dimanche 18 avril 2010

Logique du dire

L'erreur de Clément Rosset telle qu'il l'explicite dans la première partie de ses Cinq conférences mexicaines pourrait s'énoncer comme suit.

Si la philosophie classique d'obédience transcendantaliste et d'héritage occidental platonicien pose que :
a \in A

(Selon Platon, qui reprend un héritage atavique, le sensible a est compris dans le véritable réel A)

la philosophie dissidente dont Rosset se réclame, et qui dans l'époque moderne se réclame de Spinoza et Nietzsche pose que :
A n'existe pas.
Seul a existe et mérite d'être étendu à l'ensemble du réel, qu'il soit incréé comme chez Spinoza (définition irrationnelle de l'infini) ou qu'il soit irrationnellement illusoire comme chez Nietzsche (qui se contente de dresser l'éloge inconséquente de l'apparence tout en condamnant le réel idéal comme faux).
Du coup, Rosset en profite pour remplacer la formule ontologique classique
a \in A
par la formule tautologique
A est A
étant précisé que A n'existant pas a devient tous les A.
L'erreur de Rosset ressortit de l'amalgame, puisqu'il rapproche deux formules antithétiques :
A n'est pas a (en tant que a \in A)
et
A est A.
Du coup, quand Rosset explique que tous les penseurs d'importance se réclament d'un mot-clé aussi fondateur qu'indéfini, notre penseur devenu modeste désigne sous le même vocable des penseurs transcendantalistes qui opèrent la distinction sensible/idéal et des penseurs immanentistes qui réfutent l'idéal et qui s'en tiennent à l'existence d'un réel à l'image du sensible, voire à l'image du fini (l'immanentisme est l'actualisation moderne du nihilisme atavique).

Peu importe par où l'on commence. Si l'on en revient à son Démon de la tautologie qui énonce que le réel est tautologique et que l'ontologie tautologique est supérieure à l'ontologie dualiste (selon le vocabulaire de Nietzsche repris par le disciple Rosset), un opuscule composé en 1997, Rosset opère une autre déformation en expliquant que la métaphysique classique énonce que
A \in B
ou, subtile variante, que
A \in A'.
Rosset déclare : "Tout A qui ne se résume pas à l'A qu'il est, mais connote de certain façon un B qu'il pourrait être aussi, voire plus subtilement un "autre" A".
C'est dire que dans la mentalité de Rosset (emblématique de l'immanentisme qui en devenant terminal devient de plus en plus explicite), A' (un autre A) et B recoupent au fond la même illusion duplicatoire.
Projection ironique ou malicieuse, Rosset commet une erreur manifeste en déformant la démarche métaphysique classique pour rendre sa critique vraisemblable. Rosset reprend bien entendu la critique nietzschéenne fausse, selon laquelle le platonisme crée un idéal qui est un ailleurs (un B) par rapport au A sensible. Critique fausse : la démarche platonicienne stipule plus exactement que a \in A.
Conscient que la critique nietzschéenne est trop abrupte pour être reprise telle quelle, Rosset opère une légère inclination rhétorique en identifiant peu ou prou B et A'. Du coup, si A est A' et que A' est B, alors la catégorie de l'ailleurs (et du double) devient (enfin) pertinente. En réalité, elle constitue une grossière mais plus subtile (plus grave?) déformation.
Non seulement la définition que Rosset pose du réel est injustifiable, mais en plus elle est fausse en ce qu'elle s'appuie manifestement sur une tradition désaxée et amalgamante (le confusionnel portant ici vers le pervers).

Précisons pour conclure sur l'erreur de Rosset, qui est l'erreur de la métaphysique dissidente, que Rosset en répudiant le A classique (connoté A' ou B) ne définit pas mieux le a classique en le posant comme A universel. Au contraire, il ne définit plus rien (c'est du nihilisme!) et il répudie la définition sous prétexte qu'elle est imparfaite.
C'est dire que le modèle philosophique que suit Rosset est inférieur au modèle philosophique classique qu'il dénonce.

En prime, deux objections qui touchent à l'ontologie immanentiste terminale développée par Rosset et que je ne parviens à saisir. Appelons-les si l'on veut des post-scripta.

P.-S. 1 : Qu'est-ce qu'une philosophie tautologique dont le discours se développerait à l'infini à partir de la tautologie A est A?

Rosset déclare : "Ce démon de la tautologie n'implique pas, il va sans dire, et je le répète à l'intention des mal entendants, qu'une philosophie à tendance tautologique se réduise à l'énonciation tautologique. A partir de la tautologie, les possibilités d'énonciation, de conceptualisation, d'argumentation et de contre-argumentation existent à l'infini; et ce sont naturellement elles, et non le simple "argument tautologique" qui n'argue en fait de rien, qui constituent l'étoffe d'une pensée et d'une philosophie."
Cette remarque pleine d'assurance se situe p. 49, à la fin du Démon de la tautologie. Le lecteur pourrait estimer qu'elle intervient après une démonstration qui définit ce qu'est une philosophie tautologique à partir de la tautologie, soit une philosophie d'inspiration tautologique qui se développe à partir de la tautologie sans se résumer à cette tautologie. Rosset a-t-il défini ce qu'est un discours philosophique d'inspiration tautologique qui romprait avec le discours classique de tradition platonicienne (que Rosset dénonce fortement)?
Non, il ne l'a pas fait.
C'est assez gênant, car il annonçait pourtant dès la page 19, contre l'autorité philosophique de Wittgenstein, qu'il n'était pas disposé "à admettre avec lui [Wittgenstein] qu'une tautologie n'est en aucune façon descriptive et encore moins qu'elle soit sans rapport avec la réalité qu'elle répète, étant en quelque sorte "coupée" de tout contact avec le réel."
On notera pour commencer que Rosset modalise beaucoup, puisqu'il se perd dans les méandres de la nuance et de la complexité de la double négation. Surtout Rosset annonce de manière prudente et voilée, encore modalisée : "Je me contenterai pour l'instant d'observer". C'est dire qu'il annonce qu'il va revenir sur ce point pour le développer et l'expliciter. Or que constate-t-on en fin d'argumentation? Que Rosset n'a rien démontré ni développé quoi que ce soit, mais qu'il est passé dans le processus rhétorique de l'introduction à la conclusion sans passer par le développement.
Si l'on en revient pour s'en assurer à la fin de sa démonstration, avant qu'il en vienne à la conclusion que nous avons citée, il aborde de manière conclusive, soit comme s'il l'avait explicitée voire démontrée, sa philosophie tautologique : "N'est-elle pas capable de dire richement, comme la métaphore, tout en disant directement, contrairement à la métaphore? Tout mon propos vise ici à suggérer que tel est bien le cas et que, quitte à sembler sombrer moi-même dans les méandres de la comparaison balzacienne, la tautologie est à la philosophie ce qu'est la métaphore à la littérature : le meilleur et le plus sûr indicateur du réel."
Pas davantage qu'en fin de conclusion, Rosset ne démontre quoi que ce soit. Rosset se contente de formules qui seraient valables si la validité du discours tautologique avait été développée et entérinée. Tel n'est pourtant pas du tout le cas. Rosset se livre à une duperie quand il formule des phrases comme : "Je veux seulement suggérer que le discours philosophique le plus fort est d'inspiration tautologique et que tout discours philosophique tenu à partir de l'inspiration contraire, c'est-à-dire de l'intuition dualiste, est plus faible."
Au passage, l'immanentisme forcené de Rosset se manifeste dans la mention de cette contre-histoire de la philosophie à laquelle un Onfray (avatar contemporain d'un Théophile de Viau ou d'un François La Mothe Le Vayer du dix-septième siècle, deux de ses modèles de contre-philsoophie?) a donné ses lettres de noblesse grotesques et grandiloquentes dans le système médiatique plus que philosophique : "On pourrait ainsi imaginer un arbre généalogique des philosophes scindé dès le début en deux branches rivales et inconciliables: celle qui commence avec Parménide, pour la ligné légitime, et celle qui commence avec Platon, pour la lignée bâtarde."
L'insolence loufoque de Rosset serait acceptable au sens sémantique s'il démontrait ce qu'il avance. Or il ne démontre rien. Il démonte au lieu de démontrer. Pis, il recourt à un procédé rhétorique bien connu pour escamoter la vérité, voire la manipuler en laissant entendre qu'il a démontré ce qu'il n'a pas démontré : l'accumulation (voire l'amplification). Or ce n'est pas parce qu'on répète plusieurs fois qu'on a trouvé - qu'on a trouvé. Dans le cas de Rosset, c'est même l'inverse : Rosset répète d'autant plus qu'il a trouvé qu'il n'a rien trouvé du tout et que son mensonge sur l'histoire de la philosophie dissidente ne fait qu'accentuer son mensonge sur la philosophie tautologique.
Rosset lui-même semble d'une certaine manière accepter la fausseté de sa théorie quand il consent que la philosophie se résumerait à la formule tautologique stricte - après avoir pourtant clamé de manière différente (distincte) quoique non tout à fait contraire que le discours philosophique tautologique différait de la formule tautologique pure et était possible : "La brièveté même de la tautologie interdit de le penser (encore qu'elle dispose à sa manière de développements aussi infinis que ceux de la métaphore), comme elle interdit de toute façon de parler de "discours tautologique", - sinon toute la philosophie du monde se résumerait à la formule selon laquelle A est A."
Dans cette phrase, Rosset avoue implicitement qu'il n'est pas capable de définir ce que serait un discours philosophique qui partirait de la tautologie et qui ne se résumerait à la formule tautologique A est A. Pour ne pas avouer explicitement qu'il se fourvoie sur sa ligne dissidente fausse (la dissidence fausse s'appelle une erreur et perd de son prestige de contestation tant il est vrai qu'une contestation fausse prestigieuse finit toujours par rappeler la primauté de sa fausseté), Rosset brouille les pistes et finit à force d'atermoiements extrêmement sophistiqués (sophistiques?) et compliqués (sous couvert de nuance et de finesse) par lâcher l'inverse de ce qu'il prétend avoir démontré (sans l'avoir démontré!) : "Sinon toute la philosophie du monde se résumerait à la formule selon laquelle A est A (je ne serais d'ailleurs pas très loin de le penser, mais cela est une autre affaire)."
L'expression emblématique à retenir est : "Mais cela est une autre affaire". Là réside le mensonge. Il faudrait savoir : soit la philosophie tautologique est possible à partir de la formule tautologique; soit la philosophie tautologique se résume à la formule tautologique. C'est soit l'un, soit l'autre. Ou bien, ou bien. Rosset montre comment choisir en choisissant les deux choix à la fois (en fait, tous les choix à la fois). C'est du raisonnement pervers, ou c'est peut-être la conséquence d'un raisonnement tautologique, dans lequel, pour reprendre la démonstration logique de Wittgenstein, toutes les propositions sont vraies. Rosset applique ainsi la constatation de Wittgenstein en omettant soigneusement de préciser que pour Wittgenstein comme pour Jankélévitch comme pour lui-même, si tout est vrai, tout est faux.
Rosset commence par expliquer qu'il détient la preuve que la condamnation de la tautologie comme modèle philosophique est fausse; il ne démontre pas ce qu'il avance; il distingue entre le discours d'inspiration tautologique et la formule tautologique; enfin il finit par souscrire à la formule tautologique plutôt qu'au discours tautologique comme discours philosophique. Rosset accrédite tous les choix et démontre à rebours la vérité du jugement de Wittgenstein : si tout est vrai, tout est faux - si tous les choix sont choisis, le choix retenu est un faux choix.
Si l'on en revient à l'objection de Wittgenstein, on se rendra compte de la manière dont Rosset procède pour escamoter la vérité. Rosset a ainsi commencé par contredire Wittgenstein tout en se montrant (hypocritement) nuancé et libéral, soit en consentant à reconnaître que le jugement de Wittgenstein serait néanmoins et en partie fondé : "Il est évidemment difficile de ne pas donner raison, ou au moins quelque raison, à Wittgenstein sur ce point." Rappelons que Wittgenstein selon Rosset lui-même (p. 18) estime que les tautologies "se neutralisent les unes les autres".
La technique de mensonge de Rosset consiste à réfuter partiellement, jamais totalement. La réfutation totale étant impossible, Rosset, fidèle en cela à la tactique de la nulle aux échecs, soit en logique ludique, estime que le plus prudent est de s'en tenir à une réfutation partielle pour éviter à tout jamais la défaite totale que signifierait la réfutation totale impossible. Après avoir annoncé que Wittgenstein avait en partie raison, Rosset annonce dans la foulée que Wittgenstein a aussi en partie tort, soit qu'il a lui Rosset en partie raison (toujours à l'œuvre le raisonnement pervers tautologique selon lequel tout est juste à la fois, une certaine chose comme son contraire - et toutes les nuances entre) : "Je ne serais pas disposé quant à moi - pour des raisons que je tenterai de dire plus loin - à suivre ici Wittgenstein jusqu'au bout, à admettre avec lui qu'une tautologie n'est en aucune façon descriptive et encore moins qu'elle soit sans rapport avec la réalité qu'elle répète, étant en quelque sorte "coupée" de tout contact avec le réel."
Il faudrait savoir : selon Rosset, Wittgenstein n'a pas en partie raison, il a tout à fait tort. Rosset se contredit dans son propre raisonnement. Seulement il ne justifie pas ce qu'il avance, mais se contredit dans ce qu'il avance. Il ment aussi puisqu'il annonce des raisons, soit des preuves, de ce qu'il avance contre Wittgenstein, alors que les raisons qu'il avance sont irrationnelles et indéfinies. Rosset montre ce qu'est un raisonnement pervers : des pseudo-raisons (au sens où il parle de pseudo-tautologies) qui ne sont jamais produites et qui se bornent à énoncer des choses sans les démontrer. Des raisons irrationnelles ou déraisonnables : la logique illogique de Rosset prétend avoir raison sur tous les tableaux, raison quand elle a tort, raison contre la raison.
C'est de la perversion, ainsi que le note Rosset à propos de son maître Althusser qui avait raison quand il avait tort, notamment quand fait prisonnier par les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale il décrit qu'il était d'autant plus libre qu'il était prisonnier (d'autant moins prisonnier qu'il était effectivement prisonnier). Cette perversion mentale, Rosset la caractérise comme telle. Mais Rosset se garde bien de constater qu'il caractérise plus son propre raisonnement que le raisonnement d'Althusser (projection bien connue consistant à prêter à un tiers sa propre complexion).
Dans le choix des mots, pour parodier un titre de Rosset, la perversion logique et sémantique de Rosset passe par l'emploi de l'indéfini quelque qui signifie le sens partiel et parcellaire : il s'agit ainsi de passer pour nuancé alors qu'on est menteur; et, pis encore, d'échapper à la possibilité de la réfutation en niant les catégories de la vérité : le faux est caractérisable si l'on se situe en un certain point précis, limité et circonscrit. L'indéfini permet d'échapper à toute localisation, à toute définition. De même que Rosset est indéfini et indéfinissable, il opte en logique et en ontologie pour le faux choix par excellence, puisque le choix tautologique révèle que la tautologie accepte tous les choix en les refusant tous.
Rosset se souvient-il d'une pensée diabolique de Nietzsche qui caractérise la démarche de Nietzsche et surtout la démarche de l'immanentisme? Selon Nietzsche, cité par son commentateur du moment ultra-officiel et académique Wotling, "l'Église voulut de tout temps l'anéantissement de ses ennemis : nous, les immoralistes et antichrétiens, voyons notre avantage dans le fait que l'Église existe." (Crépuscule des idoles, La morale, une contre-nature, S 3). Wotling pré-commente cette citation : "L'expression spiritualisée de la force implique au contraire la reconnaissance à l'égard de ceux-ci [les adversaires] en faisant comprendre à quel point ils sont précieux pour se dépasser soi-même, puisque la nature même du réel est rivalité, et nécessite l'opposition" (p. 86-87).
Dans la démarche de Nietzsche, la contradiction vaut plus que la réconciliation en ce que le sens supérieur sort de la reconnaissance de la contradiction et réfute la logique classique fondée sur la reconnaissance du principe de contradiction - justement. Écoutons Wotling sur ce point : "Nietzsche instaure un mode de pensée qu'il qualifie de dionysiaque, qui consiste non pas à dépasser les contraires, mais plutôt, en sens inverse, à mettre en évidence par avance l'illégitimité des oppositions contradictoires, en dégageant les présupposés sur lesquels elles reposent sans vouloir le reconnaître." (p. 30)
Sans revenir à caractériser le mensonge de Wotling qui est le mensonge commenté de Nietzsche, Nietzsche ne dépasse pas les contraires au sens où il montre leur fausseté. Mais s'il montre leur fausseté, soit il les dépasse, soit il ne les dépasse pas. Soit il réussit, soit il échoue. Il se trouve que Nietzsche échouera et que la seule réussite étant dans le dépassement - le seul échec gît dans l'impossibilité nihiliste. Nietzsche est un authentique nihiliste, de la race des immanentistes tardifs et dégénérés, dont il constitue une sorte de prophète fou et diabolique. Nietzsche commence par relativiser toutes les postions précédentes à la sienne sans parvenir à les dépasser par la production d'un sens personnel vérifiable et définissable. En tout cas, Rosset s'inspire de ce relativisme et se montre même fier de ne pas le dépasser.

La démarche de Rosset est une fumisterie philosophique. Elle incarne la démarche de l'immanentisme terminal au sens où le processus révèle son vrai visage au bout de sa gradation, au bord de son effondrement définitif, pour cause de non viabilité : ce visage hideux et impraticable, c'est l'impossible. Finalement Rosset fait un choix, le faux autant que fou choix de l'impossible, consistant à embrasser (et embraser) tous les choix pour mieux les réfuter tous. Le choix de Rosset est impossible et c'est en quoi il convient de ne pas rester impassible face à la pseudo-option retenue (tous les choix), qui n'est pas une option ultra-minoritaire voire singulière. Rosset est l'emblème d'une certaine mentalité, la mentalité immanentiste terminale, qu'il ne fait qu'exposer de la plus limpide des manières, encore plus loin et plus épuré que la plupart des postmodernes, qui s'ils sont tous des irrationalistes cachent leur inconséquence obvie derrière le jargon incompréhensible.

P.-S. 2 : Pour mieux définir la tautologie, Rosset examine les pseudo-tautologies, au rang desquelles la lapalissade, le pléonasme ou la redondance (qu'il juge fort proche du pléonasme). Puis il en vient à la pétition de principe qui "présente (...) la particularité d'être moins une confusion terminologique qu'une confusion touchant au raisonnement : opérant une distinction hallucinatoire non plus entre deux expressions qui reviennent à dire la même chose, mais entre deux pensées qui sont en réalité indiscernables, et ce afin d'établir - ou de prétendre établir - la vérité de l'une par la force argumentative de l'autre."
Rosset précise : "Le problème est qu'il n'y a en l'occurrence ni première ni seconde pensée, mais une seule et même pensée qui tient lieu à la fois de vérité à prouver et de preuve de cette vérité."
On prétend déduire B de A alors que le B est hallucinatoire et se révèle un A travesti en B. La supercherie en fait : on déduit A de A. Rosset explique : "La formule de la pétition de principe relève apparemment d'un jeu logique des plus honnêtes : "A est vrai parce que B est vrai et que si B est vrai A l'est aussi." La mystification réside dans le fait qu'il est impossible de distinguer le B du A auquel ce B est censé porter appui. La véritable formule de la pétition de principe (qui dérive elle aussi de l'équation fantastique qui poserait que A ≠ A) est donc : "A est vrai parce que A est vrai et que si A est vrai A l'est aussi."
Si Rosset débrouille fort intelligemment le caractère fallacieux de la pétition de principe, il en arrive à la conclusion selon laquelle on ne peut se réclamer de A pour prouver A. Dès lors, le caractère hallucinatoire de la pétition de principe fait ressortir par son caractère pour le moins exagéré le caractère tout aussi hallucinatoire de la tautologie. La pétition de principe est pétition de principe à partir de la tautologie.
Si l'on ne peut dire que A est vrai parce que A est vrai sans heurter la raison, ce n'est pas seulement à cause d'un simple problème de redondance oiseuse et superfétatoire. Ce qui choque sans doute dans la pétition de principe telle que Rosset la formule en la décryptant, c'est son exigence de vérité à partir de la tautologie A est A. La pétition de principe ajoute que si A est A alors A est vrai parce que A est vrai.
Si la critique contre la pétition de principe n'est pas seulement d'ordre formel (exiger la vérité d'une formule fausse), le caractère faux de la formule tautologique est présent avant la réduplication hallucinatoire de la pétition de principe à partir de la tautologie. Dire que A est vrai parce que A est vrai est tout aussi indécidable que dire que A est A. C'est d'ailleurs ce que remarquait Wittgenstein (cité par Rosset) quand il déclare : "Dire d'une chose qu'elle serait identique à elle-même, c'est ne rien dire du tout" (5.5303, TL-P)". Voilà qui fait dire à Rosset lui-même : "Si tout est vrai, rien n'est vrai; ou comme le disait V. Jankélévitch, si tout est rose rien n'est rose."

(Sur ce point il convient d'oser un petit détour logique en remarquant que Rosset distingue chez Wittgenstein trois grands caractères de la tautologie en faisant mine de distinguer entre l'approbation et la condamnation de la tautologie. Pourtant si l'on y regarde bien, Wittgenstein condamne la tautologie comme le mode du non sens dans les trois cas.
1) Premier cas : "La tautologie constitue une proposition creuse et vide, et à la limite ne constitue même pas une proposition." "Ou bien la tautologie dit tout, c'est-à-dire énonce une vérité qui est sans exceptions et régit ainsi la totalité de toute chose existante; mais alors elle ne dit rien, étant riche d'une qualité si omniprésente qu'on manque de repère extérieur pour la qualifier elle-même."
2) Deuxième cas : "La tautologie est "inconditionnellement vraie" (4.461), "vraie pour la totalité des possibilités de vérité (4.46)."
3) Troisième cas : "Dans la tautologie, les conditions d'accord avec le monde - les relations de représentation - se neutralisent les unes les autres de telle sorte qu'elle [la tautologie] ne se trouve en aucune relation de représentation avec la réalité (4.462)". Rosset ajoute : "La succession des tautologies, assurant chaque fois de telle chose qu'elle est cette chose même, ne dit finalement rien d'aucune chose."
Rosset fait mine de suivre aveuglément et exclusivement le point 2 alors que Wittgenstein y explique que la vérité inconditionnelle de la tautologie est déconnectée du réel. Rosset valide ce qui est invalidé. C'est de l'irrationnel patent.)

Pour le dire en deux mots, l'erreur commise par Rosset dans son approbation de la tautologie selon Wittgenstein - toujours cité par Rosset (!) - confirme la reconnaissance de l'erreur tautologique par l'examen à rebours de l'erreur contenue dans la pétition de principe.

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