Si l'on veut mesurer adéquatement le rapport entre réel et progressisme, il faut opposer radicalement et strictement le progrès à la mutation. La mutation est l'ennemi du progrès tout comme Nietzsche était l'ennemi des progressistes de tout poil, qui poussaient à son époque troublée où il était question de sauver l'immanentisme de son échec programmé et programmatique.
Le progrès suppose le changement à l'intérieur de la structure donnée, quand la mutation considère que le changement doit en priorité affecter la structure du réel. Le progrès concerne ainsi tous les membres du donné : de ce fait, le progrès est d'essence démocratique et totalitaire, puisqu'il concerne tout le monde et qu'en même temps il contraint tout le monde au progrès. C'est la grandeur et la servitude du communisme.
Il faut ajouter et préciser que la spécificité du progressisme immanentiste tient à la notion centrale de désir : si le désir est une faculté typiquement humaine, non seulement l'homme domine le réel, mais encore il est le seul concerné par la notion de Progrès. Le progressisme immanentiste est une variante du progressisme en ce qu'il est centré sur le Progrès du désir (et de la Raison).
Comme le progressisme se situe à l'intérieur de la sphère réelle, il investit de son progrès putatif l'ensemble des concernés par sa revendication progressiste. Le progressisme immanentiste concerne tous les êtres doués du désir hyperrationnel, soit tous les hommes. C'est ce que déclare d'ailleurs Marx et à sa suite tous les progressistes. Que le progressisme immanentiste constitue un échec retentissant n'est pas étonnant : il repose tout autant que n'importe quel immanentisme au pouvoir sur l'impossible.
Maintenant, si l'on observe attentivement comment se comporte la mutation, on se rend compte qu'il s'agit non pas d'un réalisme ou d'un pragmatisme de type classique, mais d'un progressisme mutant ou exacerbé, vers un radicalisme viscéral et extrémiste. Ce progressisme exacerbé se place au service du pragmatisme parce que l'acceptation du réel tel qu'il est n'est plus possible selon l'immanentisme.
Le pragmatisme immanentiste rejoint le progressisme mutant en une alliance qui n'est pas si incompréhensible qu'elle n'y paraît, mais qui par contre est mensongère. Le pragmatisme prétend en effet accepter le réel tel qu'il advient, tel qu'il est au premier sens du terme donné. L'échec du pragmatisme signifie que cette définition n'est pas viable - comme aucune autre de l'immanentisme.
L'entêtement se fait démesure quand on mesure que le pragmatisme refuse de perdre la face et d'accepter son erreur et réduplique, au centuple, voire plus, cette erreur initiale en recourant à la mutation pour amorcer la fuite en avant. Le raisonnement est limpide - et accablant : pour conserver sa cohérence, le pragmatisme impraticable déclare toute honte bue, avec la légèreté insoutenable de la mauvaise foi, qu'il demeure plus que jamais pragmatique et réaliste en mutant.
Le pragmatique serait contraint d'admettre son erreur de réalisme s'il devait considérer la situation à l'intérieur des bornes du réel tel qu'il est. Mais il ne prend pas tout à fait le réel tel qu'il est. Il ajoute un détail qui change tout et en même temps ne change rien : il s'agit seulement, petite chiquenaude ou peccadille, de changer le réel tel qu'il est au réel tel qu'il est.
Il serait cocasse de pousser le pragmatisme dans ses retranchements et de le forcer à admettre que l'argument qu'il utilise contre l'idéalisme ou le progressisme se retourne contre sa propre démarche avec usure et ironie : le pragmatisme aboutit ainsi à un superidéalisme. Les pragmatiques, réalistes et autres lucides esprits ont coutume de rappeler que l'échec du progressisme, au premier chef du communisme, découle de l'illusion d'amélioration et de changement à laquelle ils échappent. Cette interprétation est manifestement fausse.
Mais leur principale attaque se veut ontologique, soit supérieure à la religion : l'argument central de l'ontologie dualiste est faux en ce que l'ailleurs est le territoire exclusif de l'illusion. Si c'est ailleurs, c'est que ça n'existe pas. Réfutation fondée d'une certaine mesure, mais fort contestable également. Cependant, là n'est pas le pire. Le pire est que l'immanentisme pragmatique qui se fonde sur la réfutation soi-disant réussie, en réalité avortée, du dualisme fait bien pire : son ailleurs réside en effet dans la mutation!
C'est dire que l'essence de l'immanentisme repose sur le mensonge le plus complet et qu'on peut isoler d'ores et déjà deux mensonges :
1) L'immanentisme n'est pas fondé sur l'immanent (ici et maintenant), mais sur le dualisme (l'ailleurs);
2) Le pragmatisme immanentiste ne repose pas sur le pragmatisme (le donné premier et immédiat), mais sur le progressisme (viscéral et mutant).
Rien d'étonnant à ce que la mutation soit élitiste. D'une part, la mutation suppose la sortie du réel et ne concerne dès lors plus les membres du réel - pas davantage les détenteurs de la supputée Raison ou du désir hyperrationnel. D'autre part, l'opération de mutation implique que peu d'élus soient en mesure de muter, sans quoi la mutation ne serait pas indispensable et le simple changement suffirait.
Si le simple changement suffisait, changement interne au réel, alors la mutation ne serait pas nécessaire. La nécessité de la mutation implique que peu soient concernés dans l'opération de mutation, sans quoi la mutation se commuerait en simple changement interne. De cette évidence ontologique, il appert que Nietzsche comme tous les penseurs est incapable d'expliquer la différence, qui est le principe essentiel tapi derrière la mutation.
Il se contente d'observer que la mutation est de principe élitiste et que la mutation s'oppose au progressisme. Le progressisme s'applique à tous les membres concernés par l'idéal de Progrès et s'avère interne à la structure à améliorer; tandis que la mutation est un progressisme extrême en ce qu'elle rejette l'essentiel des hommes pour ne sauver qu'une minorité d'élus.
Seuls les Surhommes ou les esprits libres peuvent accéder à ce nouveau réel, tandis que les autres individus du troupeau, les moutons populaires, ne supporteraient pas l'épreuve d'un réel jugé trop cruel ou trop éprouvant. Il reste à revenir sur cette conception de la différence comme mutation : dans le système dualiste, le changement s'explique par l'incomplétude sensible. Au contraire, l'Etre ou les Idées ne changent pas : ils sont complets. Dieu est éternel en langage monothéiste religieux.
Nietzsche a justement remarqué que le platonisme n'était jamais qu'une forme aristocratique et élitiste du christianisme, religion de la plèbe méprisée. Justement, Nietzsche oppose au platonisme sa philosophie antithétique sans jamais mentionner à quelle religion il se réfère, ni s'il considère que sa philosophie est l'expression élitiste de cette religion ou si la nouvelle religion à laquelle il s'adosse est d'ordre élitiste.
Cette religion, c'est bien entendu l'immanentisme et si Nietzsche n'en parle pas, c'est qu'il considère comme acquis le précepte de la religion de la sortie de la religion/de la négation de la religion et qu'il explique sans rire qu'il est l'Antéchrist sans présenter rien d'un prophète, malgré toutes ses prophéties revendiquées et revendicatives qu'il lança, certaines d'une précision époustouflante, concernant notamment le nihilisme terminal de l'époque contemporaine. Bien entendu, il y aurait lieu de rire d'un penseur qui délire visiblement par ses fanfaronnades et ses rodomontades plus proches des salades et de la marmelade que de véritables découvertes authentiques et pérennes.
Mais l'opposition de Nietzsche à Platon et la répudiation des arrières-mondes jugés inexistants laissent clairement comprendre que Nietzsche oppose le réel/sensible au néant, suivant l'inspiration de tout le courant immanentiste, qui n'est jamais que la résurgence moderne du nihilisme atavique. Selon cette conception, la différence n'est plus l'expression de l'incomplétude, mais plutôt de la complétude, suivant le renversement des valeurs et suivant l'idée que c'est le désir qui est l'expression de la complétude. Dès lors, le désir pour être complet et pour être lui-même suppose une mutation ontologique et mystique qui conduit le mutant à la plénitude de son expression (de désir).
Seule la mutation exprime ainsi la différence véritable. Le changement n'est que l'expression trompeuse ou incomplète de la différence, en ce que le changement interne est une fausse différence. Si le désir est complétude, le renversement de toutes les valeurs implique que le réel soit incompatible avec le désir.
Nietzsche conçoit ainsi la différence comme l'exercice propre de la mutation, soit le fait que le désir est le pouvoir suprême et démiurgique de procéder au changement et que ce changement ne soit pas de l'ordre du réel. L'hypothèse selon laquelle Nietzsche accepte les choses telles qu'elles sont est démentie de manière limpide par le concept de renversement des valeurs induit par le désir.
Si renversement des valeurs il y a, cette appellation révolutionnaire implique le changement le plus radical et le plus viscéral. Dans le dualisme, le changement émanait de l'autre monde, complet et parfait. Finalement, le renversement nietzschéen ne fait que déplacer le fondement : non plus l'Etre, mais le désir, qui assure le changement et qui impute à l'homme une responsabilité terrible, à laquelle auparavant il se trouvait étranger.
Dans le dualisme, l'homme est par sa nature sensible incomplet et tend vers l'idéal par sa nature spirituelle. Dans l'immanentisme, le désir est d'essence mutante, ce qui implique une contradiction flagrante et essentielle dans les termes de la doctrine immanentiste : d'affirmer à la fois que le réel est tel qu'il est et qu'il doit muter pour être tel qu'il est. En particulier, une question s'entredessine : si le désir est incomplet, qu'est-ce qui est complet? S'il faut muter, c'est pour accomplir quel perfectionnement, tendre vers quelle perfection?
En remplaçant l'explication incertaine mais cohérente du dualisme par la doctrine du néant, l'immanentisme n'a fait qu'embrouiller les choses. Il en vient à une contradiction flagrante au sein du fondement de son système, ce qui fait que si le dualisme est un système incertain et cohérent, expression philosophique du transcendantalisme religieux, l'immanentisme est un système certainement incohérent, privé d'identité et de sens.
Quelle est la cause de la mutation dont la complétude du désir est la cause évidente? Ce fameux désir qu'on nous présente comme le nouveau fondement providentiel, le remplaçant enfin localisable en chair et en os de l'Etre fantomatique et fantasmatique, aurait-il besoin à son tour d'un fondement qui indiquerait précisément qu'il n'est pas le fondement et que de ce fait il est incomplet? Sans doute est-il temps de comprendre que l'absence de fondement ou la présentation d'un faux fondement (le désir) indiquent que la théorie de l'immanentisme repose sur un mensonge.
Quand le mensonge n'est pas décrypté, on présente un faux fondement qui occulte que le vrai fondement est bancal : je vise le néant en remplacement de l'Etre. On fait comme si le sensible contenait son fondement mutant, le désir, parce qu'on ne sait que trop que le néant ne saurait occuper la place du fondement. Mais si le mensonge est analysé, décrypté, démasqué, alors, fatalement, la supercherie de la mutation connexe au désir provient de l'escroquerie du néant comme substitution à l'Etre. Où l'Etre est principe d'ordre et de perfection, le néant n'évoque rien que du chaos et de l'inexistence.
Dès lors, l'opposition entre progressisme et mutation repose sur le mensonge conjoint du progressisme et de la mutation. L'immanentisme délivre le verdict du mensonge fondamental, qui concerne au premier chef la mutation, mais également le progressisme. Dans le fond, cette opposition n'est pas antithétique, mais de surenchère : la mutation surenchérit sur le progressisme en opposant son réel mutant au reél à améliorer.
Le progrès suppose le changement à l'intérieur de la structure donnée, quand la mutation considère que le changement doit en priorité affecter la structure du réel. Le progrès concerne ainsi tous les membres du donné : de ce fait, le progrès est d'essence démocratique et totalitaire, puisqu'il concerne tout le monde et qu'en même temps il contraint tout le monde au progrès. C'est la grandeur et la servitude du communisme.
Il faut ajouter et préciser que la spécificité du progressisme immanentiste tient à la notion centrale de désir : si le désir est une faculté typiquement humaine, non seulement l'homme domine le réel, mais encore il est le seul concerné par la notion de Progrès. Le progressisme immanentiste est une variante du progressisme en ce qu'il est centré sur le Progrès du désir (et de la Raison).
Comme le progressisme se situe à l'intérieur de la sphère réelle, il investit de son progrès putatif l'ensemble des concernés par sa revendication progressiste. Le progressisme immanentiste concerne tous les êtres doués du désir hyperrationnel, soit tous les hommes. C'est ce que déclare d'ailleurs Marx et à sa suite tous les progressistes. Que le progressisme immanentiste constitue un échec retentissant n'est pas étonnant : il repose tout autant que n'importe quel immanentisme au pouvoir sur l'impossible.
Maintenant, si l'on observe attentivement comment se comporte la mutation, on se rend compte qu'il s'agit non pas d'un réalisme ou d'un pragmatisme de type classique, mais d'un progressisme mutant ou exacerbé, vers un radicalisme viscéral et extrémiste. Ce progressisme exacerbé se place au service du pragmatisme parce que l'acceptation du réel tel qu'il est n'est plus possible selon l'immanentisme.
Le pragmatisme immanentiste rejoint le progressisme mutant en une alliance qui n'est pas si incompréhensible qu'elle n'y paraît, mais qui par contre est mensongère. Le pragmatisme prétend en effet accepter le réel tel qu'il advient, tel qu'il est au premier sens du terme donné. L'échec du pragmatisme signifie que cette définition n'est pas viable - comme aucune autre de l'immanentisme.
L'entêtement se fait démesure quand on mesure que le pragmatisme refuse de perdre la face et d'accepter son erreur et réduplique, au centuple, voire plus, cette erreur initiale en recourant à la mutation pour amorcer la fuite en avant. Le raisonnement est limpide - et accablant : pour conserver sa cohérence, le pragmatisme impraticable déclare toute honte bue, avec la légèreté insoutenable de la mauvaise foi, qu'il demeure plus que jamais pragmatique et réaliste en mutant.
Le pragmatique serait contraint d'admettre son erreur de réalisme s'il devait considérer la situation à l'intérieur des bornes du réel tel qu'il est. Mais il ne prend pas tout à fait le réel tel qu'il est. Il ajoute un détail qui change tout et en même temps ne change rien : il s'agit seulement, petite chiquenaude ou peccadille, de changer le réel tel qu'il est au réel tel qu'il est.
Il serait cocasse de pousser le pragmatisme dans ses retranchements et de le forcer à admettre que l'argument qu'il utilise contre l'idéalisme ou le progressisme se retourne contre sa propre démarche avec usure et ironie : le pragmatisme aboutit ainsi à un superidéalisme. Les pragmatiques, réalistes et autres lucides esprits ont coutume de rappeler que l'échec du progressisme, au premier chef du communisme, découle de l'illusion d'amélioration et de changement à laquelle ils échappent. Cette interprétation est manifestement fausse.
Mais leur principale attaque se veut ontologique, soit supérieure à la religion : l'argument central de l'ontologie dualiste est faux en ce que l'ailleurs est le territoire exclusif de l'illusion. Si c'est ailleurs, c'est que ça n'existe pas. Réfutation fondée d'une certaine mesure, mais fort contestable également. Cependant, là n'est pas le pire. Le pire est que l'immanentisme pragmatique qui se fonde sur la réfutation soi-disant réussie, en réalité avortée, du dualisme fait bien pire : son ailleurs réside en effet dans la mutation!
C'est dire que l'essence de l'immanentisme repose sur le mensonge le plus complet et qu'on peut isoler d'ores et déjà deux mensonges :
1) L'immanentisme n'est pas fondé sur l'immanent (ici et maintenant), mais sur le dualisme (l'ailleurs);
2) Le pragmatisme immanentiste ne repose pas sur le pragmatisme (le donné premier et immédiat), mais sur le progressisme (viscéral et mutant).
Rien d'étonnant à ce que la mutation soit élitiste. D'une part, la mutation suppose la sortie du réel et ne concerne dès lors plus les membres du réel - pas davantage les détenteurs de la supputée Raison ou du désir hyperrationnel. D'autre part, l'opération de mutation implique que peu d'élus soient en mesure de muter, sans quoi la mutation ne serait pas indispensable et le simple changement suffirait.
Si le simple changement suffisait, changement interne au réel, alors la mutation ne serait pas nécessaire. La nécessité de la mutation implique que peu soient concernés dans l'opération de mutation, sans quoi la mutation se commuerait en simple changement interne. De cette évidence ontologique, il appert que Nietzsche comme tous les penseurs est incapable d'expliquer la différence, qui est le principe essentiel tapi derrière la mutation.
Il se contente d'observer que la mutation est de principe élitiste et que la mutation s'oppose au progressisme. Le progressisme s'applique à tous les membres concernés par l'idéal de Progrès et s'avère interne à la structure à améliorer; tandis que la mutation est un progressisme extrême en ce qu'elle rejette l'essentiel des hommes pour ne sauver qu'une minorité d'élus.
Seuls les Surhommes ou les esprits libres peuvent accéder à ce nouveau réel, tandis que les autres individus du troupeau, les moutons populaires, ne supporteraient pas l'épreuve d'un réel jugé trop cruel ou trop éprouvant. Il reste à revenir sur cette conception de la différence comme mutation : dans le système dualiste, le changement s'explique par l'incomplétude sensible. Au contraire, l'Etre ou les Idées ne changent pas : ils sont complets. Dieu est éternel en langage monothéiste religieux.
Nietzsche a justement remarqué que le platonisme n'était jamais qu'une forme aristocratique et élitiste du christianisme, religion de la plèbe méprisée. Justement, Nietzsche oppose au platonisme sa philosophie antithétique sans jamais mentionner à quelle religion il se réfère, ni s'il considère que sa philosophie est l'expression élitiste de cette religion ou si la nouvelle religion à laquelle il s'adosse est d'ordre élitiste.
Cette religion, c'est bien entendu l'immanentisme et si Nietzsche n'en parle pas, c'est qu'il considère comme acquis le précepte de la religion de la sortie de la religion/de la négation de la religion et qu'il explique sans rire qu'il est l'Antéchrist sans présenter rien d'un prophète, malgré toutes ses prophéties revendiquées et revendicatives qu'il lança, certaines d'une précision époustouflante, concernant notamment le nihilisme terminal de l'époque contemporaine. Bien entendu, il y aurait lieu de rire d'un penseur qui délire visiblement par ses fanfaronnades et ses rodomontades plus proches des salades et de la marmelade que de véritables découvertes authentiques et pérennes.
Mais l'opposition de Nietzsche à Platon et la répudiation des arrières-mondes jugés inexistants laissent clairement comprendre que Nietzsche oppose le réel/sensible au néant, suivant l'inspiration de tout le courant immanentiste, qui n'est jamais que la résurgence moderne du nihilisme atavique. Selon cette conception, la différence n'est plus l'expression de l'incomplétude, mais plutôt de la complétude, suivant le renversement des valeurs et suivant l'idée que c'est le désir qui est l'expression de la complétude. Dès lors, le désir pour être complet et pour être lui-même suppose une mutation ontologique et mystique qui conduit le mutant à la plénitude de son expression (de désir).
Seule la mutation exprime ainsi la différence véritable. Le changement n'est que l'expression trompeuse ou incomplète de la différence, en ce que le changement interne est une fausse différence. Si le désir est complétude, le renversement de toutes les valeurs implique que le réel soit incompatible avec le désir.
Nietzsche conçoit ainsi la différence comme l'exercice propre de la mutation, soit le fait que le désir est le pouvoir suprême et démiurgique de procéder au changement et que ce changement ne soit pas de l'ordre du réel. L'hypothèse selon laquelle Nietzsche accepte les choses telles qu'elles sont est démentie de manière limpide par le concept de renversement des valeurs induit par le désir.
Si renversement des valeurs il y a, cette appellation révolutionnaire implique le changement le plus radical et le plus viscéral. Dans le dualisme, le changement émanait de l'autre monde, complet et parfait. Finalement, le renversement nietzschéen ne fait que déplacer le fondement : non plus l'Etre, mais le désir, qui assure le changement et qui impute à l'homme une responsabilité terrible, à laquelle auparavant il se trouvait étranger.
Dans le dualisme, l'homme est par sa nature sensible incomplet et tend vers l'idéal par sa nature spirituelle. Dans l'immanentisme, le désir est d'essence mutante, ce qui implique une contradiction flagrante et essentielle dans les termes de la doctrine immanentiste : d'affirmer à la fois que le réel est tel qu'il est et qu'il doit muter pour être tel qu'il est. En particulier, une question s'entredessine : si le désir est incomplet, qu'est-ce qui est complet? S'il faut muter, c'est pour accomplir quel perfectionnement, tendre vers quelle perfection?
En remplaçant l'explication incertaine mais cohérente du dualisme par la doctrine du néant, l'immanentisme n'a fait qu'embrouiller les choses. Il en vient à une contradiction flagrante au sein du fondement de son système, ce qui fait que si le dualisme est un système incertain et cohérent, expression philosophique du transcendantalisme religieux, l'immanentisme est un système certainement incohérent, privé d'identité et de sens.
Quelle est la cause de la mutation dont la complétude du désir est la cause évidente? Ce fameux désir qu'on nous présente comme le nouveau fondement providentiel, le remplaçant enfin localisable en chair et en os de l'Etre fantomatique et fantasmatique, aurait-il besoin à son tour d'un fondement qui indiquerait précisément qu'il n'est pas le fondement et que de ce fait il est incomplet? Sans doute est-il temps de comprendre que l'absence de fondement ou la présentation d'un faux fondement (le désir) indiquent que la théorie de l'immanentisme repose sur un mensonge.
Quand le mensonge n'est pas décrypté, on présente un faux fondement qui occulte que le vrai fondement est bancal : je vise le néant en remplacement de l'Etre. On fait comme si le sensible contenait son fondement mutant, le désir, parce qu'on ne sait que trop que le néant ne saurait occuper la place du fondement. Mais si le mensonge est analysé, décrypté, démasqué, alors, fatalement, la supercherie de la mutation connexe au désir provient de l'escroquerie du néant comme substitution à l'Etre. Où l'Etre est principe d'ordre et de perfection, le néant n'évoque rien que du chaos et de l'inexistence.
Dès lors, l'opposition entre progressisme et mutation repose sur le mensonge conjoint du progressisme et de la mutation. L'immanentisme délivre le verdict du mensonge fondamental, qui concerne au premier chef la mutation, mais également le progressisme. Dans le fond, cette opposition n'est pas antithétique, mais de surenchère : la mutation surenchérit sur le progressisme en opposant son réel mutant au reél à améliorer.
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