jeudi 22 avril 2010

Le chic du choc


Chic - Le Freak
envoyé par djoik. - Regardez la dernière sélection musicale.

Le fric, c'est freak?

L'attitude qui consiste à se moquer de la politique, des affaires nationales et internationales n'est pas très étayée d'un point de vue argumentatif. Dans son actualisation actuelle, elle en arrive à se moquer des effets de la crise qui menace pourtant d'engloutir les individus membres du système unique mondialiste, à commencer par les plus faibles (dont le nombre grossit à vue d'œil). C'est une attitude de rejet plus ou moins instinctive, voire passionnelle. Mauvais signe que le crédit accordé aux sentiments et à l'irrationnel, souvent au binôme immanentiste terriblement réducteur plaisir/douleur.
Cette attitude irrationnelle indique que les individus individualistes et dépolitisés nient le principe le plus haut qui meut l'homme, le principe qui définit la spécificité supérieure de l'homme, la raison - qui permet de dépasser les comportements destructeurs et profondément médiocres que l'on nomme le grégarisme ou l'individualisme consumériste et irrationnel. Pis, ces individus instinctifs et impulsifs, émotionnels et non émotifs (au contraire ils sont durs et impitoyables, totalement mus par des considérations matérielles et matérialistes), ont toutes les malchances de très mal comprendre (de manière très réductrice) les rouages du système dans lequel ils évoluent en suivant un point de vue individualiste qui leur est explicitement défavorable et qui se révèle par contre des plus favorables aux intérêts oligarchiques.
Les individualistes en suivant des modes de pensée irrationnels et instinctifs/passionnels jouent un jeu qui leur est destructeur. A ce paradoxe terrible, qui est décrit par l'expression donner les verges pour se faire battre, il convient d'ajouter une remarque connexe : cette attitude se manifeste souvent par le je-m'en-foutisme dépolitisé et désengagé, attitude dominante à l'heure actuelle, agrémentée d'une incapacité remarquable quoique inquiétante à s'intéresser à tout type de sujets qui ne ressortit pas de la sphère privée.
Le philosophe contemporain Rosset a déduit de son mode de pensée immanentiste terminal l'apologie du désengagement politique. L'argument est simple : rien ne sert de militer ni de s'engager dans des causes collectives et politiques qui sont fumistes. Raison du désengagement? La notion de volonté générale n'existe pas pour l'immanentiste qui n'accorde de valeur qu'à la complétude du désir (et sa variation absurde de volonté individuelle). Si seules les implications du désir possèdent de la valeur, effectivement il convient toutes affaires cessantes de se désengager politiquement.
Le désir s'oppose au politique en ce que le désir est de structure individualiste et que le politique désigne les affaires de la cité, soit les préoccupations collectives. Dans la mentalité classique, il n'est pas possible de se désintéresser des affaires politiques car l'individu possède des implications politiques évidentes. Impossible de ne pas trahir l'individualité, notamment dans son expression rationnelle, sans lui garantir l'engagement politique.
Dans le système classique non démocratique mais aristocratique (auquel appartient le système monarchique), ce sont quelques individus qui sont les représentants de la volonté générale. C'est-à-dire qu'on considère que le peuple dans sa majorité individuelle n'est pas capable d'aspiration politique et qu'il convient de lui donner une représentation élitiste et aristocratique (littéralement le pouvoir des meilleurs) pour perpétuer et sauvegarder le système en place.
Impossible dans une mentalité cohérente de biffer la notion de politique. Impossible en effet de ne pas considérer le lien entre l'individu et le groupe. C'est pourtant l'aberration confusionnelle que propose la révolution immanentiste par rapport à la culture classique en prônant un individualisme forcené et en instituant la complétude du désir. De deux choses l'une : soit cette conception est juste; soit elle est fausse. Si elle est juste, elle pourrait éventuellement constituer une révolution d'importance, un bouleversement dans les conceptions politiques et individuelles.
Mais elle est fausse (ses fondements sont faux, ils se trouvent notamment décryptés dans ce blog). Outre que l'examen sommaire de ses fondements laisse apparaître de multiples et grossières inconséquences, elle se révèle historiquement nullement nouvelle et originale (supercherie qu'un esprit individualiste tourné vers le frivole et méprisant l'effort de connaissance se montrera incapable de déceler). La complétude du désir d'obédience spinoziste n'est que la resucée du nihilisme atavique, selon lequel il convient de saper la vérité et de lui substituer la finalité individualiste.
On voit se dessiner deux options antagonistes :
1) l'option nihiliste qui se traduit en politique par l'option oligarchique.
2) l'option transcendantaliste qui se traduit en politique par l'option républicaine.
(Sans doute convient-il de renouveler profondément le transcendantalisme, mais ce n'est certainement pas l'immanentisme qui peut mener à bien ce projet de changement pérenne.)
Heureusement pour la pérennité de l'espèce humaine, jamais le principe oligarchique ne s'est exprimé de manière pure - sans quoi l'homme aurait disparu depuis belle lurette. Si l'on peut regretter que le principe républicain ne soit pas l'alternative unique de l'expression politique, sans quoi les sociétés exprimeraient des progrès constants et harmonieux, il convient de remarquer que les principes ont un impact incomparablement plus important que leur gestion quotidienne et interne. Les principes instaurent des changements quand la mentalité courante demeure rivée aux bornes et aux normes de l'ordre institué.
Il conviendrait aussi de remarquer que le désengagement évoque le desengano, soit la mélancolie. Le désengagé serait-il un dépressif notoire, alors qu'il devrait au contraire personnifier l'expression de l'acmé de la puissance individuelle et de la joie irrépressible? On sait que Rosset ou Deleuze étaient des dépressifs incurables alors que dans leur spinozisme acharné mâtiné de nietzschéisme ils dressent l'apologie inconditionnelle de la joie. Mais cette incohérence n'en est pas une pour des disciples de Spinoza.
Spinoza en immanentiste conséquent, soit en irrationaliste avançant masqué pour éviter l'oubli qui s'est attaché aux basques des nihilistes antiques explicites (comme les sophistes ou les atomistes), dresse l'apologie de la démocratie en parallèle à son système immanentiste ontologique. Les spinozistes clament le caractère aussi progressiste que visionnaire de leur modèle.
Malheureusement, la démocratie est le cheval de Troie de l'oligarchie ainsi que le savaient les Anciens qui se montraient défavorables à la démocratie au nom de la concpetion républicaine (exemple d'un Platon). Même un Aristote, qui est partisan d'un régime aristocratique dur, pour ne pas dire oligarchique, est défavorable à la démocratie, qu'il considère comme une chimère vicieuse débouchant nécessairement sur des dégénérescences pires que les modèles viables existants.
Deux types de conception démocratique s'opposent (qui recoupent l'opposition oligarchie/république) :
1) La démocratie républicaine qui implique que les citoyens/individus aient une formation politique et une conscience religieuse structurée. Ce n'est qu'à ces deux conditions conjointes et complémentaires que le régime démocratique peut être viable.
2) La démocratie oligarchique qui est une perversion du principe démocratique et qui instaure l'individualisme en coupant les aspirations individualistes de la majorité de la conception politique élitistes de la minorité justement au pouvoir. L'individualisme aboutit à un système qui sert les plus forts et qui accable l'insigne majorité des plus faibles, fussent-ils des moutons pathétiques et bêlants.
Le je m'en-foutisme est l'expression consternante du modèle démocratique oligarchique dans son versant populiste (dans tous les sens du terme). Pour se déclarer je m'en-foutiste et considérer que l'engagement politique est dépassé (implicitement que le désengagement politique et les intérêts individualistes valent seuls), il convient de manière scandaleuse de se révéler partisan de l'oligarchie à son détriment patent, soit d'appartenir à la cohorte des moutons mimétiques qui sont individualistes comme l'insigne part du troupeau - au service de quelques élites se croyant supérieures et considérant qu'elles diffèrent qualitativement de leurs congénères du troupeau. Argument invoqué : la bêtise. Car les je m'en-foutistes individualistes cautionnent le régime qui leur est défavorable.
C'est en effet une raison de se monter méprisant pour des esprits obtus, étriqués et peu au fait du réel, oublieux que le réel est infini et que des formes d'existence supérieures et implacables subsistent après la vie sensible ou physique. Quant aux je m'en-foutistes, leur égarement suicidaire ferait peine à voir s'il n'était profondément comique. Dans Le Quart Livre de Rabelais, Panurge se prend de querelle en pleine mer avec le marchand Dindenault. Pour se venger de ce dernier, il lui achète un mouton, qu'il précipite dans la mer. L'exemple et les bêlements de celui-ci entraînèrent tous les congénères - et le marchand lui-même, qui, s'accrochant au dernier mouton, se noya.
Bien entendu, la noyade de Dindenault est dramatique - elle est encore plus comique : Dindenault incarne le sort qui attend les esprits grégaires (moutonniers) suivant bêtement/bêlement les mentalités qu'on leur inculque sans faire preuve d'une once d'esprit critique. Dindenault illustre l'instinct grégaire qui soutient la mentalité oligarchique. Impossible d'établir l'oligarchie sans un soutien paradoxal quoique fervent de la majorité. Impossible d'instaurer l'oligarchie sans la perversion de la démocratie en démagogie. On peur y voir l'instinct grégaire de la majorité, de ces individualistes instinctifs et irrationnels qui suivent sans comprendre les valeurs qu'on leur inculque et qui leur sont défavorables.
Mais Dindenault exprime plus encore le sort inévitable qui attend les marchands, soit les dominateurs de l'ordre oligarchique. Rabelais met en garde : l'instinct grégaire qui est l'expression paradigmatique de l'oligarchie conduit les maîtres comme les serviteurs vers l'abîme. Aucune échappatoire car personne ne comprend. Tous sont rivés à leurs intérêts immédiats qui sont oligarchiques et qui conduisent aux pires contresens. Le comique provient de l'incohérence ridicule consistant à promouvoir un système qui au final se révèle mortel pour toutes les parties le soutenant.
Toutes les parties croient en tirer profit, même médiocre (le profit médiocre est l'apanage des individualistes grégaires). Aucune partie n'échappera à la disparition. De la même manière que le bûcheron sciant la branche sur laquelle il est assis fait sourire, l'histoire des moutons de Panurge qui se précipitent dans la mer pour imiter leur prédécesseur et sans réfléchir sur les implications suicidaires de leur geste se révèle drolatique.
Rien n'est drôle s'il n'est en même temps de facture tragique. Il est tragique de soutenir un régime inconséquent qui vous promet la destruction et la disparition. Il est drôle que les dominateurs à la mentalité perverse connaissent le même sort que ceux qu'ils ont aveuglés par leur mentalité individualiste désaxée et réductrice. Ce n'est pas une consolation de savoir que cette destruction est totale, qu'elle concerne autant les maîtres minoritaires que les suiveurs majoritaires - les dominateurs comme les dominants (au passage, le plus comique dans le tragique tient à la figure éternelle de ces valets qui se croient plus malins et avantagés que les autres valets en servant avec zèle les maîtres arrogants; ils correspondent à ces classes moyennes assez aisées qui croient tirer leur épingle du jeu en fayottant pour des intérêts qui leur sont défavorables et qui loin de les élever les abaissent moralement et matériellement). Pendant que le peuple fait la fête (souvent de manière misérable) et se disperse en batifolant, il délègue ses mandats politiques. Ledit peuple pourra toujours rétorquer qu'il ne délègue pas, qu'il ne reconnaît pas ce pouvoir dépassé et inintéressant (désuet).
Qu'il nie tant qu'il veut - veule. Son attitude ressortit du déni caractérisé (dire d'une chose qui existe qu'elle n'existe pas en accordant le critère d'existence au désir aux détriments du réel). L'analyste lucide (car il en existe) aura le dernier mot du point de vue non de la force mais de la vérité (soit du rationnel et du cohérent) : pendant que vous vous désengagez politiquement, d'autres occupent le terrain, soit agissent avec d'autant plus de facilité qu'ils ont les mains déliées et qu'ils ne sont soumis à aucun contrôle du groupe. Ils sont certes fort surveillés et encadrés - par les intérêts oligarchiques dont l'efficacité se mesure à la capacité à opérer une scission illusoire et sociale (pas ontologique) entre les minorités dominantes et les majorités mimétiques.
Aux temps de Venise, ces acteurs de la politique oligarchique étaient des intellectuels appartenant aux institutions du fondo. L'époque féodale plus généralement sélectionnait les représentants intellectuels des intérêts oligarchiques parmi les ordres religieux. A l'époque contemporaine, les penseurs des élites oligarchiques se situent notamment dans des cabinets juridiques ou de conseils stratégiques, en lien avec les cercles des financiers internationaux. Le désengagement s'explique certes par la mentalité mimétique incohérente, mais il sert les intérêts oligarchiques. Pendant que vous vous désengagez, vous servez le sur-engagement des représentants de l'oligarchie.
En oubliant que la démocratie est le pouvoir du peuple, vous servez l'oligarchie. En déléguant vos prérogatives politiques, vous vous désengagez au sens où vous vous suicidez. Rien d'étonnant à ce que ce suicide politique se manifeste par des élans d'enthousiasme festif. Après tout, un sectateur de l'immanentisme tardif et dégénéré, ce Nietzsche plus trouble encore que troublé, essayait de relancer le culte satanique de Dionysos en opposition au christianisme qu'il abhorrait comme manifestation du religieux classique.
Les individualistes moutonniers et oligarchiques (à leurs détriments) sont des joueurs inconscients et frivoles, qui croient s'amuser dans le moment où ils s'empoisonnent. Que faisaient les passagers du Titanic alors que leur beau navire coulait? Ils faisaient la fête. On leur avait explique que le Titanic était un navire conçu de manière scientifique pour ne pas couler. Il n'était pas question de manifester la moindre inquiétude car il n'était tout simplement pas envisageable que le Titanic connaisse un naufrage. On imagine les scènes où quelques passagers isolés, plus lucides que les autres, manifestaient quelques angoisses à propos de la situation réelle du bateau.
D'autres passagers et des membres avisés de l'équipage prenaient leur ton le plus savant (voire pédant) pour signifier que l'inquiétude n'était pas de mise. On avait toutes les bonnes raisons de faire la fête, en tout cas de ne pas se soucier. D'un point de vue sociologique, les passagers du Titanic étaient des privilégiés qui personnifiaient en majorité les classes aisées de la bourgeoisie. Le bateau comprenait trois classes, mais même les troisièmes classes connaissaient des conditions fort privilégiées par rapport aux autres bateaux. Les premières classes jouissaient d'un luxe incomparable pour l'époque.
Ils sont ceux qui aujourd'hui se croient intouchables par les conséquences (à court terme) de la crise et qui peuvent proposer un égoïsme si monstrueux qu'ils se désintéressent de la condition des faibles qui pâtissent en premier des effets de la crise. Les deuxièmes classes seraient ceux qui peuvent s'estimer suffisamment aisés pour suivre les intérêts des premières classes tout en se sachant exclus des avantages principaux réservés à ces premières classes. C'est parmi ces deuxièmes classes que se recrutent les pires traîtres collaborateurs qui pendant les temps troublés commettent les plus grands crimes pour servir, pour obéir, par mimétisme, parce qu'on suit toujours les ordres et la hiérarchie. Quand on s'estime avantagé mais relativement inférieur, soit supérieur à la majorité quoique subordonné à l'élite, on est le plus faillible - enclin à commettre les pires turpitudes.
Malgré le désir de festoyer et d'échapper au réel, l'ensemble du Titanic coula, des passagers les plus fortunés aux employés les plus modestes. C'est un des plus grands carnages de l'histoire maritime (environ 1500 morts, 75% des troisièmes classes, 53 des 109 enfants, 700 rescapés). Surtout, les dirigeants les plus qualifiés et compétents parmi l'équipage (76% des 889 membres d'équipage sont morts) se montrèrent incapables de prévoir la catastrophe et de comprendre ce qui se produisait. Ils avaient été formés jusqu'à excellence pour imiter, répéter et obéir aux instructions. Ils s'y conformèrent avec un zèle remarquable. On ne les avait pas formés pour s'adapter aux changements, soit pour se mouvoir dans le réel. Tant que le réel suit le processus connu et ronronnant d'un certain ordre, les esprits mimétiques suivent d'autant plus qu'ils sont brillants et académistes.
Dès que le réel quitte les rouages du processus bien connu et manifeste le changement inévitable et prévisible, les premiers à se trouver déboussolés sont ceux-à mêmes qui présentaient le plus d'excellence mimétique et académiste dans leur ordre chéri. Raison pour laquelle il importe de distinguer entre l'excellence mimétique et l'excellence créatrice. La première est virtuosité médiocre; la seconde seule permet d'accéder à l'infini. Raison pour laquelle le Titanic a coulé corps et biens. Raison pour laquelle notre système actuel, de facture immanentiste, coule et croule alors que les dirigeants et les soit-disant stratèges, tous gens excellents d'un point de vue académiste et mimétique, expliqueront avec zèle et componction qu'il n'est pas lieu de s'inquiéter - le système unique mondialisé ne saurait connaître d'avarie. N'a-t-il pas été conçu avec chic pour résister à tous les chocs?

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