L'individualisme moderne, qui accompagne l'avènement de l'immanentisme, à commencer par toutes les idéologies légitimant sa prise de pouvoir, s'explique tout à fait par l'idéologie immanentiste qui situe dans l'individu le principe de sa mutation et de sa supériorité. Effectivement, selon le principe classique, l'individu est clairement un fondement insuffisant par rapport aux principes créateurs de l'homme, qui ne peuvent s'exprimer qu'en privilégiant le groupe, soit en favorisant l'expression de la réalité qui dépasse le physique ou le sensible.
C'est parce que l'immanentisme prétend avoir réalisé le Progrès de situer la nouvelle faculté mutante de l'homme dans chaque individu, la Raison ou le Désir, que l'individualisme peut de nouveau fleurir comme s'il s'agissait, non plus d'une funeste promesse de déchéance, mais d'un fondement enfin trouvé et porteur de perfection et de joie... Si l'individu est un principe suffisant, alors l'individualisme passe du statu de mal politique numéro un, et d'incarnation politique du mal ontologique premier, au rang de progrès éblouissant et absolu.
On peut retrouver les racines philosophiques de la promotion de l'individu auprès de penseurs qui semblent aux antipodes des préceptes de l'immanentisme. C'est qu'il faut comprendre que l'immanentisme n'est pas le déroulement d'une doctrine consciente, à laquelle on souscrirait librement (ou non), mais l'expression de la mentalité dominante moderne, qui imprègne tous les discours et qui se déploie de manière le plus souvent inconsciente.
Kierkegaard ne saurait en tant que chrétien patenté se révéler immanentiste... Sauf qu'il est le père de l'existentialisme et qu'en tant que tel il dresse l'apologie de l'Individu. Rappelons que Kierkegaard est aussi un protestant dissident et qu'il serait facile de constater que c'est au sein de cette mouvance que se produit la mutation immanentiste. Kierkegaard charrie ainsi des bribes cruciales de la posture immanentiste en pensant lutter contre l'influence néohégélienne et contre la réaction chrétienne. Je veux dire : en voulant donner l'image d'un christianisme moderne et non pas d'un christianisme passéiste, Kierkegaard, dont la pensée est par ailleurs tout à fait de qualité, en vient à dresser l'apologie de l'Individu, soit à se retrouver en conformité avec l'immanentisme, dont la spécificité consiste à se faire passer pour un message progressiste et anticonformiste.
L'anticonformisme au pouvoir, c'est assez drôle! Dans le cas de Kierkegaard, il faut noter que Kierkegaard se situe à une période de transition notoire, dans un pays assez conservateur et qu'il ne possède certainement pas assez de recul pour comprendre que le vrai ennemi en se situe pas au sein des mouvances réactionnaires de son pays (dont le caractère pernicieux est par ailleurs indubitable); mais au sein de ceux qui se prétendent les progressiste par excellence et qui regroupent toutes les catégories progressistes, du progressisme collectiviste dont Marx est le héraut au progressisme chrétien dont Kierkegaard reprend le flambeau.
On n'oublie pas que dans les écrits les plus nihilistes de l'immanentisme (qui est déjà l'expression du nihilisme), la présentation du désir en vient à décrire le désir comme l'incarnation de la complétude. C'est une position inquiétante, caractéristique du déni, en ce que l'étymologie même du désir signale l'incomplétude. N'ajoutons pas que toute la culture classique fait du désir l'incomplet.
Ne concluons pas sur ce chapitre consternant de l'histoire humaine que la complétude du désir laisse surtout transparaître la faillite et le péril d'une telle thèse et que, loin de démontrer de quelque manière la pertinence de leur thèse, nos immanentistes produisent des preuves explicites de la faillite de leur thèse, qui pourrait se résumer comme suit : face à un problème, poru résoudre ledit problème, faites-le disparaître.
Évidemment, cette opération s'apparente curieusement à de la magie et ne résout pas le problème. Elle aurait même tendance à l'empirer en le déniant. Mais tous les immanentistes sont des suppôts du déni, dont la définition pourrait être la suivante : nier le problème pour dire qu'il n'existe pas. Résultat : accroître le problème dénié par la culture du déni - jusqu'à la destruction.
Il suffit de lire un des derniers opuscules de Rosset pour comprendre cette présentation : La Nuit de mai. Musset était-il immanentiste? En tout cas, les analyses intéressantes de Rosset sur la passion, voire l'obsession, aboutiraient en elles-mêmes plutôt à la conclusion que le désir humain est en lui-même incomplet et défectueux, ce qui en signifie pas que le désir ne soit pas viable ni aménageable. Il faudrait d'ailleurs laisser la parole à Balzac pour se rendre compte que Balzac avait une approche tragique et classique du désir et qu'il n'aurait à aucun moment approuvé l'hypothèse de la complétude du désir.
Rosset ne démontre jamais son postulat de la complétude du désir. C'est pourtant un postulat qui provoque des ravages définitifs et monstrueux sur le désir humain, sur le mode typique du déni : non, je ne suis pas alcoolique. Et pour prouver que je ne suis pas alcoolique, je bois d'autant plus que je ne suis pas alcoolique. Il serait fort facile d'écrire un petit opuscule intitulé (par exemple) Le Jour de joint, dans lequel on démonterait l'argutie centrale de Rosset sur le désir : en gros, si le désir exprime à chaque fois le désir de la partie, on voit mal comment le désir partiel pourrait devenir complet, à moins de sombrer dans la démesure : dès lors, le désir serait complet s'il était le tout - et non plus la partie.
C'est inquiétant, d'un point de vue psychopathologique, de lancer que le désir est complet, si cet énoncé revient à affirmer en creux, mais de manière primordiale, que la partie est complétude (que le désir est complétude). Il suffit d'énoncer calmement et froidement les choses pour se rendre compte que le désir ne saurait être complétude. Tout simplement. L'étymologie parle plus clairement que de longs discours.
Quand on a compris la supercherie grossière, qui s'observe sans barguigner dans l'exposé-aveu de Rosset, on mesure que la complétude supposée du désir s'associe à l'indivision fondamentale de l'individu. A quoi renvoie explicitement cette trouvaille de fondement miraculeux et tant recherché? Il serait temps de rappeler que la quête du fondement ontologique s'apparente à la quête du Saint Graal : trouver le Graal, c'est dénicher le fondement introuvable.
Aristote en cherchant la vraie forme ne fait que reprendre l'interrogation qui circule au travers de toutes les cultures transcendantalistes, bien avant le monothéisme, et dès les limbes du polythéisme. "Qu'est-ce que la forme?" signifie aussi : "qu'est-ce que le fondement?". La promotion de l'individu, complémentaire de la promotion du désir, dont l'expression est éminemment individuelle, signifie tout simplement l'avènement au pouvoir de l'immanentisme.
L'individu est indivis en ce que l'indivision renvoie à l'apparence, à l'immédiat, au sensible, au physique. Avancer que l'individu est le fondement implique d'évidence que le fondement soit d'ordre sensible. L'individu n'est fondement que dans la mentalité immanentiste. Toute l'entreprise qui consiste à fonder l'individu postule que l'indivision tapie derrière l'individu est la seule indivision possible et que cette indivision est d'ordre physique, sensible et immanentiste.
L'indivision de l'individu était considéré comme une aberration ontologique et politique pour l'ensemble de la culture classique, selon laquelle le fondement consiste précisément et quasiment au préalable à unir les individus. C'est dire que ce qui semblait le plus incomplet, le fondement physique et sensible de l'individu, devient, par la grâce d'un coup de baguette magique, le miracle de la complétude et de la grâce réunies, soit la découverte inattendue et extraordinaire du fameux fondement introuvable.
C'est parce que l'immanentisme prétend avoir réalisé le Progrès de situer la nouvelle faculté mutante de l'homme dans chaque individu, la Raison ou le Désir, que l'individualisme peut de nouveau fleurir comme s'il s'agissait, non plus d'une funeste promesse de déchéance, mais d'un fondement enfin trouvé et porteur de perfection et de joie... Si l'individu est un principe suffisant, alors l'individualisme passe du statu de mal politique numéro un, et d'incarnation politique du mal ontologique premier, au rang de progrès éblouissant et absolu.
On peut retrouver les racines philosophiques de la promotion de l'individu auprès de penseurs qui semblent aux antipodes des préceptes de l'immanentisme. C'est qu'il faut comprendre que l'immanentisme n'est pas le déroulement d'une doctrine consciente, à laquelle on souscrirait librement (ou non), mais l'expression de la mentalité dominante moderne, qui imprègne tous les discours et qui se déploie de manière le plus souvent inconsciente.
Kierkegaard ne saurait en tant que chrétien patenté se révéler immanentiste... Sauf qu'il est le père de l'existentialisme et qu'en tant que tel il dresse l'apologie de l'Individu. Rappelons que Kierkegaard est aussi un protestant dissident et qu'il serait facile de constater que c'est au sein de cette mouvance que se produit la mutation immanentiste. Kierkegaard charrie ainsi des bribes cruciales de la posture immanentiste en pensant lutter contre l'influence néohégélienne et contre la réaction chrétienne. Je veux dire : en voulant donner l'image d'un christianisme moderne et non pas d'un christianisme passéiste, Kierkegaard, dont la pensée est par ailleurs tout à fait de qualité, en vient à dresser l'apologie de l'Individu, soit à se retrouver en conformité avec l'immanentisme, dont la spécificité consiste à se faire passer pour un message progressiste et anticonformiste.
L'anticonformisme au pouvoir, c'est assez drôle! Dans le cas de Kierkegaard, il faut noter que Kierkegaard se situe à une période de transition notoire, dans un pays assez conservateur et qu'il ne possède certainement pas assez de recul pour comprendre que le vrai ennemi en se situe pas au sein des mouvances réactionnaires de son pays (dont le caractère pernicieux est par ailleurs indubitable); mais au sein de ceux qui se prétendent les progressiste par excellence et qui regroupent toutes les catégories progressistes, du progressisme collectiviste dont Marx est le héraut au progressisme chrétien dont Kierkegaard reprend le flambeau.
On n'oublie pas que dans les écrits les plus nihilistes de l'immanentisme (qui est déjà l'expression du nihilisme), la présentation du désir en vient à décrire le désir comme l'incarnation de la complétude. C'est une position inquiétante, caractéristique du déni, en ce que l'étymologie même du désir signale l'incomplétude. N'ajoutons pas que toute la culture classique fait du désir l'incomplet.
Ne concluons pas sur ce chapitre consternant de l'histoire humaine que la complétude du désir laisse surtout transparaître la faillite et le péril d'une telle thèse et que, loin de démontrer de quelque manière la pertinence de leur thèse, nos immanentistes produisent des preuves explicites de la faillite de leur thèse, qui pourrait se résumer comme suit : face à un problème, poru résoudre ledit problème, faites-le disparaître.
Évidemment, cette opération s'apparente curieusement à de la magie et ne résout pas le problème. Elle aurait même tendance à l'empirer en le déniant. Mais tous les immanentistes sont des suppôts du déni, dont la définition pourrait être la suivante : nier le problème pour dire qu'il n'existe pas. Résultat : accroître le problème dénié par la culture du déni - jusqu'à la destruction.
Il suffit de lire un des derniers opuscules de Rosset pour comprendre cette présentation : La Nuit de mai. Musset était-il immanentiste? En tout cas, les analyses intéressantes de Rosset sur la passion, voire l'obsession, aboutiraient en elles-mêmes plutôt à la conclusion que le désir humain est en lui-même incomplet et défectueux, ce qui en signifie pas que le désir ne soit pas viable ni aménageable. Il faudrait d'ailleurs laisser la parole à Balzac pour se rendre compte que Balzac avait une approche tragique et classique du désir et qu'il n'aurait à aucun moment approuvé l'hypothèse de la complétude du désir.
Rosset ne démontre jamais son postulat de la complétude du désir. C'est pourtant un postulat qui provoque des ravages définitifs et monstrueux sur le désir humain, sur le mode typique du déni : non, je ne suis pas alcoolique. Et pour prouver que je ne suis pas alcoolique, je bois d'autant plus que je ne suis pas alcoolique. Il serait fort facile d'écrire un petit opuscule intitulé (par exemple) Le Jour de joint, dans lequel on démonterait l'argutie centrale de Rosset sur le désir : en gros, si le désir exprime à chaque fois le désir de la partie, on voit mal comment le désir partiel pourrait devenir complet, à moins de sombrer dans la démesure : dès lors, le désir serait complet s'il était le tout - et non plus la partie.
C'est inquiétant, d'un point de vue psychopathologique, de lancer que le désir est complet, si cet énoncé revient à affirmer en creux, mais de manière primordiale, que la partie est complétude (que le désir est complétude). Il suffit d'énoncer calmement et froidement les choses pour se rendre compte que le désir ne saurait être complétude. Tout simplement. L'étymologie parle plus clairement que de longs discours.
Quand on a compris la supercherie grossière, qui s'observe sans barguigner dans l'exposé-aveu de Rosset, on mesure que la complétude supposée du désir s'associe à l'indivision fondamentale de l'individu. A quoi renvoie explicitement cette trouvaille de fondement miraculeux et tant recherché? Il serait temps de rappeler que la quête du fondement ontologique s'apparente à la quête du Saint Graal : trouver le Graal, c'est dénicher le fondement introuvable.
Aristote en cherchant la vraie forme ne fait que reprendre l'interrogation qui circule au travers de toutes les cultures transcendantalistes, bien avant le monothéisme, et dès les limbes du polythéisme. "Qu'est-ce que la forme?" signifie aussi : "qu'est-ce que le fondement?". La promotion de l'individu, complémentaire de la promotion du désir, dont l'expression est éminemment individuelle, signifie tout simplement l'avènement au pouvoir de l'immanentisme.
L'individu est indivis en ce que l'indivision renvoie à l'apparence, à l'immédiat, au sensible, au physique. Avancer que l'individu est le fondement implique d'évidence que le fondement soit d'ordre sensible. L'individu n'est fondement que dans la mentalité immanentiste. Toute l'entreprise qui consiste à fonder l'individu postule que l'indivision tapie derrière l'individu est la seule indivision possible et que cette indivision est d'ordre physique, sensible et immanentiste.
L'indivision de l'individu était considéré comme une aberration ontologique et politique pour l'ensemble de la culture classique, selon laquelle le fondement consiste précisément et quasiment au préalable à unir les individus. C'est dire que ce qui semblait le plus incomplet, le fondement physique et sensible de l'individu, devient, par la grâce d'un coup de baguette magique, le miracle de la complétude et de la grâce réunies, soit la découverte inattendue et extraordinaire du fameux fondement introuvable.
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