Il est instructif de scruter le parcours de deux anciens Conseillers à la sécurité nationale, Brent Scowcroft et Henry Kissinger. On sait que Kissinger occupa une place de rock star, pardon, de diplomate, dans les années soixante-dix en détenant la place de conseiller et de secrétaire d'État sous Nixon, puis Ford.
Il est intéressant de constater qu'ensuite Kissinger transmit le témoin à son double démocrate et complémentaire, Zbigniew Brzezinski, le conseiller à la sécurité nationale de Carter. Les deux hommes sont issus de la mouvance Rockefeller, soit de l'establishment financier de la mouvance anglo-saxonne. Kissinger fut ainsi administrateur du Rockefeller Brothers Fund et travailla avec le Vice-président de Ford, Nelson Rockefeller, quand Brzezinski fonda la Trilatérale en compagnie de David Rockefeller.
Scowcroft fut le conseiller du conseiller Kissinger sous Nixon, puis lui-même Conseiller à la Sécurité Nationale sous Ford, puis sous G.H. Bush. Il quitte ses fonctions sous Bush père en 1993. En tant que complice évident de Kissinger, il est intéressant de noter que Scowcroft a officié sous Bush père président et qu'il a joué un rôle décisif dans la première guerre d'Irak.
Ceux qui estiment que Kissinger et Bush père sont des adversaires farouches et irréconciliables voient ainsi s'opposer à leurs allégations hasardeuses le démenti cuisant des faits et des alliances, en découvrant le rôle crucial que joue un proche de Kissinger au sein de l'appareil d'État, sous l'ère Bush père, qui plus est en tant que Conseiller à la sécurité nationale. Excusez du peu. Kissinger est tellement opposé à Bush père qu'il conserve une influence patente sur la politique américaine et sur le camp conservateur à cette période...
Pendant cette période où Scowcroft prend du galon (il est général depuis une paire d'années), Kissinger ne demeure pas les bras ballants dans une retraite dorée : il crée Kissinger Associates dans les années 80. Qu'est-ce que Kissinger Associates? Une entreprise spécialiste en conseils privés. Le site de Solidarité et Progrès nous fournit une précision intéressante sur la nature de ces conseils en les qualifiant d'opérations typiques de renseignements privés.
Il est vrai que selon un décret paru sous l'ère Reagan, les services de renseignements sont encouragés à la privatisation, pour donner lieu à des relations privées/publiques typiques de la mentalité libérale de l'après Milton Friedman. Le mode de relations est bien connu : le public et le privé travaillent main dans la main et ce que le public ne peut pas s'autoriser, le privé le commettra en toute impunité.
Concernant Kissinger Associates, on apprend que Brent Scowcroft en est le vice-président, ce qui suffit à indiquer la proximité de Kissinger et de Scowcroft dans les années 80. Je parlerais presque de gémellité à ce sujet. D'ailleurs, si les doutes subsistent, on notera que Scowcroft en quittant le NSC en 1993 fonde le Scowcroft Group (en 1994). Encore un groupe de renseignements privés et de conseils industriels!
D'autres correspondances subsistent, frappantes et tenaces : Kissinger et Scowcroft font partie du CSIS, un think tank conservateur, et du FFIP, un autre think tank conservateur dont le président du conseil d'administration est un conseiller de Kissinger Associates après avoir été conseiller de Kissinger : Eagleburger. Ambiance.
Ajoutons à ces points communs le parcours de Condi, la souriante et farfelue Conseillère à la Sécurité nationale sous W. et secrétaire d'État en prime. Rice fut bien entendu remarquée par Scowcroft et Kissinger dès le début de sa carrière politique. Rice est la preuve que l'influence de Kissinger sur la politique américaine est palpable dans les rangs conservateurs depuis les années 70 jusqu'aux années 2000 en passant par les années 80. Quant aux années 90, les années démocrates de l'ère Clinton, le sous-JFK tout aussi érotomane, mais pas assassiné comme son modèle putatif, il serait temps de comprendre qu'Albright est la disciple explicite de Brzezinski et que de la sorte, la boucle est bouclée dans le règne de la complémentarité oligarchique. Albright : membre du NSC sous Carter, membre du CSIS, membre du CFR, secrétaire d'État sous Clinton.
Qui sont derrière Kissinger ou Scowcroft? On pourrait nommer les mêmes puissances financières que celles derrière les démocrates Brzezinski ou Albright, dont le clan Rockefeller est la partie la plus visible en ce qu'il apparaît explicitement aux côtés des intérêts bancaires de JP Morgan - et d'autres. Au fait : David Rockefeller est membre d'honneur du CFR, de la Trilatérale et du Bilderberg Group. Entre autres. Il faut comprendre l'influence de la finance britannique, soit la mutation de l'Empire britannique en puissance financière, bancaire et monétaire postcoloniale : l'immanentisme tardif et dégénéré. Si l'on en doute, que l'on revienne au parcours de Kissinger.
Notre sympathique et attachant Henry n'a eu de cesse de se distinguer par son allégeance aux forces postcoloniales britanniques, soit à l'union WASP ou sionisto-protestante par-delà les océans. Je vise bien entendu son discours lumineux en 1982 à l'emblématique Chatham House. Également le rachat de Hakluyt par Kissinger Associates en 2000 : Hakluyt est une opération de renseignements privés britanniques qui rejoint les opérations de renseignements privés américaines encouragées par le décret Reagan.
Bien entendu, ce que l'on nomme Chatham House n'est jamais que l'autre nom d'un think tank anglais, le RIIA, qui est le pendant anglais du CFR américain. Le CFR, vous savez : le think tank qui dicte sa politique étrangère aux États-Unis et dont la spécialité est la réécriture de l'histoire. Kissinger est très proche de l'ancien président du CFR (en 2000), un dénommé Peter Peterson, qui est aussi le fondateur de Blackstone Group, un gros fond d'investissement américain. Kissinger, qui intervient au RIIA le 10 mai 1982, se glorifie d'appartenir à la mouvance churchilienne de l'atlantisme et s'oppose ainsi à la tradition de Roosevelt.
Petite commentaire : ces sympathiques personnages sont en famille et se tiennent tous par les doigts de la main. N'ont-ils jamais de différends? Voilà qui serait étonnant! Simplement, ils lavent leur linge sale en famille et possèdent trop d'intérêts en commun pour s'étriper à propos de broutilles. De toute manière, si un règlement de comptes a lieu, ils le présentent comme un accident ou un hasard malheureux. Cette remarque rapproche fortement le fonctionnement de l'oligarchie du milieu mafieux ou crapuleux - la loi du plus fort.
Il est clair que Kissinger travaille pour le compte des intérêts financiers qui ne sont jamais que la résurgence de l'Empire britannique postcolonial. Mais si l'on regarde le parcours de Scowcroft, il fut aussi décoré de l'Ordre de l'Empire britannique, ce qui vaut mieux qu'un long discours. Ce sont tous des pions de la stratégie atlantiste et britannique postcoloniale. De ce fait, l'opposition entre Cheney et Kissinger est un aimable contresens historique entretenu par ceux qui ne veulent pas que les vraies convergences apparaissent derrière les divergences superficielles.
Venons-en maintenant au 911. Kissinger fut nommé à la tête de la commission parlementaire 2004, aux fins d'élucider la vérité sur le 911. Je précise que j'appelle cette Commission 2004 à cause de la date de son rapport final. Kissinger fut nommé en 2002 et révoqué peu de temps après. En effet, Kissinger dut démissionner de cette présidence tant sa nomination (par W.) faisait scandale. Allez savoir pourquoi! Les familles des victimes du 911 n'ont pas apprécié cette nomination. En effet, comme le déclara un expert, Steven Aftergood, responsable du programme sur le secret d’État à la Fédération des scientifiques américains, Kissinger était plus un suspect qu'un enquêteur impartial. Le retour de Kissinger se fait alors que l'on croyait le plus à sa disgrâce : sous l'ère des néoconservateurs, des Vulcains et de ses ennemis intimes Cheney et Rumsfeld.
On a vu de quelle manière Kissinger était écarté du pouvoir sous les mandats de Reagan et de Bush père : il n'y avait jamais été aussi présent - notamment par l'entremise de Scowcroft. Mais les mandats de W. donnent l'occasion de cerner le retour à la lumière politique de Kissinger : il n'est jamais que la concrétisation d'une action qui n'avait jamais cessé, ni diminué depuis ses débuts. Kissinger est l'un des représentants de l'oligarchie WASP. Il suit d'autres représentants et sera suivi par d'autres. Pour l'instant, c'est lui qui tient la rampe - avec d'autres.
De ce point de vue, la Commission de 2004 sur le 911 est comparable à la commission Warren sur l'assassinat de JFK : dans les deux cas, les commissions poursuivent le but noble de faire la lumière et la vérité sur des affaires ténébreuses, tandis que leur véritable but est d'enterrer les affaires et de discréditer les véritables auteurs de ces meurtres sanglants. Il est vrai que Kissinger entame sa carrière autour de cette triste période qu'est l'assassinat de JFK et obtient ses galons les plus illustres sous les mandats de Nixon et Ford.
Kissinger partage avec Scowcroft la spécialité de diriger des commissions aux fins d'étouffer des scandales d'État. J'aimerais souligner le rôle de croque-morts et de croquemitaines de première classe que jouent tant Kissinger que Scowcroft pour le compte de Commissions fantoches chargées officiellement d'éditer la vérité, quand officieusement leur rôle véritable revient à enterrer la vérité et à interdire la clarification des faits les plus élémentaires. Ainsi Kissinger fut diligenté pour faire la lumière sur les exactions commises par l'armée américaine en Amérique latine pour une commission parlementaire présidentielle dans les années 80. Encore un signe de l'éloignement de Kissinger des cercles du pouvoir. Scowcroft participa à de nombreuses commissions du même acabit : Commission Tower sur l'affaire Iran-Contra, notamment. C'est ainsi que de nombreuses Commissions parlementaires étouffèrent les scandales nés d'actions illégales intentées par des institutions américaines.
Le paradigme de ce mensonge travesti en vérité officielle réside bien entendu dans la commission Warren, chargée de dire la vérité sur la mort de JFK et qui en fait était chargée d'expliquer que JFK avait été abattu par un fanatique dément, un certain Oswald, lui-même abattu quelques jours plus tard par un patriote du nom de Jack Ruby (!). Pour mener à bien son entreprise de mensonge monstrueux, la commission Warren nomma des représentants à la botte de l'oligarchie, notamment un certain MacCloy, et aboutit à la version surréaliste de la balle magique ayant transpercé le corps de JFK et du gouverneur Connelly.
Si l'on étudie le mécanisme qui préside à la réécriture de l'histoire, une spécialité de l'oligarchique CFR, on se rend compte que la vérité ne risque certainement pas de sortir de ces commissions pour la simple et bonne raison qu'on y nomme soit des responsables du crime analysé, soit des comparses directes et évidents.
Revenons à la triste période du 911, un crime évident, sauf pour les gens de mauvaise foi. Le 911 est une autre période de mensonge officiel et de corruption généralisée. La fameuse Commission 2004 contient encore plus de manipulations et de mensonges que la Commission Warren. Il est vrai qu'entre l'assassinat de JFK et le 911, les mêmes méthodes de corruption et de décadence n'ont eu de cesse de prospérer et que c'est sans surprise que l'immanentisme tardif et dégénéré a fini par produire ses fruits les plus avariés. C'est dire!
Nous sommes au bord du précipice et de l'effondrement de notre belle civilisation mondialisée, qui n'a jamais autant évoqué la tour de Babel. Suite au 911, le retour de Kissinger est tonitruant : il est ainsi consulté fréquemment par W. concernant la guerre contre le terrorisme, notamment la guerre en Irak. Il servira même de conseiller principal officieux, en particulier sur les questions géopolitiques et géostratégiques, au candidat Mac Cain et à sa colistière Palin.
Les analystes flous/fous qui répétaient à l'envie que Kissinger avait été écarté du pouvoir par Bush père et par ses associés, par les faucons comme Cheney et Rumsfeld et par les néoconservateurs officiels et déclarés, voient ainsi opposer un cruel démenti à leurs affirmations ineptes. En effet, Rumsfeld et Cheney n'ont cessé de consulter Kissinger depuis les années 70. Surtout, signe qui ne trompe pas, Kissinger marque son grand retour sur la scène politique à l'occasion des mandats de W., notamment le premier, marqué par l'influence prépondérante de Rumsfeld et Cheney.
Rappelons que Rumsfeld et Cheney étaient des collaborateurs de Kissinger dans les années 70 et que cette collaboration ne saurait être anéantie sous prétexte que des divergences existent entre Kissinger et Rumsfeld ou Cheney. Pendant que Kissinger revient sous les feux de la rampe de l'après 911, son comparse Scowcroft occupe lui aussi les postes les plus prestigieux. Kissinger a disparu de la scène depuis les années 80 et s'activait en coulisses, quand Scowcroft a plutôt connu une montée en puissance sous les mandats de Bush père.
Sous les mandats de son fils, c'est encore mieux : Scowcroft est nommé à la tête du PFIAB, qui est un organisme de conseil indépendant au service de la Maison Blanche. En gros, le PFIAB est une sorte de NSC, en plus présidentiel et indépendant. Il s'occupe clairement de l'analyse et de la centralisation des problèmes de renseignements. Comme par hasard, alors que Kissinger sert de conseiller à W., Scowcroft occupe cette fonction importante de 2001 à 2005.
Voilà qui montre le rôle prépondérant et conjoint de notre tandem oligarchique contemporain dans la gestion de la guerre contre le terrorisme. Leur gestion est plus complémentaire qu'antithétique. Scowcroft exprime un point de vue assez clair : il s'oppose à la guerre d'Irak et plus encore au projet de la guerre d'Iran. Scowcroft traduit une cohérence certaine dans sa position : il est celui qui défend un point de vue conservateur modéré et prudent. Il s'oppose clairement aux menées inconsidérées des néoconservateurs, de Rumsfeld et Cheney.
Scowcroft défend un pragmatisme impérialiste atlantiste strict et classique, quand les néoconservateurs, surtout les va-t-en guerres furieux de Cheney, Rumsfeld et des Vulcains proposent un idéalisme impérialiste illuminé et sans grande perspective. Dans ce contexte, la position de Kissinger est plus ambigüe puisque Kissinger dès le départ défend comme tous les représentants de l'oligarchie le principe de la guerre conte le terrorisme, mais que sur le dossier de la guerre d'Irak, il tergiverse et oscille : il commence par adopter le point de vue de Scowcroft avant de faire marche arrière et de défendre le principe de la guerre en Irak. Sa position est au départ fort ambivalente.
Il finit par défendre clairement et a posteriori le principe de la guerre en Irak. Cette volte-face est incompréhensible si on l'interprète seulement par un retournement de veste de politicien. En réalité, Kissinger est l'apôtre de la realpolitik dans son sens véritable de pragmatisme : accepter de gérer le conflit irakien puisqu'il n'existe aucune solution meilleure. Voilà qui signifie que Kissinger défend le principe de réalité contre les idées a priori. Curieusement, ce pragmatisme oligarchique et atlantiste le conduit à défendre la guerre en Irak au nom de son existence et à rallier l'idéalisme impérialiste néoconservateur.
Sur ce dossier, Kissinger n'est pas l'idéologue va-t-en guerre et néoconservateur qui aurait depuis le départ appelé de ses vœux ce conflit sanglant et ce bourbier pesant. Il est plutôt le stratège qui est utilisé, du fait de ses compétences, pour mener à bien ce conflit et gérer ses conséquences majeures pour l'atlantisme et l'occidentalisme, notamment la marche de la mondialisation comme figure oligarchique. Kissinger a l'expérience du bourbier vietnamien et l'oligarchie utilise cette expérience unique pour faire en sorte que le bourbier irakien ne se solde pas par l'effondrement de la puissance américaine avant la fin de la guerre en Irak.
C'est la preuve que Kissinger est considéré comme un vainqueur dans le dossier du Vietnam, ce dont atteste son hallucinant Prix Nobel de la Paix décerné en 1973 par une Académie manifestement aveugle ou en proie aux délires. Kissinger se situe sur ce dossier Irak aux côtés de Cheney et Rumsfeld, ce qui en dit long, si besoin en était, sur leurs oppositions viscérales. Il est secondé efficacement par Scowcroft depuis son poste stratégique du PFIAB. Les deux hommes sont impliqués dans la gestion de l'après 911. Sont-ils impliqués directement dans le 911? La question mérite d'autant plus d'être posée que Kissinger a joué un rôle prépondérant dans l'après 911, notamment au sein de la commission 2004. Son complice Scowcroft aussi : je rappellerai que cet autre digne représentant de l'oligarchie financière WASP était en route avec le spéculateur financier Warren Buffett pour la base militaire d'Offutt le 911, ce qui constitue un hasard.
W. atterrit également sur cette base au cours de la journée. Offutt est la principale base militaire américaine et permet le contrôle de l'arme nucléaire. Si W. n'était pas là en villégiature, mais pour s'employer à réduire la menace de coup d'État, la présence de Scowcroft et de Buffett n'est pas davantage une coïncidence procédant de raisons indépendantes au 911. Webster Tarpley se demande si les deux hommes n'avaient pas été pressentis pour servir de relais éventuels à un gouvernement de transition au cas où W. n'aurait pas accepté les conditions des comploteurs et aurait été démis de ses fonctions, avec en prime son éventuel assassinat politique, un peu comme JFK environ quarante ans plus tôt.
En tout cas, sans porter d'accusations définitives concernant des comportements seulement suspects et douteux, et en rappelant que les têtes pensantes du 911 n'ont pas laissé de traces visibles de leurs agissements diaboliques, dans le cadre du triste épisode du 911, les figures de Scowcroft et Kissinger sont étroitement impliquées, de manière complémentaire, tout comme dans la guerre conte le terrorisme et dans la gestion des mandats W., dont l'ivresse légendaire et les sautes d'humeur psychopathologiques laissent peu de doutes sur sa faculté à gérer ses responsabilités lourdes en matière de politique et de stratégie.
Je ne rappellerai que le fait que Scowcroft fut chargé, pendant que Kissinger présidait furtivement aux destinées de la commission 2004, au titre de sa présidence du PFIAB d'examiner en 2003 les affirmations faites par Colin Powell lors de son discours du 5 février au Conseil de sécurité, en particulier la citation de documents notoirement falsifiés sur de prétendus achats d'uranium par l'Irak au Niger. Scowcroft est toujours dans son rôle d'étouffeur et de camoufleur de scandales et se trouve toujours dans la proximité idéologique et politique de Kissinger. Par ailleurs, l'expérience que Scowcroft a emmagasiné dans de nombreuse commissions, notamment autour de l'affaire Iran-Contra, lui permet de traiter avec assurance et dextérité ce genre de dossiers explosifs.
L'oligarchie n'attribue pas la gestion des affaires chaudes ou brûlantes à des novices ou à des inexpérimentés. Elle les confie à des vieux briscards habitués aux manœuvres difficiles voire délictueuses. A chaque fois que l'on voit poindre le museau de Kissinger, dans l'ombre, pas loin, se tapit Scowcroft. Et vice versa. Nos deux hommes seraient-ils les Laurel et Hardy grinçants du comique oligarchique? Plus sérieusement, ils s'occupent de tous les dossiers classés confidentiels ou secrets des quarante dernières années américaines et occidentales. A force de les retrouver à tous les niveaux, on va finir par se demander ce qu'ils ignorent encore dans les tractations ténébreuses et inavouables de leur camp atlantiste.
Les actions de Kissinger et Scowcroft pourraient être comparées aux parcours d'autres représentants de l'oligarchie financière. Ainsi d'Eagleburger, Baker, Haig, Schlesinger. Ainsi de tant d'autres. Les figures qui influent sur la politique américaine depuis quarante ne varient guère et surtout se succèdent en parfaite continuité. L'oligarchie distingue les profils expérimentés. Kissinger n'est jamais que le digne représentant du courant américain et atlantiste favorable à l'Empire britannique, en particulier à sa mutation postcoloniale en force financière et bancaire mondialisée.
Ce qui est central dans l'examen des parcours complémentaire, complices et conjoints du tandem Scowcroft et Kissinger depuis les années 70, c'est que tous deux ont œuvré dans le domaine du conseil et du renseignement. Le conseil stratégique signifie en fait le renseignement privatisé. Notamment au NSC, qui est l'organe sécuritaire central à partir duquel se tissent les relations et les complicités menant aux prises de décision stratégiques.
De ce point de vue, le commandement politique va de pair avec le contrôle de l'appareil sécuritaire atlantiste. Ce contrôle s'opère directement depuis le NSC et d'autres organes connexes de gestion de la sécurité américaine et atlantiste - comme le PFIAB. C'est précisément ce type de postes qu'ont occupé des Kissinger et des Scowcroft. Autant dire qu'ils possèdent toutes les clés pour organiser des évènements stratégiques décisifs pour l'avenir et l'horizon géostratégique des États-Unis. Ainsi du 911?
La privatisation du renseignement atlantiste est l'élément capital pour cerner la dérive financiarisée moderne et le vrai visage de la mondialisation. L'engagement pionnier de Kissinger dans ce domaine n'est pas anodin. Kissinger est le notable et digne représentant de l'oligarchie ne ce qu'il s'engage dès les années Reagan dans ce projet. Son engagement est le signe que l'oligarchie favorise le terreau du renseignement privé parce que le renseignement privé est le moyen d'opérer du renseignement industriel sans recourir aux normes et procédures contraignantes de l'officiel et de l'institutionnel.
Le renseignement public demeure rivé aux exigences institutionnelles, alors que le renseignement privé se révèle plus souple. Les turpitudes de Kissinger dans les années 70 sont à présent déclassifiées au gré des procédures officielles, tandis que les agissements privés peuvent demeurent ad vitam aeternam dans l'ombre - et le silence. C'est ce qu'affirme explicitement Kissinger lors du rachat du britannique Hakluyt en 2000 : "La manière dont les Britanniques font les choses sont très pragmatiques. Il n’y a pas de gros documents (...). Nous jugeons sans présenter de preuves détaillées, Hakluyt est très bonne dans l’analyse et l’obtention d’informations."(interview parue en 2000 dans le Financial Times). Dont acte.
Par ailleurs, quand Scowcroft quitte le NSC après le mandat de Bush père, il imite lui aussi Kissinger Associates, dont il était le Vice-président, et il fonde un groupe jumeau, tout comme il se pose en jumeau complémentaire de Kissinger : le Scowcroft Group. De là à estimer que le 911 s'est préparé dans les cénacles feutrés et luxueux de groupes et autres fondations de renseignements privés, il n'y a qu'un pas, que l'on ne peut cependant poser que comme pure hypothèse, en reliant cette interrogation de bon sens avec le rôle évident joué par Kissinger et Scowcroft dans le 911 et dans l'après 911.
On se souviendra que l'ancien chef du renseignement allemand, Eckehardt Werthebach, avait déclaré, comme de nombreuses autres voix expertes en matière de renseignements stratégiques, que le 911 n'était pas le produit d'une opération spontanée réussie miraculeusement par une bande de bras cassés et de pauvres types désaxés (que l'on consulte à ce sujet le profil exemplaire d'Atta), mais une opération minutieuse, organisée à partir de services secrets institutionnels occidentaux et avec des moyens financiers et logistiques importants : des années d'élaboration et des structures puissantes.
Dans le contexte de cette déclaration, quel rôle ont pu jouer les officines de renseignement privé, sachant que Tarpley fournit de nombreuses indications montrant que le 911 s'est élaboré dans des officines privées, dont l'affaire Iran-Contra offre une perspective originale et dont le 911 établit en quelque sorte le couronnement paradoxal et sanguinaire? On se plaît à imaginer que le 911 ne s'est pas créé seulement dans des officines institutionnelles, mais que les représentants de certains cénacles de l'oligarchie financière ont décidé de déléguer la préparation longue et sophistiquée de cet attentat à des spécialistes chevronnés du monde du renseignement, atlantistes forcenés, immanentistes patentés et experts de tous acabits. Était-il plus discret et plus intéressant de sous-traiter le 911 à des éléments privés qu'à des institutions publiques?
La discrétion était en tout cas plus assurée. Question directe et toujours hypothétique : des fondations comme Kissinger Associates, Scowcroft Group, Hakluyt, Kroll Associates, qui sont toutes liées à l'oligarchie financière de Wall Street et de la City, ont-elles trempé dans le 911 en le préparant minutieusement en étroite collaboration avec des structures publiques dont elles ne sont jamais que les compléments et les partenaires privilégiés? Nous ne répondrons pas à cette question par souci de prudence et de justice, en rappelant à notre lecteur que les questions premières demeurent de fécondes hypothèses et qu'elles ne sauraient en aucun cas dépasser le stade des interrogations destinées à comprendre le monde, qui ne ressemble décidément pas à l'image qu'il veut donner de lui-même.
Il est intéressant de constater qu'ensuite Kissinger transmit le témoin à son double démocrate et complémentaire, Zbigniew Brzezinski, le conseiller à la sécurité nationale de Carter. Les deux hommes sont issus de la mouvance Rockefeller, soit de l'establishment financier de la mouvance anglo-saxonne. Kissinger fut ainsi administrateur du Rockefeller Brothers Fund et travailla avec le Vice-président de Ford, Nelson Rockefeller, quand Brzezinski fonda la Trilatérale en compagnie de David Rockefeller.
Scowcroft fut le conseiller du conseiller Kissinger sous Nixon, puis lui-même Conseiller à la Sécurité Nationale sous Ford, puis sous G.H. Bush. Il quitte ses fonctions sous Bush père en 1993. En tant que complice évident de Kissinger, il est intéressant de noter que Scowcroft a officié sous Bush père président et qu'il a joué un rôle décisif dans la première guerre d'Irak.
Ceux qui estiment que Kissinger et Bush père sont des adversaires farouches et irréconciliables voient ainsi s'opposer à leurs allégations hasardeuses le démenti cuisant des faits et des alliances, en découvrant le rôle crucial que joue un proche de Kissinger au sein de l'appareil d'État, sous l'ère Bush père, qui plus est en tant que Conseiller à la sécurité nationale. Excusez du peu. Kissinger est tellement opposé à Bush père qu'il conserve une influence patente sur la politique américaine et sur le camp conservateur à cette période...
Pendant cette période où Scowcroft prend du galon (il est général depuis une paire d'années), Kissinger ne demeure pas les bras ballants dans une retraite dorée : il crée Kissinger Associates dans les années 80. Qu'est-ce que Kissinger Associates? Une entreprise spécialiste en conseils privés. Le site de Solidarité et Progrès nous fournit une précision intéressante sur la nature de ces conseils en les qualifiant d'opérations typiques de renseignements privés.
Il est vrai que selon un décret paru sous l'ère Reagan, les services de renseignements sont encouragés à la privatisation, pour donner lieu à des relations privées/publiques typiques de la mentalité libérale de l'après Milton Friedman. Le mode de relations est bien connu : le public et le privé travaillent main dans la main et ce que le public ne peut pas s'autoriser, le privé le commettra en toute impunité.
Concernant Kissinger Associates, on apprend que Brent Scowcroft en est le vice-président, ce qui suffit à indiquer la proximité de Kissinger et de Scowcroft dans les années 80. Je parlerais presque de gémellité à ce sujet. D'ailleurs, si les doutes subsistent, on notera que Scowcroft en quittant le NSC en 1993 fonde le Scowcroft Group (en 1994). Encore un groupe de renseignements privés et de conseils industriels!
D'autres correspondances subsistent, frappantes et tenaces : Kissinger et Scowcroft font partie du CSIS, un think tank conservateur, et du FFIP, un autre think tank conservateur dont le président du conseil d'administration est un conseiller de Kissinger Associates après avoir été conseiller de Kissinger : Eagleburger. Ambiance.
Ajoutons à ces points communs le parcours de Condi, la souriante et farfelue Conseillère à la Sécurité nationale sous W. et secrétaire d'État en prime. Rice fut bien entendu remarquée par Scowcroft et Kissinger dès le début de sa carrière politique. Rice est la preuve que l'influence de Kissinger sur la politique américaine est palpable dans les rangs conservateurs depuis les années 70 jusqu'aux années 2000 en passant par les années 80. Quant aux années 90, les années démocrates de l'ère Clinton, le sous-JFK tout aussi érotomane, mais pas assassiné comme son modèle putatif, il serait temps de comprendre qu'Albright est la disciple explicite de Brzezinski et que de la sorte, la boucle est bouclée dans le règne de la complémentarité oligarchique. Albright : membre du NSC sous Carter, membre du CSIS, membre du CFR, secrétaire d'État sous Clinton.
Qui sont derrière Kissinger ou Scowcroft? On pourrait nommer les mêmes puissances financières que celles derrière les démocrates Brzezinski ou Albright, dont le clan Rockefeller est la partie la plus visible en ce qu'il apparaît explicitement aux côtés des intérêts bancaires de JP Morgan - et d'autres. Au fait : David Rockefeller est membre d'honneur du CFR, de la Trilatérale et du Bilderberg Group. Entre autres. Il faut comprendre l'influence de la finance britannique, soit la mutation de l'Empire britannique en puissance financière, bancaire et monétaire postcoloniale : l'immanentisme tardif et dégénéré. Si l'on en doute, que l'on revienne au parcours de Kissinger.
Notre sympathique et attachant Henry n'a eu de cesse de se distinguer par son allégeance aux forces postcoloniales britanniques, soit à l'union WASP ou sionisto-protestante par-delà les océans. Je vise bien entendu son discours lumineux en 1982 à l'emblématique Chatham House. Également le rachat de Hakluyt par Kissinger Associates en 2000 : Hakluyt est une opération de renseignements privés britanniques qui rejoint les opérations de renseignements privés américaines encouragées par le décret Reagan.
Bien entendu, ce que l'on nomme Chatham House n'est jamais que l'autre nom d'un think tank anglais, le RIIA, qui est le pendant anglais du CFR américain. Le CFR, vous savez : le think tank qui dicte sa politique étrangère aux États-Unis et dont la spécialité est la réécriture de l'histoire. Kissinger est très proche de l'ancien président du CFR (en 2000), un dénommé Peter Peterson, qui est aussi le fondateur de Blackstone Group, un gros fond d'investissement américain. Kissinger, qui intervient au RIIA le 10 mai 1982, se glorifie d'appartenir à la mouvance churchilienne de l'atlantisme et s'oppose ainsi à la tradition de Roosevelt.
Petite commentaire : ces sympathiques personnages sont en famille et se tiennent tous par les doigts de la main. N'ont-ils jamais de différends? Voilà qui serait étonnant! Simplement, ils lavent leur linge sale en famille et possèdent trop d'intérêts en commun pour s'étriper à propos de broutilles. De toute manière, si un règlement de comptes a lieu, ils le présentent comme un accident ou un hasard malheureux. Cette remarque rapproche fortement le fonctionnement de l'oligarchie du milieu mafieux ou crapuleux - la loi du plus fort.
Il est clair que Kissinger travaille pour le compte des intérêts financiers qui ne sont jamais que la résurgence de l'Empire britannique postcolonial. Mais si l'on regarde le parcours de Scowcroft, il fut aussi décoré de l'Ordre de l'Empire britannique, ce qui vaut mieux qu'un long discours. Ce sont tous des pions de la stratégie atlantiste et britannique postcoloniale. De ce fait, l'opposition entre Cheney et Kissinger est un aimable contresens historique entretenu par ceux qui ne veulent pas que les vraies convergences apparaissent derrière les divergences superficielles.
Venons-en maintenant au 911. Kissinger fut nommé à la tête de la commission parlementaire 2004, aux fins d'élucider la vérité sur le 911. Je précise que j'appelle cette Commission 2004 à cause de la date de son rapport final. Kissinger fut nommé en 2002 et révoqué peu de temps après. En effet, Kissinger dut démissionner de cette présidence tant sa nomination (par W.) faisait scandale. Allez savoir pourquoi! Les familles des victimes du 911 n'ont pas apprécié cette nomination. En effet, comme le déclara un expert, Steven Aftergood, responsable du programme sur le secret d’État à la Fédération des scientifiques américains, Kissinger était plus un suspect qu'un enquêteur impartial. Le retour de Kissinger se fait alors que l'on croyait le plus à sa disgrâce : sous l'ère des néoconservateurs, des Vulcains et de ses ennemis intimes Cheney et Rumsfeld.
On a vu de quelle manière Kissinger était écarté du pouvoir sous les mandats de Reagan et de Bush père : il n'y avait jamais été aussi présent - notamment par l'entremise de Scowcroft. Mais les mandats de W. donnent l'occasion de cerner le retour à la lumière politique de Kissinger : il n'est jamais que la concrétisation d'une action qui n'avait jamais cessé, ni diminué depuis ses débuts. Kissinger est l'un des représentants de l'oligarchie WASP. Il suit d'autres représentants et sera suivi par d'autres. Pour l'instant, c'est lui qui tient la rampe - avec d'autres.
De ce point de vue, la Commission de 2004 sur le 911 est comparable à la commission Warren sur l'assassinat de JFK : dans les deux cas, les commissions poursuivent le but noble de faire la lumière et la vérité sur des affaires ténébreuses, tandis que leur véritable but est d'enterrer les affaires et de discréditer les véritables auteurs de ces meurtres sanglants. Il est vrai que Kissinger entame sa carrière autour de cette triste période qu'est l'assassinat de JFK et obtient ses galons les plus illustres sous les mandats de Nixon et Ford.
Kissinger partage avec Scowcroft la spécialité de diriger des commissions aux fins d'étouffer des scandales d'État. J'aimerais souligner le rôle de croque-morts et de croquemitaines de première classe que jouent tant Kissinger que Scowcroft pour le compte de Commissions fantoches chargées officiellement d'éditer la vérité, quand officieusement leur rôle véritable revient à enterrer la vérité et à interdire la clarification des faits les plus élémentaires. Ainsi Kissinger fut diligenté pour faire la lumière sur les exactions commises par l'armée américaine en Amérique latine pour une commission parlementaire présidentielle dans les années 80. Encore un signe de l'éloignement de Kissinger des cercles du pouvoir. Scowcroft participa à de nombreuses commissions du même acabit : Commission Tower sur l'affaire Iran-Contra, notamment. C'est ainsi que de nombreuses Commissions parlementaires étouffèrent les scandales nés d'actions illégales intentées par des institutions américaines.
Le paradigme de ce mensonge travesti en vérité officielle réside bien entendu dans la commission Warren, chargée de dire la vérité sur la mort de JFK et qui en fait était chargée d'expliquer que JFK avait été abattu par un fanatique dément, un certain Oswald, lui-même abattu quelques jours plus tard par un patriote du nom de Jack Ruby (!). Pour mener à bien son entreprise de mensonge monstrueux, la commission Warren nomma des représentants à la botte de l'oligarchie, notamment un certain MacCloy, et aboutit à la version surréaliste de la balle magique ayant transpercé le corps de JFK et du gouverneur Connelly.
Si l'on étudie le mécanisme qui préside à la réécriture de l'histoire, une spécialité de l'oligarchique CFR, on se rend compte que la vérité ne risque certainement pas de sortir de ces commissions pour la simple et bonne raison qu'on y nomme soit des responsables du crime analysé, soit des comparses directes et évidents.
Revenons à la triste période du 911, un crime évident, sauf pour les gens de mauvaise foi. Le 911 est une autre période de mensonge officiel et de corruption généralisée. La fameuse Commission 2004 contient encore plus de manipulations et de mensonges que la Commission Warren. Il est vrai qu'entre l'assassinat de JFK et le 911, les mêmes méthodes de corruption et de décadence n'ont eu de cesse de prospérer et que c'est sans surprise que l'immanentisme tardif et dégénéré a fini par produire ses fruits les plus avariés. C'est dire!
Nous sommes au bord du précipice et de l'effondrement de notre belle civilisation mondialisée, qui n'a jamais autant évoqué la tour de Babel. Suite au 911, le retour de Kissinger est tonitruant : il est ainsi consulté fréquemment par W. concernant la guerre contre le terrorisme, notamment la guerre en Irak. Il servira même de conseiller principal officieux, en particulier sur les questions géopolitiques et géostratégiques, au candidat Mac Cain et à sa colistière Palin.
Les analystes flous/fous qui répétaient à l'envie que Kissinger avait été écarté du pouvoir par Bush père et par ses associés, par les faucons comme Cheney et Rumsfeld et par les néoconservateurs officiels et déclarés, voient ainsi opposer un cruel démenti à leurs affirmations ineptes. En effet, Rumsfeld et Cheney n'ont cessé de consulter Kissinger depuis les années 70. Surtout, signe qui ne trompe pas, Kissinger marque son grand retour sur la scène politique à l'occasion des mandats de W., notamment le premier, marqué par l'influence prépondérante de Rumsfeld et Cheney.
Rappelons que Rumsfeld et Cheney étaient des collaborateurs de Kissinger dans les années 70 et que cette collaboration ne saurait être anéantie sous prétexte que des divergences existent entre Kissinger et Rumsfeld ou Cheney. Pendant que Kissinger revient sous les feux de la rampe de l'après 911, son comparse Scowcroft occupe lui aussi les postes les plus prestigieux. Kissinger a disparu de la scène depuis les années 80 et s'activait en coulisses, quand Scowcroft a plutôt connu une montée en puissance sous les mandats de Bush père.
Sous les mandats de son fils, c'est encore mieux : Scowcroft est nommé à la tête du PFIAB, qui est un organisme de conseil indépendant au service de la Maison Blanche. En gros, le PFIAB est une sorte de NSC, en plus présidentiel et indépendant. Il s'occupe clairement de l'analyse et de la centralisation des problèmes de renseignements. Comme par hasard, alors que Kissinger sert de conseiller à W., Scowcroft occupe cette fonction importante de 2001 à 2005.
Voilà qui montre le rôle prépondérant et conjoint de notre tandem oligarchique contemporain dans la gestion de la guerre contre le terrorisme. Leur gestion est plus complémentaire qu'antithétique. Scowcroft exprime un point de vue assez clair : il s'oppose à la guerre d'Irak et plus encore au projet de la guerre d'Iran. Scowcroft traduit une cohérence certaine dans sa position : il est celui qui défend un point de vue conservateur modéré et prudent. Il s'oppose clairement aux menées inconsidérées des néoconservateurs, de Rumsfeld et Cheney.
Scowcroft défend un pragmatisme impérialiste atlantiste strict et classique, quand les néoconservateurs, surtout les va-t-en guerres furieux de Cheney, Rumsfeld et des Vulcains proposent un idéalisme impérialiste illuminé et sans grande perspective. Dans ce contexte, la position de Kissinger est plus ambigüe puisque Kissinger dès le départ défend comme tous les représentants de l'oligarchie le principe de la guerre conte le terrorisme, mais que sur le dossier de la guerre d'Irak, il tergiverse et oscille : il commence par adopter le point de vue de Scowcroft avant de faire marche arrière et de défendre le principe de la guerre en Irak. Sa position est au départ fort ambivalente.
Il finit par défendre clairement et a posteriori le principe de la guerre en Irak. Cette volte-face est incompréhensible si on l'interprète seulement par un retournement de veste de politicien. En réalité, Kissinger est l'apôtre de la realpolitik dans son sens véritable de pragmatisme : accepter de gérer le conflit irakien puisqu'il n'existe aucune solution meilleure. Voilà qui signifie que Kissinger défend le principe de réalité contre les idées a priori. Curieusement, ce pragmatisme oligarchique et atlantiste le conduit à défendre la guerre en Irak au nom de son existence et à rallier l'idéalisme impérialiste néoconservateur.
Sur ce dossier, Kissinger n'est pas l'idéologue va-t-en guerre et néoconservateur qui aurait depuis le départ appelé de ses vœux ce conflit sanglant et ce bourbier pesant. Il est plutôt le stratège qui est utilisé, du fait de ses compétences, pour mener à bien ce conflit et gérer ses conséquences majeures pour l'atlantisme et l'occidentalisme, notamment la marche de la mondialisation comme figure oligarchique. Kissinger a l'expérience du bourbier vietnamien et l'oligarchie utilise cette expérience unique pour faire en sorte que le bourbier irakien ne se solde pas par l'effondrement de la puissance américaine avant la fin de la guerre en Irak.
C'est la preuve que Kissinger est considéré comme un vainqueur dans le dossier du Vietnam, ce dont atteste son hallucinant Prix Nobel de la Paix décerné en 1973 par une Académie manifestement aveugle ou en proie aux délires. Kissinger se situe sur ce dossier Irak aux côtés de Cheney et Rumsfeld, ce qui en dit long, si besoin en était, sur leurs oppositions viscérales. Il est secondé efficacement par Scowcroft depuis son poste stratégique du PFIAB. Les deux hommes sont impliqués dans la gestion de l'après 911. Sont-ils impliqués directement dans le 911? La question mérite d'autant plus d'être posée que Kissinger a joué un rôle prépondérant dans l'après 911, notamment au sein de la commission 2004. Son complice Scowcroft aussi : je rappellerai que cet autre digne représentant de l'oligarchie financière WASP était en route avec le spéculateur financier Warren Buffett pour la base militaire d'Offutt le 911, ce qui constitue un hasard.
W. atterrit également sur cette base au cours de la journée. Offutt est la principale base militaire américaine et permet le contrôle de l'arme nucléaire. Si W. n'était pas là en villégiature, mais pour s'employer à réduire la menace de coup d'État, la présence de Scowcroft et de Buffett n'est pas davantage une coïncidence procédant de raisons indépendantes au 911. Webster Tarpley se demande si les deux hommes n'avaient pas été pressentis pour servir de relais éventuels à un gouvernement de transition au cas où W. n'aurait pas accepté les conditions des comploteurs et aurait été démis de ses fonctions, avec en prime son éventuel assassinat politique, un peu comme JFK environ quarante ans plus tôt.
En tout cas, sans porter d'accusations définitives concernant des comportements seulement suspects et douteux, et en rappelant que les têtes pensantes du 911 n'ont pas laissé de traces visibles de leurs agissements diaboliques, dans le cadre du triste épisode du 911, les figures de Scowcroft et Kissinger sont étroitement impliquées, de manière complémentaire, tout comme dans la guerre conte le terrorisme et dans la gestion des mandats W., dont l'ivresse légendaire et les sautes d'humeur psychopathologiques laissent peu de doutes sur sa faculté à gérer ses responsabilités lourdes en matière de politique et de stratégie.
Je ne rappellerai que le fait que Scowcroft fut chargé, pendant que Kissinger présidait furtivement aux destinées de la commission 2004, au titre de sa présidence du PFIAB d'examiner en 2003 les affirmations faites par Colin Powell lors de son discours du 5 février au Conseil de sécurité, en particulier la citation de documents notoirement falsifiés sur de prétendus achats d'uranium par l'Irak au Niger. Scowcroft est toujours dans son rôle d'étouffeur et de camoufleur de scandales et se trouve toujours dans la proximité idéologique et politique de Kissinger. Par ailleurs, l'expérience que Scowcroft a emmagasiné dans de nombreuse commissions, notamment autour de l'affaire Iran-Contra, lui permet de traiter avec assurance et dextérité ce genre de dossiers explosifs.
L'oligarchie n'attribue pas la gestion des affaires chaudes ou brûlantes à des novices ou à des inexpérimentés. Elle les confie à des vieux briscards habitués aux manœuvres difficiles voire délictueuses. A chaque fois que l'on voit poindre le museau de Kissinger, dans l'ombre, pas loin, se tapit Scowcroft. Et vice versa. Nos deux hommes seraient-ils les Laurel et Hardy grinçants du comique oligarchique? Plus sérieusement, ils s'occupent de tous les dossiers classés confidentiels ou secrets des quarante dernières années américaines et occidentales. A force de les retrouver à tous les niveaux, on va finir par se demander ce qu'ils ignorent encore dans les tractations ténébreuses et inavouables de leur camp atlantiste.
Les actions de Kissinger et Scowcroft pourraient être comparées aux parcours d'autres représentants de l'oligarchie financière. Ainsi d'Eagleburger, Baker, Haig, Schlesinger. Ainsi de tant d'autres. Les figures qui influent sur la politique américaine depuis quarante ne varient guère et surtout se succèdent en parfaite continuité. L'oligarchie distingue les profils expérimentés. Kissinger n'est jamais que le digne représentant du courant américain et atlantiste favorable à l'Empire britannique, en particulier à sa mutation postcoloniale en force financière et bancaire mondialisée.
Ce qui est central dans l'examen des parcours complémentaire, complices et conjoints du tandem Scowcroft et Kissinger depuis les années 70, c'est que tous deux ont œuvré dans le domaine du conseil et du renseignement. Le conseil stratégique signifie en fait le renseignement privatisé. Notamment au NSC, qui est l'organe sécuritaire central à partir duquel se tissent les relations et les complicités menant aux prises de décision stratégiques.
De ce point de vue, le commandement politique va de pair avec le contrôle de l'appareil sécuritaire atlantiste. Ce contrôle s'opère directement depuis le NSC et d'autres organes connexes de gestion de la sécurité américaine et atlantiste - comme le PFIAB. C'est précisément ce type de postes qu'ont occupé des Kissinger et des Scowcroft. Autant dire qu'ils possèdent toutes les clés pour organiser des évènements stratégiques décisifs pour l'avenir et l'horizon géostratégique des États-Unis. Ainsi du 911?
La privatisation du renseignement atlantiste est l'élément capital pour cerner la dérive financiarisée moderne et le vrai visage de la mondialisation. L'engagement pionnier de Kissinger dans ce domaine n'est pas anodin. Kissinger est le notable et digne représentant de l'oligarchie ne ce qu'il s'engage dès les années Reagan dans ce projet. Son engagement est le signe que l'oligarchie favorise le terreau du renseignement privé parce que le renseignement privé est le moyen d'opérer du renseignement industriel sans recourir aux normes et procédures contraignantes de l'officiel et de l'institutionnel.
Le renseignement public demeure rivé aux exigences institutionnelles, alors que le renseignement privé se révèle plus souple. Les turpitudes de Kissinger dans les années 70 sont à présent déclassifiées au gré des procédures officielles, tandis que les agissements privés peuvent demeurent ad vitam aeternam dans l'ombre - et le silence. C'est ce qu'affirme explicitement Kissinger lors du rachat du britannique Hakluyt en 2000 : "La manière dont les Britanniques font les choses sont très pragmatiques. Il n’y a pas de gros documents (...). Nous jugeons sans présenter de preuves détaillées, Hakluyt est très bonne dans l’analyse et l’obtention d’informations."(interview parue en 2000 dans le Financial Times). Dont acte.
Par ailleurs, quand Scowcroft quitte le NSC après le mandat de Bush père, il imite lui aussi Kissinger Associates, dont il était le Vice-président, et il fonde un groupe jumeau, tout comme il se pose en jumeau complémentaire de Kissinger : le Scowcroft Group. De là à estimer que le 911 s'est préparé dans les cénacles feutrés et luxueux de groupes et autres fondations de renseignements privés, il n'y a qu'un pas, que l'on ne peut cependant poser que comme pure hypothèse, en reliant cette interrogation de bon sens avec le rôle évident joué par Kissinger et Scowcroft dans le 911 et dans l'après 911.
On se souviendra que l'ancien chef du renseignement allemand, Eckehardt Werthebach, avait déclaré, comme de nombreuses autres voix expertes en matière de renseignements stratégiques, que le 911 n'était pas le produit d'une opération spontanée réussie miraculeusement par une bande de bras cassés et de pauvres types désaxés (que l'on consulte à ce sujet le profil exemplaire d'Atta), mais une opération minutieuse, organisée à partir de services secrets institutionnels occidentaux et avec des moyens financiers et logistiques importants : des années d'élaboration et des structures puissantes.
Dans le contexte de cette déclaration, quel rôle ont pu jouer les officines de renseignement privé, sachant que Tarpley fournit de nombreuses indications montrant que le 911 s'est élaboré dans des officines privées, dont l'affaire Iran-Contra offre une perspective originale et dont le 911 établit en quelque sorte le couronnement paradoxal et sanguinaire? On se plaît à imaginer que le 911 ne s'est pas créé seulement dans des officines institutionnelles, mais que les représentants de certains cénacles de l'oligarchie financière ont décidé de déléguer la préparation longue et sophistiquée de cet attentat à des spécialistes chevronnés du monde du renseignement, atlantistes forcenés, immanentistes patentés et experts de tous acabits. Était-il plus discret et plus intéressant de sous-traiter le 911 à des éléments privés qu'à des institutions publiques?
La discrétion était en tout cas plus assurée. Question directe et toujours hypothétique : des fondations comme Kissinger Associates, Scowcroft Group, Hakluyt, Kroll Associates, qui sont toutes liées à l'oligarchie financière de Wall Street et de la City, ont-elles trempé dans le 911 en le préparant minutieusement en étroite collaboration avec des structures publiques dont elles ne sont jamais que les compléments et les partenaires privilégiés? Nous ne répondrons pas à cette question par souci de prudence et de justice, en rappelant à notre lecteur que les questions premières demeurent de fécondes hypothèses et qu'elles ne sauraient en aucun cas dépasser le stade des interrogations destinées à comprendre le monde, qui ne ressemble décidément pas à l'image qu'il veut donner de lui-même.
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