Ainsi peut-on à bon droit relever que l'appellation d'immanentisme consiste à mettre du sens là où l'on prétend que le sens est superflu ou inutile. Le sens ne peut être inutile que s'il est déjà là. La théorie du sens différé ou différant n'est que la variante postmoderne et sophistiquée (au sens péjoratif d'artificiel) du sens déjà là.
Comment se fait-il que le sens immédiat et apparent, au sens où le présent serait transparent, corresponde au consumérisme le plus vulgaire? Comment se fait-il que l'erreur coïncide avec la plus vulgaire et la plus destructrice des manifestations? Déjà, l'on peut affirmer que la différance est compatible absolument et seulement avec l'erreur : seule la différance permet en effet de différer la découverte et la supercherie de l'erreur (si l'on veut un exemple historique contemporain, que l'on se reporte au mythe du Vieux de la Montagne entourant Oussama l'introuvable ou le Différant par excellence).
Mais il faut ajouter aussi que le minimalisme accompagne logiquement toute manifestation d'erreur. C'est le cas avec le consumérisme ou avec la quête éperdue et maximaliste du profit, en ce que cette fin est la plus ténue possible dans l'ordre ontologique. Soit : c'est la manifestation d'un réel aussi minimal que possible. Tout minimalisme ontologique implique en ce sens que l'on énonce comme réel premier, immédiat, apparent, transparent et minimal le réel réduit au sensible.
Dans l'ordre des sens, seul le sensible est accessible aux sens. Le reste dépasse nécessairement les sens et donne libre cours à l'essence, soit à la spéculation de l'entendement humain. L'immanentisme consiste à constater que le minimalisme coïncide (étrangement?) avec le caché ou le masqué. Tout ce qui est profond aime le masque, affirmait Nieztsche. Nous pourrions tout aussi bien corriger, parce que nous ne sommes ni nietzschéen, ni immanentiste, que tout ce qui est superficiel aime le masque. Encore s'agit-il de préciser que l'on parle de deux masques assez dissemblables.
La profondeur classique est cachée en ce qu'elle est ailleurs. C'est ce caché qui autorise l'identification du visible. Le sens classique n'est possible qu'en suivant ce mouvement du caché vers le visible. Le sens va du caché vers le visible. C'est ce sens qui fait sens. Sans cette direction ontologique, point de sens. La révolution moderne consiste à supprimer le caché, soit à décréter que le caché équivaut au néant. Le caché classique existait, quand le caché moderne renvoie à l'inexistant ou à l'illusoire.
Le sens devient superflu, puisque l'action du caché vers le visible n'existe plus. Désormais, l'action irait du visible vers le néant et le sens n'a plus guère de sens. Seul le sens des sens possède encore quelque valeur. La disparition du sens engendre l'omnipotence des sens. Le masque classique cache la vérité, quand le masque moderne cache le mensonge. Il est vrai que le sens stipulait que les sens étaient réducteurs et que seule la connaissance du caché permettait la connaissance ontologique.
Cette connaissance découlait de l'usage de la raison et, plus encore, de l'intuition. La raison donne lieu à l'ontologie et à la science; l'intuition à la mystique. La réunion de l'intuition et de la raison accouche, au sens socratique, du religieux comme seule vision capable d'embrasser le réel avec justesse. Quant à la résolution moderne de la dualité classique, force est de reconnaître que le remède est pire encore que le mal qu'il prétend soigner.
C'est qu'auparavant, les formes classiques qui oscillaient dans le transcendantalisme, en gros toutes les expressions polythéistes et monothéistes, à l'intérieur desquelles se retrouvent certaines pensées rationalistes, encore que le rationalisme soit une excroissance caractéristique du monothéisme, avaient toutes valeurs d'identité, en ce que le premier objectif de l'identité est de séparer les parties du tout et de reconnaître le principe traumatisant et religieux du morcèlement.
Le dualisme avait la vertu d'engendrer l'identité. Le monisme présente le défaut rémanent de brouiller et d'interdire cette identification. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que l'immanentisme ne se présente pas explicitement dans l'histoire des idées comme tel et qu'il faille recourir à une appellation ex nihilo pour le définir et le caractériser. C'est qu'il apparaît en masqué et en différé. L'immanentisme n'a pas d'identité propre. Un peu comme pour le principe des chaînes télévisées à péage, il faut l'adjonction d'un décodeur pour le lire et le déchiffrer.
La proposition de l'immanentisme vise précisément à interpréter un mouvement qui se présente sous les oripeaux d'une conciliation et d'un dépassement du dualisme métaphysique, en gros du religieux. En termes d'ontologie, le seul moyen qu'ait trouvé la modernité pour dépasser le dualisme consiste à pondre le monisme. Autre manière, moins provocante, de constater que le seul moyen de dépasser le dualisme consiste à avoir proposé une forme inférieure.
Sans doute fallait-il l'inventer... Toutes les formes dualistes ou classiques sont explicites parce qu'elles ont une identité rendue possible par le dualisme. Quant au monisme, parce qu'il rend impossible cette identification légitime, il se présente sous la forme soit de la vérité, soit de la différance. Dans les deux cas, il repose sur l'erreur et sur le masque. Dans les deux cas, il ne peut être trouvé.
On notera que l'immanentisme vériste (au sens où le vérisme exprimerait la pathologie du mensonge) est l'immanentisme pragmatique, qui croit qu'il a trouvé tout de suite, ici et maintenant, la vérité. Cet immanentisme est peut-être le moins retors en ce qu'il est persuadé que la vérité a été trouvée ou que, si tel n'est pas le cas, ce n'est qu'une question imminente (et immanente) - de jours, de semaines, de mois. Quant l'immanentisme différant et toujours différé, il penche du côte de l'immanentisme progressiste. Il est plus hypocrite et tartuffe, comme dirait un grand expert en hypocrisie.
Sans doute l'hypocrisie trouve-t-elle son champ d'expression dans le domaine du social. Mais il est bon de constater que cette hypocrisie sociale s'adosse sur une hypocrisie ontologique, dont le propre tient à la différance (revisitée par notre grille interprétative). L'hypocrisie est au fond l'expression psychologique de la différance ontologique, soit le fait de refuser l'identité au nom de la dérobade ou de la dissimulation (la simulation n'est pas loin de la dissimulation).
La démarche de définir l'époque moderne par un mouvement inconnu n'est pas une démarche de surinterprétation ou de mésinterprétation qui accoucherait de contresens ou de faux sens. Au contraire, elle consiste à réintroduire du sens là où le sens a disparu, parce que l'on prétend avoir dépassé le sens (alors qu'on l'a simplement enterré dans le placard aux cadavres putréfiés et dérangeants). Interpréter la mentalité de l'époque en constatant que cette mentalité revient à révoquer le sens suppose que l'on donne sens à ce qui fait défaut de sens.
L'interprétation revient aussi à comprendre que seul le mensonge généralisé et systémique peut accoucher du déni de sens. Ce mensonge s'énonce aisément : il consiste à identifier de manière hallucinatoire et démesurée le tout avec la partie. Dès lors, la problématique de l'immanentisme consiste à ne pas identifier l'erreur qu'il charrie et, partant, à ne pas s'identifier (au sens où l'on refusé un contrôle d'identité, parce qu'on n'a pas ses papiers ou parce qu'ils sont faux).
Cette fuite en avant, qui se voudrait perpétuelle et dont nous sentons déjà qu'elle ne sera que provisoire et vouée à l'échec, s'exprime au mieux dans la différance à mesure que l'immanentisme progresse, c'est-à-dire qu'il se réduit et dégénère : au départ de la modernité, le vérisme sincère pouvait encore s'affirmer. A mesure que le temps passe, ce vérisme ou pragmatisme se montre de plus en plus cynique et vicieux, consistant à légitimer les pires atrocités et les pires destructions politiques au nom du principe de réalité.
Mais le plus sûr moyen de légitimer la dégénérescence nécessaire et inéluctable de l'immanentisme, soit du mensonge ontologique fondamental, consiste bien entendu à différer puisque ce qui est sans cesse différé est invérifiable et insaisissable. C'est bien ce à quoi tend depuis son origine, et de plus en plus à mesure qu'il progresse/dégénère, ce mouvement de réduction du reél et, partant, de dégénérescence. En effet, l'on tend à oublier que le fini seul est par définition fini - dans tous les sens du terme.
Rien d'étonnant dès lors à assister au spectacle de la dégénérescence de l'immanentisme : ce déclin était prévisible et c'est le propre du déni que d'empêcher la prévisibilité d'un mouvement dont la folie consiste à prendre (et à pendre) la partie pour le tout - et la fin pour le réel. Le mensonge est ainsi défini comme d'essence et de trajectoire profondément destructrice, puisque fondamentalement et premièrement, le mensonge ontologique revient à la réduction maximaliste du réel à sa forme la plus minimaliste/réductrice.
Quant à la démarche consistant à donner du sens là où il y a réfutation mensongère et déni de sens, il s'agit de comprendre que l'hypothèse de l'immanentisme est un effort de définition au sens où l'on parle d'effort pédagogique. Comprendre notre époque, c'est comprendre que notre époque est d'essence immanentiste, c'est-à-dire que pour comprendre, il faut mettre du sens. Cette opération conceptuelle implique que moins il y a de sens, plus la nécessité d'en produire se signale.
Reste à noter que selon toute logique il est certain que le fait de proposer du sens en lieu et place d'un déni de sens aboutit à la production d'une hypothèse inconnue, d'apparence fragile et incertaine. C'est la raison pour laquelle personne encore n'a entendu parler de l'immanentisme, qui définit ainsi la mentalité par excellence du masque et du déni. Quant à se demander pourquoi l'immanentisme est resté si longtemps une mentalité du déni ou une mentalité du travestissement à l'oeuvre et non démasquée, nous suggèrerons à ce sujet le culte de la forclusion propre à toute mentalité. Il s'agit d'enterrer ce qui est trop cruel ou trop insupportable à contempler, un peu comme Œdipe se crève les yeux pour ne pas admettre la vérité - qu'il a couché avec sa mère et qu'il a tué son père en essayant d'échapper à son funeste destin.
En l'occurrence il faut que les espoirs placés dans la révolution de la modernité, la révolution immanentiste, qui est une révolution scientifique et technologique, aient été bien vivaces et bien persistants pour que le déni parvienne à maintenir ainsi sa chape de plomb et à laisser croire aussi longtemps (quatre siècles comme le chanterait Tosh) que ses mirages étaient des fruits chatoyants. Et il faut que cette époque vive vraiment ses instants de plomb et de déchéance pour que l'on ose insinuer enfin, encore timidement, à travers le mur en lambeaux, que les progrès n'étaient pas des progrès, mais des mensonges, mais des régressions, mais des erreurs, et que ce que l'on prenait pour le dépassement du modèle classique, le couronnement et la fin, n'étaient jamais que le renversement régressif du classicisme : des vessies pour des lanternes.
En ce sens, la révélation de l'immanentisme, comme proposition d'interprétation et hypothèse ontologico-religieuse, ne résulte pas d'une invention fumiste, mais d'un besoin urgent : retrouver le chemin du sens et démystifier l'imposture de notre époque et de sa mentalité nihiliste. Car il est un lien que l'on ne peut atténuer et qui indique que les variantes ne sont jamais que les changements/différences opérées à partir d'une même structure ontologique : l'immanentisme est le rejeton moderne du nihilisme, courant de pensée qui n'avait jamais été majoritaire et qui pointait le bout de son nez dans les périodes de crise (sophistique ou matérialisme pour l'Antiquité occidentale).
La différence entre la modernité et les périodes précédentes, c'est que pour la première fois dans l'histoire, au moins l'histoire connue, le nihilisme a pris le pouvoir. Il est devenu majoritaire sous les traits modernes de l'immanentisme. C'est bien entendu au nom du Progrès que le nihilisme a pris le pouvoir, soit avec le présupposé que l'immanentisme allait apporter un progrès indéniable : progrès qui ne pouvait être que matérialiste et consumériste, puisque le nihilisme, comme son nom l'indique, remplace l'Etre par le néant. Encore oublia-t-on le diabolisme de cette trouvaille saugrenue : toute fin nihiliste finit dans le néant et c'est la raison pour laquelle le nihilisme mérite d'être défini comme une crise dont il faut sortir. Plus que jamais.
Comment se fait-il que le sens immédiat et apparent, au sens où le présent serait transparent, corresponde au consumérisme le plus vulgaire? Comment se fait-il que l'erreur coïncide avec la plus vulgaire et la plus destructrice des manifestations? Déjà, l'on peut affirmer que la différance est compatible absolument et seulement avec l'erreur : seule la différance permet en effet de différer la découverte et la supercherie de l'erreur (si l'on veut un exemple historique contemporain, que l'on se reporte au mythe du Vieux de la Montagne entourant Oussama l'introuvable ou le Différant par excellence).
Mais il faut ajouter aussi que le minimalisme accompagne logiquement toute manifestation d'erreur. C'est le cas avec le consumérisme ou avec la quête éperdue et maximaliste du profit, en ce que cette fin est la plus ténue possible dans l'ordre ontologique. Soit : c'est la manifestation d'un réel aussi minimal que possible. Tout minimalisme ontologique implique en ce sens que l'on énonce comme réel premier, immédiat, apparent, transparent et minimal le réel réduit au sensible.
Dans l'ordre des sens, seul le sensible est accessible aux sens. Le reste dépasse nécessairement les sens et donne libre cours à l'essence, soit à la spéculation de l'entendement humain. L'immanentisme consiste à constater que le minimalisme coïncide (étrangement?) avec le caché ou le masqué. Tout ce qui est profond aime le masque, affirmait Nieztsche. Nous pourrions tout aussi bien corriger, parce que nous ne sommes ni nietzschéen, ni immanentiste, que tout ce qui est superficiel aime le masque. Encore s'agit-il de préciser que l'on parle de deux masques assez dissemblables.
La profondeur classique est cachée en ce qu'elle est ailleurs. C'est ce caché qui autorise l'identification du visible. Le sens classique n'est possible qu'en suivant ce mouvement du caché vers le visible. Le sens va du caché vers le visible. C'est ce sens qui fait sens. Sans cette direction ontologique, point de sens. La révolution moderne consiste à supprimer le caché, soit à décréter que le caché équivaut au néant. Le caché classique existait, quand le caché moderne renvoie à l'inexistant ou à l'illusoire.
Le sens devient superflu, puisque l'action du caché vers le visible n'existe plus. Désormais, l'action irait du visible vers le néant et le sens n'a plus guère de sens. Seul le sens des sens possède encore quelque valeur. La disparition du sens engendre l'omnipotence des sens. Le masque classique cache la vérité, quand le masque moderne cache le mensonge. Il est vrai que le sens stipulait que les sens étaient réducteurs et que seule la connaissance du caché permettait la connaissance ontologique.
Cette connaissance découlait de l'usage de la raison et, plus encore, de l'intuition. La raison donne lieu à l'ontologie et à la science; l'intuition à la mystique. La réunion de l'intuition et de la raison accouche, au sens socratique, du religieux comme seule vision capable d'embrasser le réel avec justesse. Quant à la résolution moderne de la dualité classique, force est de reconnaître que le remède est pire encore que le mal qu'il prétend soigner.
C'est qu'auparavant, les formes classiques qui oscillaient dans le transcendantalisme, en gros toutes les expressions polythéistes et monothéistes, à l'intérieur desquelles se retrouvent certaines pensées rationalistes, encore que le rationalisme soit une excroissance caractéristique du monothéisme, avaient toutes valeurs d'identité, en ce que le premier objectif de l'identité est de séparer les parties du tout et de reconnaître le principe traumatisant et religieux du morcèlement.
Le dualisme avait la vertu d'engendrer l'identité. Le monisme présente le défaut rémanent de brouiller et d'interdire cette identification. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que l'immanentisme ne se présente pas explicitement dans l'histoire des idées comme tel et qu'il faille recourir à une appellation ex nihilo pour le définir et le caractériser. C'est qu'il apparaît en masqué et en différé. L'immanentisme n'a pas d'identité propre. Un peu comme pour le principe des chaînes télévisées à péage, il faut l'adjonction d'un décodeur pour le lire et le déchiffrer.
La proposition de l'immanentisme vise précisément à interpréter un mouvement qui se présente sous les oripeaux d'une conciliation et d'un dépassement du dualisme métaphysique, en gros du religieux. En termes d'ontologie, le seul moyen qu'ait trouvé la modernité pour dépasser le dualisme consiste à pondre le monisme. Autre manière, moins provocante, de constater que le seul moyen de dépasser le dualisme consiste à avoir proposé une forme inférieure.
Sans doute fallait-il l'inventer... Toutes les formes dualistes ou classiques sont explicites parce qu'elles ont une identité rendue possible par le dualisme. Quant au monisme, parce qu'il rend impossible cette identification légitime, il se présente sous la forme soit de la vérité, soit de la différance. Dans les deux cas, il repose sur l'erreur et sur le masque. Dans les deux cas, il ne peut être trouvé.
On notera que l'immanentisme vériste (au sens où le vérisme exprimerait la pathologie du mensonge) est l'immanentisme pragmatique, qui croit qu'il a trouvé tout de suite, ici et maintenant, la vérité. Cet immanentisme est peut-être le moins retors en ce qu'il est persuadé que la vérité a été trouvée ou que, si tel n'est pas le cas, ce n'est qu'une question imminente (et immanente) - de jours, de semaines, de mois. Quant l'immanentisme différant et toujours différé, il penche du côte de l'immanentisme progressiste. Il est plus hypocrite et tartuffe, comme dirait un grand expert en hypocrisie.
Sans doute l'hypocrisie trouve-t-elle son champ d'expression dans le domaine du social. Mais il est bon de constater que cette hypocrisie sociale s'adosse sur une hypocrisie ontologique, dont le propre tient à la différance (revisitée par notre grille interprétative). L'hypocrisie est au fond l'expression psychologique de la différance ontologique, soit le fait de refuser l'identité au nom de la dérobade ou de la dissimulation (la simulation n'est pas loin de la dissimulation).
La démarche de définir l'époque moderne par un mouvement inconnu n'est pas une démarche de surinterprétation ou de mésinterprétation qui accoucherait de contresens ou de faux sens. Au contraire, elle consiste à réintroduire du sens là où le sens a disparu, parce que l'on prétend avoir dépassé le sens (alors qu'on l'a simplement enterré dans le placard aux cadavres putréfiés et dérangeants). Interpréter la mentalité de l'époque en constatant que cette mentalité revient à révoquer le sens suppose que l'on donne sens à ce qui fait défaut de sens.
L'interprétation revient aussi à comprendre que seul le mensonge généralisé et systémique peut accoucher du déni de sens. Ce mensonge s'énonce aisément : il consiste à identifier de manière hallucinatoire et démesurée le tout avec la partie. Dès lors, la problématique de l'immanentisme consiste à ne pas identifier l'erreur qu'il charrie et, partant, à ne pas s'identifier (au sens où l'on refusé un contrôle d'identité, parce qu'on n'a pas ses papiers ou parce qu'ils sont faux).
Cette fuite en avant, qui se voudrait perpétuelle et dont nous sentons déjà qu'elle ne sera que provisoire et vouée à l'échec, s'exprime au mieux dans la différance à mesure que l'immanentisme progresse, c'est-à-dire qu'il se réduit et dégénère : au départ de la modernité, le vérisme sincère pouvait encore s'affirmer. A mesure que le temps passe, ce vérisme ou pragmatisme se montre de plus en plus cynique et vicieux, consistant à légitimer les pires atrocités et les pires destructions politiques au nom du principe de réalité.
Mais le plus sûr moyen de légitimer la dégénérescence nécessaire et inéluctable de l'immanentisme, soit du mensonge ontologique fondamental, consiste bien entendu à différer puisque ce qui est sans cesse différé est invérifiable et insaisissable. C'est bien ce à quoi tend depuis son origine, et de plus en plus à mesure qu'il progresse/dégénère, ce mouvement de réduction du reél et, partant, de dégénérescence. En effet, l'on tend à oublier que le fini seul est par définition fini - dans tous les sens du terme.
Rien d'étonnant dès lors à assister au spectacle de la dégénérescence de l'immanentisme : ce déclin était prévisible et c'est le propre du déni que d'empêcher la prévisibilité d'un mouvement dont la folie consiste à prendre (et à pendre) la partie pour le tout - et la fin pour le réel. Le mensonge est ainsi défini comme d'essence et de trajectoire profondément destructrice, puisque fondamentalement et premièrement, le mensonge ontologique revient à la réduction maximaliste du réel à sa forme la plus minimaliste/réductrice.
Quant à la démarche consistant à donner du sens là où il y a réfutation mensongère et déni de sens, il s'agit de comprendre que l'hypothèse de l'immanentisme est un effort de définition au sens où l'on parle d'effort pédagogique. Comprendre notre époque, c'est comprendre que notre époque est d'essence immanentiste, c'est-à-dire que pour comprendre, il faut mettre du sens. Cette opération conceptuelle implique que moins il y a de sens, plus la nécessité d'en produire se signale.
Reste à noter que selon toute logique il est certain que le fait de proposer du sens en lieu et place d'un déni de sens aboutit à la production d'une hypothèse inconnue, d'apparence fragile et incertaine. C'est la raison pour laquelle personne encore n'a entendu parler de l'immanentisme, qui définit ainsi la mentalité par excellence du masque et du déni. Quant à se demander pourquoi l'immanentisme est resté si longtemps une mentalité du déni ou une mentalité du travestissement à l'oeuvre et non démasquée, nous suggèrerons à ce sujet le culte de la forclusion propre à toute mentalité. Il s'agit d'enterrer ce qui est trop cruel ou trop insupportable à contempler, un peu comme Œdipe se crève les yeux pour ne pas admettre la vérité - qu'il a couché avec sa mère et qu'il a tué son père en essayant d'échapper à son funeste destin.
En l'occurrence il faut que les espoirs placés dans la révolution de la modernité, la révolution immanentiste, qui est une révolution scientifique et technologique, aient été bien vivaces et bien persistants pour que le déni parvienne à maintenir ainsi sa chape de plomb et à laisser croire aussi longtemps (quatre siècles comme le chanterait Tosh) que ses mirages étaient des fruits chatoyants. Et il faut que cette époque vive vraiment ses instants de plomb et de déchéance pour que l'on ose insinuer enfin, encore timidement, à travers le mur en lambeaux, que les progrès n'étaient pas des progrès, mais des mensonges, mais des régressions, mais des erreurs, et que ce que l'on prenait pour le dépassement du modèle classique, le couronnement et la fin, n'étaient jamais que le renversement régressif du classicisme : des vessies pour des lanternes.
En ce sens, la révélation de l'immanentisme, comme proposition d'interprétation et hypothèse ontologico-religieuse, ne résulte pas d'une invention fumiste, mais d'un besoin urgent : retrouver le chemin du sens et démystifier l'imposture de notre époque et de sa mentalité nihiliste. Car il est un lien que l'on ne peut atténuer et qui indique que les variantes ne sont jamais que les changements/différences opérées à partir d'une même structure ontologique : l'immanentisme est le rejeton moderne du nihilisme, courant de pensée qui n'avait jamais été majoritaire et qui pointait le bout de son nez dans les périodes de crise (sophistique ou matérialisme pour l'Antiquité occidentale).
La différence entre la modernité et les périodes précédentes, c'est que pour la première fois dans l'histoire, au moins l'histoire connue, le nihilisme a pris le pouvoir. Il est devenu majoritaire sous les traits modernes de l'immanentisme. C'est bien entendu au nom du Progrès que le nihilisme a pris le pouvoir, soit avec le présupposé que l'immanentisme allait apporter un progrès indéniable : progrès qui ne pouvait être que matérialiste et consumériste, puisque le nihilisme, comme son nom l'indique, remplace l'Etre par le néant. Encore oublia-t-on le diabolisme de cette trouvaille saugrenue : toute fin nihiliste finit dans le néant et c'est la raison pour laquelle le nihilisme mérite d'être défini comme une crise dont il faut sortir. Plus que jamais.
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