lundi 2 juin 2008

L'extérieur de la vessie

Si l'on prend soin d'examiner en détail la théorie immanentiste, on est frappé par le fait qu'elle se présente comme une théorie du réel en fin de compte satisfaisante en corrigeant les travers du transcendantalisme, alors qu'en fait elle ne fait que les accentuer et qu'elle évacue les problèmes sous prétexte de les résoudre.
Le point névralgique de l'erreur d'ensemble immanentiste n'est pas à chercher à l'intérieur de la théorie, mais dans son extérieur - comme toujours. Il suffit de lire Spinoza pour se rendre recompte que l'extériorité est évacuée sans qu'elle soit remplacée le moins du monde. Alors Spinoza a cherché à résoudre les points faibles de la métaphysique de Descartes et il est certain qu'il a produit un système admirable.
Néanmoins je ne serais pas aussi élogieux que Hegel et Bergson sur Spinoza. Je pense en particulier que la mode actuelle qui l'encense oublie de replacer la valeur de sa pensée dans le contexte actuel. Nous vivons un époque de crise qui est une époque immanentiste. Quoi de plus normal que cette époque promeuve Spinoza comme son maître à penser? Il est vrai que Spinoza est plus conséquent que Nieztsche et qu'il présente l'avantage de présenter mieux.
En particulier, il est clairement dans la ligne des Lumières et de la laïcité. Mais il est capital de comprendre que Spinoza n'est jamais que le produit de l'immanentisme qui commence avec l'éclosion de la Raison, soit la mutation de la raison en Raison à l'époque moderne. 1492 serait une date symbolique particulièrement appropriée pour rendre compte de cette mutation historique.
Le point névralgique autant que le point faible de l'immanentisme tient à la question de l'extériorité. Dans le transcendantalisme, l'extériorité est assurée par l'ailleurs. Mais dans l'immanentisme? Dans l'immanentisme, l'extérieur est une question oiseuse et qui n'a plus de sens. A-t-elle été supprimée ou a-t-on évacué le problème? Je crains fort que la seconde réponse soit la bonne.
Car à y bien regarder, ce n'est pas en décrétant que le réel est unique que l'on biffe la question de l'extérieur. On la déplace plutôt avec d'autres questions, comme : qu'est-ce que le réel? Question à laquelle on ne parvient pas à répondre. En supprimant l'extérieur, l'immanentisme signale plutôt qu'il considère que tout ce qui n'est pas à l'intérieur de lui n'existe pas. Mais le lien entre l'unicité et l'extériorité n'est pas résolu, tant s'en faut.
Le problème de l'immanentisme ou de l'Hyperréel tient au fait que ces approches conceptuelles sont incapables d'envisager autre chose qu'un système omnipotent ou un système unique. Pour le dire d'un autre mot, elles sont incapables d'envisager que le réel diffère du monde de l'homme. C'est dans cette relation entre l'homme comme partie et le réel comme extériorité à l'homme que se situe le noeud gordien du problème.
Décréter que l'extérieur n'existe plus, c'est résoudre le problème de l'ailleurs transcendantal et idéel en le supprimant. Il est satisfaisant pour l'esprit humain et pour la Raison d'envisager un problème comme unique et uni. Mais la tragédie principale de la pensée est précisément contenue dans le lien entre l'homme et le réel. Cette question en vient à l'époque moderne à se poser en termes kantiens de représentation.
Le paroxysme du problème est proposé par les postmodernes qui nienet le sens et les valeurs pour mieux répoindre à la question. Selon le kantisme postmodrene, tout n'est que repréentation au sens où Deleuze affirmait que toute proposition conceptuelle est vraie. Deleuze était un immanentiste typique et convaincu, un immanentiste postmoderne si l'on veut, et il ne faut pas chercher plus loin cette prétention étrange et intrigante à évacuer le réel.
Le fond du problème revient à évacuer ainsi l'extériorité pour mieux remplacer le réel étranger à l'homme par le réel modelé par l'homme. Le réel par l'Hyperréel. Dans la conception immanentiste, la question de l'extérieur est taboue parce qu'elle rappelle que le système n'est pas le grand tout et que le réel n'est pas assimilable à l'homme.
Oser évoquer que le monde de l'homme comporte un extérieur aussi étrange qu'étranger, c'est insinuer le grand sacrilège pour l'immanentiste : que la thèse immanentiste est fausse et qu'elle repose sur une supercherie et une grande parade d'illusion. Une illusion aussi pernicieuse que dangereuse, parce qu'elle cache le réel dans la mesure où elle révèle de ce fait que le réel est cet adversaire qu'il faudrait supprimer et que l'on ne peut supprimer.
Dès lors, tout est dit : l'immanentisme biffe l'extérieur en ce que cette question pose le problème de l'immanentisme en tant que symptôme, soit du surgissement de l'immanentisme. Si l'immanentisme est un raisonnement faux et périlleux, c'est que l'immanentisme est la théorie qui se veut conséquente en tant de crise et qui est l'expression de la crise. La crise immanentiste exprime le refus de l'extérieur en tant que le réel est réduit au monde de l'homme et au désir de l'homme.
Prendre son désir pour la réalité : formule inquiétante en soi du désir et explication définitive à l'importance prépondérante qu'acquiert pour l'immanentiste le désir. C'est qu'il s'agit bel et bien d'une conversion essentielle et aberrante dans laquelle le désir humain est le moteur de la conversion du réel en Hyperréel. Malheureusement, le propre de la conversion immanentiste est de ne rien changer de réel, de n'effectuer que des changements de représentations. Prendre ses rêves pour des réalités. On dit aussi : prendre des vessies pour des lanternes...

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