143608_3222.html
"Historien, Justin Vaisse est un spécialiste de la diplomatie américaine, et chercheur à la Brookings Institution.
Le départ de George Bush signe-t-il définitivement l'échec des néoconservateurs ?
Les faucons nationalistes partagent la vision musclée des néoconservateurs, mais ne s'intéressent pas à la question de la démocratie, des régimes politiques. Ils veulent projeter une image de force à l'extérieur pour que l'Amérique soit respectée.
Les réalistes, au contraire, prennent la diplomatie au sérieux. Ils privilégient l'ordre et l'équilibre des puissances, se méfient des grandes utopies, et acceptent la légitimité des régimes autocratiques, avec lesquels il faut parfois négocier pour avancer les intérêts américains.
Comment décrire ces trois camps ?
Les néoconservateurs veulent une Amérique forte, active et interventionniste, qui façonne son environnement international. Si elle ne le fait pas, des forces hostiles le feront, ce qui mettra en danger la sécurité des États-Unis et la paix internationale. Ils défendent la démocratie tant pour des raisons morales que pour des raisons de stabilité : les démocraties sont plus pacifiques (entre elles), elles n'engendrent pas de terrorisme ou de prolifération et ne menacent pas les Etats-Unis. Que ce soit pour l'URSS, l'Irak ou l'Iran, ils préfèrent changer le régime plutôt que de le légitimer par le dialogue avec lui.Les faucons nationalistes partagent la vision musclée des néoconservateurs, mais ne s'intéressent pas à la question de la démocratie, des régimes politiques. Ils veulent projeter une image de force à l'extérieur pour que l'Amérique soit respectée.
Les réalistes, au contraire, prennent la diplomatie au sérieux. Ils privilégient l'ordre et l'équilibre des puissances, se méfient des grandes utopies, et acceptent la légitimité des régimes autocratiques, avec lesquels il faut parfois négocier pour avancer les intérêts américains.
Qui l'a emporté ?
Trouve-t-on, au sein de l'administration Obama, de telles divisions entre écoles de pensée ?
Qui sont les réalistes ?
Il existe aussi une troisième école, celle qui met en avant l'importance des institutions internationales et du multilatéralisme. Quelqu'un comme Anne-Marie Slaughter, qui devrait diriger le centre d'analyse et de prévision du département d'Etat, insiste sur la nécessité de renforcer les organisations internationales et les normes collectives. Ces "institutionnalistes" pourraient jouer un rôle d'arbitrage entre les réalistes et les interventionnistes.
Et Barack Obama, quelle est sa vision du monde ?
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