mardi 11 novembre 2008

Le pal des vampires

"Je sais très bien ce que c'est que l'alternative. C'est un peu le bal des vampires. C'est d'être avec des gens qui pour moi sont des âmes mortes et qui sont dans la jouissance malsaine de la spoliation, de la prédation, et qui compensent ça par la prostitution, les restaurants trois ou quatre étoiles, et franchement je connais un peu ce monde-là, ça ne vaut pas le coup! Nous sommes sans doute ici les moins dépressifs de tous, parce que je remarque aussi, c'est un truc qu'il faut savoir, c'est que les gens qui collaborent au système, je dis pas ceux qui sont tout en haut, peut-être que là il y a une jouissance supérieure, mais ceux qui collaborent au système aux deuxième et troisième niveaux sont très dépressifs en réalité, parce qu'ils savent qu'ils font le mal, ils sont de moins en moins bien rétribués pour le faire, la pression est de plus en plus forte, c'est-à-dire qu'on leur en demande de plus en plus..."

Je reprends cette citation instructive qu'Alain Soral livre à l'Université d'Egalité et Réconciliation, sa petite association politique qui se présente comme une plateforme de réconciliation pour la gauche véritable et la droite des valeurs. Je pourrais exprimer mes fortes réserves sur le nationalisme ou l'alternationalisme dont se prévalent les partisans d'Alain Soral, ce qui n'implique nullement que son discours soit dénué de pertinence.
Mais j'en reviens à cette citation qu'il nous livre dans une envolée fiévreuse dont il la le secret. Évidemment, on pourrait taxer Soral de complotisme aigu. Encore le délire du puissant qui se répand en prévarications et qui se croit tout permis? Le mythe du seigneur abusant du droit de cuissage, alors qu'on sait pertinemment que ce passe-droit abusif ressortit largement de la légende et du mythe?
Pourtant, ce que dit Soral de notre époque est juste : ce que j'ai nommé immanentisme est parent du diabolisme. Et ce qui est particulièrement bien senti dans cette intervention enflammée de Soral, c'est de rappeler que l'effondrement du système se manifeste par le besoin de plus en plus forcené et viscéral d'exiger plus pour produire moins. Véritable slogan de Sarkozy? Autrement dit, à mesure que l'ordre s'effrite et se délite, chaque action à l'intérieur du système nécessite de plus en plus d'énergie pour produire un résultat de moins en moins tangible et effectif.
Ce que Soral voit très bien, c'est ce qu'il nomme le diabolisme de deuxième ou troisième niveaux : le fait que le système repose aussi sur l'acceptation de ses normes et valeurs par les masses, les classes que l'on nomme moyennes et sans lesquelles le système ne subsisterait pas longtemps.
On sait très bien qu'il est impossible d'imposer un système sans l'assentiment de la majorité. L'équilibre n'implique certainement pas la démocratie, mais une dictature qui repose exclusivement sur l'oligarchique est condamnée à disparaître rapidement. La légitimité s'obtient par l'assentiment de ceux qui dirigent de seconde main, comme l'on dit. Ou encore : les classes moyennes.
Soral insiste sur le fait souvent occulté, parce qu'il est scandaleux de rappeler que la vérité d'une mentalité s'obtient en auscultant son ventre mou. Il est plus facile d'incriminer les élites honnies et de pointer du doigt quelques boucs émissaires évidents. En lieu et place, Soral dresse le portrait implicite du petit chef de bureau ignare et prétentieux ou de n'importe quel immanentiste qui soutient le système et le conforte en appliquant à son niveau les valeurs immanentistes et diaboliques. Si le système est diaboliques, tous les rouages le sont, pas seulement les rouages supérieurs.
Tiens, subtil rapprochement, Soral aborde la question de la prostitution : on a souvent tendance à dénoncer la prostitution qui fait fantasmer, la prostitution des élites, la prostitution de luxe pour les grands bourgeois friqués et dépravés, ceux qui croient que l'argent remplace avec bonheur la conscience. Science sans conscience? C'est même moins que ça.
Les enquêtes sociologiques montrent pourtant que le client moyen de la prostitution n'est pas le psychopathe élitiste rêvant de violer ou brûlant de tuer, mais monsieur tout-le-monde. Eh oui, c'est tout le monde qui va aux putes, comme il y a la prostitution pour M. de Niro, les parties fines et les orgies pour la jet set de Toulouse (voir l'affaire Allègre), et les vieilles rombières en porte-jarretelles et bas résilles pour qui n'a qu'un porte-monnaie de représentant.
Je quitte le domaine glauque et si évocateur de la prostitution pour revenir au sujet qui m'intéresse. A un moment de son intervention, Soral insiste sur le fait que le système paye de moins en moins bien ses contributeurs, exception faite de la crème des crèmes, ceux qui éprouvent une sorte de jouissance supérieure, autrement dit ceux qui ont vendu leur âme au diable et qui en récoltent les fruits avariés, mais succulents...
Alors, je vais en revenir à la prostitution : quittons les dédoublements fantomatiques et hallucinatoires. Il n'existe pas plusieurs formes de prostitution, certaines libres et plaisantes, d'autres destructrices. Il n'existe qu'une forme de prostitution. Cette forme peut s'énoncer comme suit : la prostitution revient à une action destructrice et typique du système immanentiste. Quelle que soit la forme de prostitution. Estimer que l'identité peut s'acheter, en particulier le cœur de l'identité, l'identité sexuelle, c'est estimer que tout est fini.
Effectivement, tout l'est - quand on achète tout. Toute prostitution détruit, la prostitution des rues, la prostitution des appartements, la prostitution occasionnelle, la prostitution de luxe. Toutes ces prostitutions ne sont pas des espèces divergentes, mais la même forme de prostitution répartie dans les différentes classes sociales. L'étudiante fauchée qui fait une passe ne prend pas son pied une fois par mois. Elle se prostitue autant que l'habituée qui tous les soirs fait le tapin depuis ses quinze ans.
Dans prostituer s'entend tuer. La prostitution tue. Elle tue autant la personne qui se (prosti)tue que le client et le proxénète. Le système prostitutionnel tue tous ceux qu'il happe dans sa nasse maléfique. Le bon père de famille qui ne s'entend plus avec sa femme et qui va guérir ses problèmes de couple ente les cuises d'une habituée, comme l'on dit, se tue autant que le grand bourgeois qui participe à une partie fine et qui prend son pied en sautant une Slavette sublime, que sa bedaine et ses traits lippus ne lui auraient jamais permis d'approcher en des circonstances sociales d'égalité. La star qui va aux call girls, de de Niro ou d'autres, se tue. Les clients se tuent. Nul besoin d'une liste exhaustive des suicidés de l'identité et de la conscience en lambeaux. C'est un acte suicidaire que d'entrer dans l'engrenage prostitutionnel.
Dès lors, Soral a tort de distinguer plusieurs formes de diabolisme, le diabolisme et la compromission d'Amara, par exemple, et le diabolisme de Sarkozy. Le diabolisme de l'exécutant et celui de l'exécuteur. Encore? Exécutueur? Encore tuer... Ainsi que le savaient fort bien deux écrivaillons en comparaison de la haute stature de nos maîtres BHL et Glucksmann, deux romanciers mineurs et surfaits, aujourd'hui anonymes et oubliés, Goethe et Balzac, tout pacte avec le diable est un pacte avec le diable.
Derrière cette tautologie frisant la lapalissade, il s'agit de rappeler que l'exception qui confirme la règle est aussi l'expression de la règle. Je veux dire par là que tout pacte avec le diable entraîne immanquablement, et quoi qu'il en coûte, coûte que coûte, son prix exorbitant : celui qui contracte ce pacte est aussitôt promis, ou condamné, ou damné, à l'enfer, soit la destruction et la mort. Cette destruction interviendra peut-être, certainement, à n'en pas douter, après cette vie sensible si mystérieuse.
Mais elle intervient aussi dès cette vie, ainsi que le rappelait l'immanentiste en chef Spinoza, qui enseignait que toute action contient sa sanction dans l'action. Tirons toutes les conséquences de cette présence de la justice immanente mentionnée par Spinoza : si tel est le cas, et tel est le cas, toutes les personnes qui pactisent avec le diable en payent le prix, fort et exorbitant. Toutes.
Aussi bien les petits chefs sadiques de bureaux, les roquets de l'administration, les médiocres qui usent leur petit pouvoir à l'aune de leur sadisme étriqué et frustrant; que les grands bourgeois se croyant tout permis, y compris le pire, les dirigeants de l'oligarchie financière, les politiciens dépravés, les PDG milliardaires, les princes du pétrole, les mafieux en col blanc ou mao, les associés supérieurs du diable.
Personne n'obtient de jouissance supérieure en pactisant avec le diable. Plus un pacte se contracte à haut niveau, plus le remboursement différé est d'importance. Plus les jouissances terrestres sont abondantes, plus le prix à payer intervient dans la mort, dès la mort. S'il est évident pour Soral que les pactes moyens sont promis à la destruction, alors il faut en conclure que tout pacte avec le diable détruit.
Ce n'est pas tout : plus le pacte est supérieur, plus le pacte est élitiste, plus la jouissance supérieure est une jouissance destructrice. Personne ne tire profit de son pacte avec le diable. Pas le diabolique de la classe moyenne, le pacte que tout le monde contracte en imitant, en détruisant un peu et avec fierté le faible, le malade, l'opprimé. A fortiori et en bonne logique encore moins le diabolique de la classe supérieure, celui qui se croit tout permis, parce qu'il dispose d'un grand pouvoir et qu'il se tient avec arrogance au-dessus des lois.
Martelons-le à l'adresse de Soral et de tous ceux qui estiment que l'exception élitiste fait la règle commune : si passer à la caisse, c'est passer à la casse, alors cette règle s'applique en premier lieu à l'intention du grand jouisseur élitiste. Personne ne tire profit de son pacte avec le diable. Et plus il a contracté, plus notre contracté en payera le prix fort. Il est évident que cette loi terrible et fatidique concerne en premier lieu, loin devant les cas de justice immanente, les cas de châtiment après la mort, soit les cas de diabolisme des plus prononcés.
Hein, Henry, hein, les autres?

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