Qui diffère erre.
Définition de l'identité : quand on est capable de croître.
Le mécanisme de l'identité permet de mieux identifier le réel, soit d'accroître son emprise sur lui.
Le fantasme de l'occultisme subsume une identité qui contrôlerait le monde dans le secret.
C'est moins le secret qui importe que le contrôle du monde. Comme aucune identité ne peut contrôler le réel de manière visible, on recourt au secret, à l'invisible, pour rendre possible l'impossible (le contrôle du monde).
L'identité invisible/secrète/occulte permet de réaliser (dans tous les sens du terme) ce que l'identité visible et historique ne peut réussir : le fantasme de la perfection. A quelle réalité renvoie cette perfection?
Dans les histoires fantastiques de pouvoir secret, quelles que soient les appellations retenues, on tombe toujours sur quelques dirigeants mystérieux voire inconnus (le meilleur moyen de conserver le secret est de ne jamais le nommer, le cerner, l'identifier) dont la particularité remarquable est de posséder un pouvoir qui n'est pas le pouvoir classique imparfait, incomplet, quoique fonctionnel et en progrès, mais un pouvoir enfin parfait et complet.
De ce point de vue (central), le mythe complotiste rejoint le mythe de la complétude immanentiste - et les immanentistes dominants la mentalité actuelle ont tort de se plaindre de leurs rejetons encore plus inconséquents qu'eux, mais tout aussi immanentistes (les pires haines cachent les plus fidèles et inavouables projections).
Le fantasme d'un pouvoir qui existerait d'autant mieux qu'il serait secret et diabolique ne recoupe pas l'observation et la description de ce qu'est l'identité immanentiste (en particulier l'identité du pouvoir actuel), identité que j'ai surnommée par dérision différante non en hommage à la différance de Derrida, mais pour réutiliser ce concept néo-hégélien et immanentiste terminal en une acception critique et plus lucide de l'identité immanentiste. Qu'est-ce que ma différance? C'est le contraire de la différence occulte et parfaite. C'est la réutilisation/recyclage d'un terme-aveu qui indique ce qu'est le déni. Le propre de la différence classique est de corriger l'imperfection pour croître vers la perfection.
Sans doute l'identité ne sera-t-elle jamais parfaite; elle est perfectionnement, soit croissance (changement). L'identité différante commence par se réclamer de la complétude contre l'incomplétude de l'identité classique. Spinoza est le héraut de cette antienne moderne. L'invocation de complétude impliquerait la supériorité du modèle immanentiste par rapport au modèle classique (incomplet). Cette complétude-là, complétude moniste si l'on veut, est un faux holisme au sens où la meilleure définition qu'elle produit de son tout est l'incréation.
A ce compte, non seulement le tout est irrationnel, fâcheux inconvénient, mais en plus il libère dans son échec définitoire le néant antagoniste et chaotique (même implicitement, même insidieusement). Autant dire que le tout n'est pas le tout, juste une boîte de Pandore laissant sortir qui plus est le pire des maux, celui contre lequel la réaction transcendantaliste s'était efforcée de prôner l'Être - le Non-Être. L'identité complète est l'identité différante. Quel est cet ensorcèlement qui la pousse à présenter pour supérieur ce qui est inférieur et destructeur?
L'identité différante toujours diffère. A force de différer, c'est une identité si incomplète qu'elle en est introuvable. L'incomplétude s'allie à l'inexistence pour revendiquer la complétude fantasmatique et fallacieuse. Qui diffère erre. Le propre de la différance est de toujours reporter vers l'ailleurs introuvable l'identité complète, soit de situer nulle part (ailleurs) la complétude. Du coup, la différance se reporte indéfiniment d'identité différante en identité différante, en un constant jeu de dupes qui est aussi un sinistre mirage aux alouettes et un jeu de miroir forcément trompeur. La différance n'est pas seulement l'identité morcelée et statique. Sa staticité figée et finie la condamne à la mésidentité.
S'identifier revient moins à trouver une forme fixe qu'à constamment chercher la croissance de la forme. La croissance formelle indique physiquement la correspondance avec la croissance fondamentale. La quête d'une fixité identitaire aboutit à la sclérose identitaire qui se traduit par la différance identitaire. Au contraire, la reconnaissance de l'incomplétude identitaire, qui sous-tend le caractère mythique et fantasmatique de la complétude identitaire, permet de dénicher une forme toujours provisoire et changeante d'identité - une forme en progrès.
Soit l'identité est provisoire et croissante; soit elle est différante et sclérosée. L'identité complète désigne un poison qui détruit sous prétexte de fixer l'identité et qui aboutit au résultat inverse de celui escompté : au lieu de produire une forme enfin stable d'identité, on rend le mécanisme de l'identification impossible. L'identité classique, pour provisoire et changeante qu'elle est, présente au mois le mérite de permettre une ébauche d'identité (en identité de facture incomplète). Tandis que l'identité dite complète est un leurre grossier derrière lequel se cache la destruction.
Avant destruction définitive, c'est la sclérose de plus en plus chancelante : soit l'identité différante, toujours changeante, toujours ailleurs, jamais identifiable, ni fiable. Le postmoderne Deleuze travailla avec passion sur la différence en opposition à la répétition. La différence est un concept au sens immanentiste, soit la réduction de l'idée platonicienne reprenant l'héritage du binôme même/ailleurs. Le même et l'ailleurs sont le couple fondamental (la dyade originelle) qui découle de l'Un idéal dans l'incomplétude sensible.
Dans une mentalité immanentiste, où il s'agit sinon d'abolir, du moins d'assujettir le temps au désir, l'éloge spinoziste et nietzschéen de la différence recoupe l'apologie du réel comme sensible pur. Le changement est loué parce qu'il désigne le sensible comme réel pur. Le changement, c'est les différences successives (ou le mécanisme indéfini de différence) produit par le choc du réel (quelque chose) avec son antagoniste le néant (le chaos). Il en ressort d'incessants changements, qui sont les différences.
La répétition tend du côté du chaos. En même temps, l'éloge vibrant voire inconditionnel qu'un Nietzsche dresse de l'Éternel Retour (comme test psychologique différant du tout au tout du processus physique antique) indique que le seul moyen pour l'immanentisme de se sortir de l'issue nihiliste (le chaos) consiste à transformer le réel de telle sorte qu'il soit en mesure d'intégrer le néant. Si le réel est capable d'accepter l'éternelle répétition, il peut surmonter l'issue nihiliste programmatique.
C'est un raisonnement des plus tortueux, c'est ce que produit l'idéalisme immanentiste postromantique acculé au désespoir, soit au spectre de sa chute fatale et inexorable. Derrida est un postmoderne qui essaye de résoudre le problème de l'immanentisme tardif et dégénéré tel qu'il se pose à Nietzsche. Derrida commença par étudier Husserl et qu'il devint peu à peu le familier ambigu de Heidegger. Derrida est un sioniste qui passe son temps à s'interroger sur sa condition de juif - Heidegger est à la fois le métaphysicien génial (à mon avis largement surévalué) et le penseur qui flirta toute sa vie avec l'idéologie nazie.
(Je me montrerais sur ce point plus sévère que Derrida à l'égard de Heidegger, à cette réserve près que Heidegger a vraiment joué le jeu du nihilisme avec franchise et sérieux, et a identifié non sans raison le nihilisme nietzschéen du dernier homme avec l'idéologie libérale. La folie de Heidegger consiste à prétendre résoudre le nihilisme libéral - diagnostic des plus pénétrants - par la solution nazie qui est bien la solution finale au sens non de définitive mais de destructrice).
Derrida prend au sérieux la problématique nietzschéenne et la réponse que Heidegger prétend lui apporter. Pour Deleuze, il s'agit de résoudre le problème nietzschéen en considérant que la mutation ontologique ne peut se faire dans un sens littéral, soit qu'elle ne peut se dérouler que dans les bornes (les limites) du monde tel qu'il est. Deleuze est un pragmatique postmoderne, à ceci près qu'il est aussi progressiste, soit qu'il considère que c'est par une augmentation de la puissance du désir individuel que l'on peut parvenir à résoudre le problème nietzschéen.
(De ce point de vue, si Rosset admire Deleuze, c'est parce qu'il répond au problème de l'immanentisme tardif et dégénéré par une problématique pragmatique tout comme lui. Par contre, il s'oppose à Deleuze, parce que Deleuze opte pour un progressisme pragmatique, quand Rosset est favorable à la position la plus conservatrice et fixe, par l'absence radicale de tout type de progrès. La haine que Rosset voue à Derrida est une haine de frères, soit la haine qu'un pragmatique pur et dur de l'immanentisme terminal voue à un idéaliste de ce même immanentisme terminal.)
Derrida est à l'intérieur des distinctions internes (d'autant plus amplifiées qu'elles sont minimes) à l'immanentisme terminal (dont la présentation usuelle est désignée par le postmodernisme frimeur et abscons) un idéaliste qui prétend achever l'idéalisme immanentiste de Nietzsche. On achève bien les chevaux, hein Friedrich? C'est pourquoi Derrida se présente dans un rôle de gauchiste oxymorique, ennemi du communisme et élitiste en diable - les deux à la fois, en même temps progressiste viscéral et inégalitariste déclaré.
Un esprit aussi narcissique et arrogant que Derrida ne pouvait embrasser le parti populaire du progressisme. La plèbe le dégoûtait? Il était trop fidèle à l'héritage aristocratique de Nietzsche? Il jeta son dévolu sur une forme de progressisme tout à fait marginale et intellectualiste, tellement marginale qu'elle n'était pas vraiment définissable. Déjà l'usage de la catégorie de l'impossible en politique : allier le progressisme gauchiste avec aristocratisme ultra-conservateur (et artiiiiiiste) d'un Nietzsche est chose des plus impraticables.
L'impossible politique de Derrida découle de l'impossible ontologique de facture immanentiste. Qu'est-ce que ce concept de différance qui serait au fondement de l'entreprise de déconstruction? La déconstruction, qui est devenue une mode littéraire dans les départements des universités américaines, consiste à promouvoir un travail entièrement négatif, comme son nom l'indique, qui détruit les fondements de la métaphysique classique sans les remplacer par des alternatives définissables.
Le propre de l'entreprise de déconstruction est de promouvoir la catégorie de l'impossible idéel (et sa réduction conceptuelle). Derrida va si loin dans cette perspective qu'il n'hésite pas à déconstruire Nietzsche ou Marx au nom du processus d'immanentisme qui veut qu'un immanentiste terminal accroisse le degré d'immanentisme par rapport à un immanentiste tardif et dégénéré. On a vu avec Onfray ce que pouvait donner une entreprise d'ultra-réduction caricaturale et totalement négative. Derrida le brillant académiste ne se montre guère plus intelligent qu'Onfray. Par contre, il est (encore) plus pédant et académiste (cultivé dans un sens de domination intellectuelle, sociale et dans une approche figée du savoir de nature exclusivement académique).
Il est logique que l'entreprise intégralement négative (et négativiste) de déconstruction s'appuie sur un fondement conceptuel (réducteur) : la différance. Derrida manifeste une fierté démesurée pour son invention conceptuelle, qui le hissa le temps de sa génération vers les cîmes des grands penseurs. Il escompte avoir résolu avec son jeu de mots affriolant la difficulté posée par Nietzsche et ses suivants (dont Heidegger) : comment réussir la mutation ontologique de l'immanentisme sans laquelle le processus d'immanentisme est condamné (Nietzcshe et ses suiveurs sont incapables d'imaginer que l'homme puisse vivre en dehors de la mentalité immanentiste qui est pour eux la panacée du destin humain et l'expression de la quintessence existentielle).
La différance instaure ainsi l'ailleurs nihiliste, qui est la catégorie de l'impossible par excellence. Derrida par son tour de passe-passe résout le problème de la différence, qui déjà était depuis Spinoza une réduction de l'autre platonicien. Pour résoudre, Derrida qui n'est plus capable d'inventer se contente de substituer au terme employé dans un sens figuré (la différence comme distinction) le même terme employé dans un sens littéral (la différAnce comme action de toujours remettre à un autre temps). C'est dire que Derrida pour inventer recourt à la répétition sémantique la plus convenue, qui se pare du brillant parce qu'elle jouerait avec les mots. Derrida serait-il un médiocre ultra-pédant, qui reproduirait le plus convenu et le moins qualitatif en l'enrobant sous des atours séduisants et sophistiques avec des références prestigieuses aux penseurs modernes et déjà jargonnants Hegel, Husserl ou Heidegger?
La différance instaure l'utopie au sens strict. L'utopie est l'absence de lieu, le lieu impossible, dont le chanteur tristement peoplisé Michael Jackson donna une subtile variation non musicale et plutôt topographique avec son domaine sobrement baptisé Nerverland. La différance est conceptuellement le pendant de l'utopie géographique. Il s'agit dans les deux cas de proposer comme solution l'absence de lieu au sens de l'impossible.
Face au défi nietzschéen que Deleuze résout en proposant la différence, soit en proposant une solution spinoziste modérée (le désir comme lieu du réalisme et du pragmatisme), Derrida se montre plus idéaliste et plus innovateur que Deleuze en suivant Nietzsche dans ses pas d'idéaliste prônant la mutation ontologique. Derrida résout la question de la mutation en la situant nulle part, dans une utopie sémantique qui est le lieu de l'impossible et de l'ailleurs à tout jamais (la différance). Derrida par la différance croit résoudre le problème de la différence et de la répétition. Derrida par le mot croit résoudre les maux? Pas étonnant qu'il écrive dans un charabias étourdissant : la fonction du mot remplace celle du réel. Le mot (incompréhensible) exprime le désir (complet). La complétude correspond-elle à l'incompréhensible? La synthèse ou la réconciliation (l'action de surmonter en référence à l'Aufhebung hégélienne) consiste ici à proposer la solution de l'impossible pour résoudre le défi posé par la problématique nietzschéenne (et immanentiste) de la mutation ontologique.
Heureusement pour l'homme (malheureusement pour l'immanentisme), la solution impossible n'est pas une solution. Après les économistes épuisés et visiblement effrayés qui proposaient en fin de comptes de rationaliser l'irrationnel, nous avons, en sens inverse, un brillard académiste philosophe qui envisage l'impossible pour résoudre l'impossible. Derrida ne fait que redoubler d'impossible, ou s'empêtrer dans l'impossible, oubliant que le nul demeure nul quels que soient les facteurs de multiplication envisagés. Derrida en multipliant par - n facteur la solution déjà nulle de Deleuze en fait que s'acharner dans la nullité - et montrer la valeur réelle de ce courant postmoderne qui s'essaye à résoudre l'impossible comme Œdipe démêle l'énigme du Sphinx. Au final, le Sphinx n'est jamais qu'un monstre logique, quand l'impossible ressortit de l'ordinaire illogique - soit de l'irrésolution.
Définition de l'identité : quand on est capable de croître.
Le mécanisme de l'identité permet de mieux identifier le réel, soit d'accroître son emprise sur lui.
Le fantasme de l'occultisme subsume une identité qui contrôlerait le monde dans le secret.
C'est moins le secret qui importe que le contrôle du monde. Comme aucune identité ne peut contrôler le réel de manière visible, on recourt au secret, à l'invisible, pour rendre possible l'impossible (le contrôle du monde).
L'identité invisible/secrète/occulte permet de réaliser (dans tous les sens du terme) ce que l'identité visible et historique ne peut réussir : le fantasme de la perfection. A quelle réalité renvoie cette perfection?
Dans les histoires fantastiques de pouvoir secret, quelles que soient les appellations retenues, on tombe toujours sur quelques dirigeants mystérieux voire inconnus (le meilleur moyen de conserver le secret est de ne jamais le nommer, le cerner, l'identifier) dont la particularité remarquable est de posséder un pouvoir qui n'est pas le pouvoir classique imparfait, incomplet, quoique fonctionnel et en progrès, mais un pouvoir enfin parfait et complet.
De ce point de vue (central), le mythe complotiste rejoint le mythe de la complétude immanentiste - et les immanentistes dominants la mentalité actuelle ont tort de se plaindre de leurs rejetons encore plus inconséquents qu'eux, mais tout aussi immanentistes (les pires haines cachent les plus fidèles et inavouables projections).
Le fantasme d'un pouvoir qui existerait d'autant mieux qu'il serait secret et diabolique ne recoupe pas l'observation et la description de ce qu'est l'identité immanentiste (en particulier l'identité du pouvoir actuel), identité que j'ai surnommée par dérision différante non en hommage à la différance de Derrida, mais pour réutiliser ce concept néo-hégélien et immanentiste terminal en une acception critique et plus lucide de l'identité immanentiste. Qu'est-ce que ma différance? C'est le contraire de la différence occulte et parfaite. C'est la réutilisation/recyclage d'un terme-aveu qui indique ce qu'est le déni. Le propre de la différence classique est de corriger l'imperfection pour croître vers la perfection.
Sans doute l'identité ne sera-t-elle jamais parfaite; elle est perfectionnement, soit croissance (changement). L'identité différante commence par se réclamer de la complétude contre l'incomplétude de l'identité classique. Spinoza est le héraut de cette antienne moderne. L'invocation de complétude impliquerait la supériorité du modèle immanentiste par rapport au modèle classique (incomplet). Cette complétude-là, complétude moniste si l'on veut, est un faux holisme au sens où la meilleure définition qu'elle produit de son tout est l'incréation.
A ce compte, non seulement le tout est irrationnel, fâcheux inconvénient, mais en plus il libère dans son échec définitoire le néant antagoniste et chaotique (même implicitement, même insidieusement). Autant dire que le tout n'est pas le tout, juste une boîte de Pandore laissant sortir qui plus est le pire des maux, celui contre lequel la réaction transcendantaliste s'était efforcée de prôner l'Être - le Non-Être. L'identité complète est l'identité différante. Quel est cet ensorcèlement qui la pousse à présenter pour supérieur ce qui est inférieur et destructeur?
L'identité différante toujours diffère. A force de différer, c'est une identité si incomplète qu'elle en est introuvable. L'incomplétude s'allie à l'inexistence pour revendiquer la complétude fantasmatique et fallacieuse. Qui diffère erre. Le propre de la différance est de toujours reporter vers l'ailleurs introuvable l'identité complète, soit de situer nulle part (ailleurs) la complétude. Du coup, la différance se reporte indéfiniment d'identité différante en identité différante, en un constant jeu de dupes qui est aussi un sinistre mirage aux alouettes et un jeu de miroir forcément trompeur. La différance n'est pas seulement l'identité morcelée et statique. Sa staticité figée et finie la condamne à la mésidentité.
S'identifier revient moins à trouver une forme fixe qu'à constamment chercher la croissance de la forme. La croissance formelle indique physiquement la correspondance avec la croissance fondamentale. La quête d'une fixité identitaire aboutit à la sclérose identitaire qui se traduit par la différance identitaire. Au contraire, la reconnaissance de l'incomplétude identitaire, qui sous-tend le caractère mythique et fantasmatique de la complétude identitaire, permet de dénicher une forme toujours provisoire et changeante d'identité - une forme en progrès.
Soit l'identité est provisoire et croissante; soit elle est différante et sclérosée. L'identité complète désigne un poison qui détruit sous prétexte de fixer l'identité et qui aboutit au résultat inverse de celui escompté : au lieu de produire une forme enfin stable d'identité, on rend le mécanisme de l'identification impossible. L'identité classique, pour provisoire et changeante qu'elle est, présente au mois le mérite de permettre une ébauche d'identité (en identité de facture incomplète). Tandis que l'identité dite complète est un leurre grossier derrière lequel se cache la destruction.
Avant destruction définitive, c'est la sclérose de plus en plus chancelante : soit l'identité différante, toujours changeante, toujours ailleurs, jamais identifiable, ni fiable. Le postmoderne Deleuze travailla avec passion sur la différence en opposition à la répétition. La différence est un concept au sens immanentiste, soit la réduction de l'idée platonicienne reprenant l'héritage du binôme même/ailleurs. Le même et l'ailleurs sont le couple fondamental (la dyade originelle) qui découle de l'Un idéal dans l'incomplétude sensible.
Dans une mentalité immanentiste, où il s'agit sinon d'abolir, du moins d'assujettir le temps au désir, l'éloge spinoziste et nietzschéen de la différence recoupe l'apologie du réel comme sensible pur. Le changement est loué parce qu'il désigne le sensible comme réel pur. Le changement, c'est les différences successives (ou le mécanisme indéfini de différence) produit par le choc du réel (quelque chose) avec son antagoniste le néant (le chaos). Il en ressort d'incessants changements, qui sont les différences.
La répétition tend du côté du chaos. En même temps, l'éloge vibrant voire inconditionnel qu'un Nietzsche dresse de l'Éternel Retour (comme test psychologique différant du tout au tout du processus physique antique) indique que le seul moyen pour l'immanentisme de se sortir de l'issue nihiliste (le chaos) consiste à transformer le réel de telle sorte qu'il soit en mesure d'intégrer le néant. Si le réel est capable d'accepter l'éternelle répétition, il peut surmonter l'issue nihiliste programmatique.
C'est un raisonnement des plus tortueux, c'est ce que produit l'idéalisme immanentiste postromantique acculé au désespoir, soit au spectre de sa chute fatale et inexorable. Derrida est un postmoderne qui essaye de résoudre le problème de l'immanentisme tardif et dégénéré tel qu'il se pose à Nietzsche. Derrida commença par étudier Husserl et qu'il devint peu à peu le familier ambigu de Heidegger. Derrida est un sioniste qui passe son temps à s'interroger sur sa condition de juif - Heidegger est à la fois le métaphysicien génial (à mon avis largement surévalué) et le penseur qui flirta toute sa vie avec l'idéologie nazie.
(Je me montrerais sur ce point plus sévère que Derrida à l'égard de Heidegger, à cette réserve près que Heidegger a vraiment joué le jeu du nihilisme avec franchise et sérieux, et a identifié non sans raison le nihilisme nietzschéen du dernier homme avec l'idéologie libérale. La folie de Heidegger consiste à prétendre résoudre le nihilisme libéral - diagnostic des plus pénétrants - par la solution nazie qui est bien la solution finale au sens non de définitive mais de destructrice).
Derrida prend au sérieux la problématique nietzschéenne et la réponse que Heidegger prétend lui apporter. Pour Deleuze, il s'agit de résoudre le problème nietzschéen en considérant que la mutation ontologique ne peut se faire dans un sens littéral, soit qu'elle ne peut se dérouler que dans les bornes (les limites) du monde tel qu'il est. Deleuze est un pragmatique postmoderne, à ceci près qu'il est aussi progressiste, soit qu'il considère que c'est par une augmentation de la puissance du désir individuel que l'on peut parvenir à résoudre le problème nietzschéen.
(De ce point de vue, si Rosset admire Deleuze, c'est parce qu'il répond au problème de l'immanentisme tardif et dégénéré par une problématique pragmatique tout comme lui. Par contre, il s'oppose à Deleuze, parce que Deleuze opte pour un progressisme pragmatique, quand Rosset est favorable à la position la plus conservatrice et fixe, par l'absence radicale de tout type de progrès. La haine que Rosset voue à Derrida est une haine de frères, soit la haine qu'un pragmatique pur et dur de l'immanentisme terminal voue à un idéaliste de ce même immanentisme terminal.)
Derrida est à l'intérieur des distinctions internes (d'autant plus amplifiées qu'elles sont minimes) à l'immanentisme terminal (dont la présentation usuelle est désignée par le postmodernisme frimeur et abscons) un idéaliste qui prétend achever l'idéalisme immanentiste de Nietzsche. On achève bien les chevaux, hein Friedrich? C'est pourquoi Derrida se présente dans un rôle de gauchiste oxymorique, ennemi du communisme et élitiste en diable - les deux à la fois, en même temps progressiste viscéral et inégalitariste déclaré.
Un esprit aussi narcissique et arrogant que Derrida ne pouvait embrasser le parti populaire du progressisme. La plèbe le dégoûtait? Il était trop fidèle à l'héritage aristocratique de Nietzsche? Il jeta son dévolu sur une forme de progressisme tout à fait marginale et intellectualiste, tellement marginale qu'elle n'était pas vraiment définissable. Déjà l'usage de la catégorie de l'impossible en politique : allier le progressisme gauchiste avec aristocratisme ultra-conservateur (et artiiiiiiste) d'un Nietzsche est chose des plus impraticables.
L'impossible politique de Derrida découle de l'impossible ontologique de facture immanentiste. Qu'est-ce que ce concept de différance qui serait au fondement de l'entreprise de déconstruction? La déconstruction, qui est devenue une mode littéraire dans les départements des universités américaines, consiste à promouvoir un travail entièrement négatif, comme son nom l'indique, qui détruit les fondements de la métaphysique classique sans les remplacer par des alternatives définissables.
Le propre de l'entreprise de déconstruction est de promouvoir la catégorie de l'impossible idéel (et sa réduction conceptuelle). Derrida va si loin dans cette perspective qu'il n'hésite pas à déconstruire Nietzsche ou Marx au nom du processus d'immanentisme qui veut qu'un immanentiste terminal accroisse le degré d'immanentisme par rapport à un immanentiste tardif et dégénéré. On a vu avec Onfray ce que pouvait donner une entreprise d'ultra-réduction caricaturale et totalement négative. Derrida le brillant académiste ne se montre guère plus intelligent qu'Onfray. Par contre, il est (encore) plus pédant et académiste (cultivé dans un sens de domination intellectuelle, sociale et dans une approche figée du savoir de nature exclusivement académique).
Il est logique que l'entreprise intégralement négative (et négativiste) de déconstruction s'appuie sur un fondement conceptuel (réducteur) : la différance. Derrida manifeste une fierté démesurée pour son invention conceptuelle, qui le hissa le temps de sa génération vers les cîmes des grands penseurs. Il escompte avoir résolu avec son jeu de mots affriolant la difficulté posée par Nietzsche et ses suivants (dont Heidegger) : comment réussir la mutation ontologique de l'immanentisme sans laquelle le processus d'immanentisme est condamné (Nietzcshe et ses suiveurs sont incapables d'imaginer que l'homme puisse vivre en dehors de la mentalité immanentiste qui est pour eux la panacée du destin humain et l'expression de la quintessence existentielle).
La différance instaure ainsi l'ailleurs nihiliste, qui est la catégorie de l'impossible par excellence. Derrida par son tour de passe-passe résout le problème de la différence, qui déjà était depuis Spinoza une réduction de l'autre platonicien. Pour résoudre, Derrida qui n'est plus capable d'inventer se contente de substituer au terme employé dans un sens figuré (la différence comme distinction) le même terme employé dans un sens littéral (la différAnce comme action de toujours remettre à un autre temps). C'est dire que Derrida pour inventer recourt à la répétition sémantique la plus convenue, qui se pare du brillant parce qu'elle jouerait avec les mots. Derrida serait-il un médiocre ultra-pédant, qui reproduirait le plus convenu et le moins qualitatif en l'enrobant sous des atours séduisants et sophistiques avec des références prestigieuses aux penseurs modernes et déjà jargonnants Hegel, Husserl ou Heidegger?
La différance instaure l'utopie au sens strict. L'utopie est l'absence de lieu, le lieu impossible, dont le chanteur tristement peoplisé Michael Jackson donna une subtile variation non musicale et plutôt topographique avec son domaine sobrement baptisé Nerverland. La différance est conceptuellement le pendant de l'utopie géographique. Il s'agit dans les deux cas de proposer comme solution l'absence de lieu au sens de l'impossible.
Face au défi nietzschéen que Deleuze résout en proposant la différence, soit en proposant une solution spinoziste modérée (le désir comme lieu du réalisme et du pragmatisme), Derrida se montre plus idéaliste et plus innovateur que Deleuze en suivant Nietzsche dans ses pas d'idéaliste prônant la mutation ontologique. Derrida résout la question de la mutation en la situant nulle part, dans une utopie sémantique qui est le lieu de l'impossible et de l'ailleurs à tout jamais (la différance). Derrida par la différance croit résoudre le problème de la différence et de la répétition. Derrida par le mot croit résoudre les maux? Pas étonnant qu'il écrive dans un charabias étourdissant : la fonction du mot remplace celle du réel. Le mot (incompréhensible) exprime le désir (complet). La complétude correspond-elle à l'incompréhensible? La synthèse ou la réconciliation (l'action de surmonter en référence à l'Aufhebung hégélienne) consiste ici à proposer la solution de l'impossible pour résoudre le défi posé par la problématique nietzschéenne (et immanentiste) de la mutation ontologique.
Heureusement pour l'homme (malheureusement pour l'immanentisme), la solution impossible n'est pas une solution. Après les économistes épuisés et visiblement effrayés qui proposaient en fin de comptes de rationaliser l'irrationnel, nous avons, en sens inverse, un brillard académiste philosophe qui envisage l'impossible pour résoudre l'impossible. Derrida ne fait que redoubler d'impossible, ou s'empêtrer dans l'impossible, oubliant que le nul demeure nul quels que soient les facteurs de multiplication envisagés. Derrida en multipliant par - n facteur la solution déjà nulle de Deleuze en fait que s'acharner dans la nullité - et montrer la valeur réelle de ce courant postmoderne qui s'essaye à résoudre l'impossible comme Œdipe démêle l'énigme du Sphinx. Au final, le Sphinx n'est jamais qu'un monstre logique, quand l'impossible ressortit de l'ordinaire illogique - soit de l'irrésolution.
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