samedi 29 mars 2008

Hyporéel

Si tant est que l'humour dénote l'irruption du néant dans le sensible, alors il n'est pas étonnant que les apparitions d'Oussama déclenche ainsi des torrents de dérision et de fous rires. On pourrait se récrier : quoi? Se gausser d'un homme qui a comploté aux fins de tuer des milliers d'innocents dans les plus meurtrières attaques terroristes de l'histoire humaine? Quoi? Faire d'un monstre un bouffon? Mais si c'est le cas, ce n'est certainement pas par suite de complicité chez les humoristes et les caricaturistes du monde entier. Si Oussama est plus un personnage burlesque que sympathique, au point que la plupart des gens qui arborent son T-shirt à son effigie revendiquent plus le symbole antioccidental que le personnage historique et réel, c'est qu'Oussama n'est tout simplement pas réel. C'est un être de fiction, une story telling qui n'en finit plus de déverser sa propagande mièvre et controuvée.
De la même manière que les apparitions spectrale ou fantomatiques révèlent l'existence et l'état de l'autre monde, de même les surgissements de ben Laden depuis ses montagnes afghanes, si nébuleuse qu'elles se sont sans doute soustraites, par l'objet du maléfice le plus inexplicable, à l'empire de la géographie physique et rationnelle, ne sont jamais que des manifestations de l'existence et de l'état de l'Hyperréel.
Existence : l'Hyperréel dénote cette idéologie dont s'empare l'homme quand il estime à bon droit qu'il est en mesure de produire un système de remplacement avantageux au réel. Il est cocasse de noter que le système de remplacement émane du néant, je veux dire d'un individu si insaisissable que le plus probable réside dans sa mort.
État : l'Hyperréel n'est certainement pas parvenu à ses fins ni ses objectifs, puisqu'il montre de manière grotesque et disqualifiante qu'il n'est pas en mesure de remplacer le réel par ses bons et diligents soins.
Les productions de l'Hyperréel sont édifiantes au sujet de sa faiblesse constitutive. L'Hyperréel ne présente jamais que des imitations déficientes et grossières de la réalité qu'il prétend remplacer avec avantage. L'Hyperréel n'est pas capable de remplacer le réel. Les seules imitations auxquelles il parvient ne sont jamais que des faux grossiers et consternants. Ainsi ne faut-il pas s'étonner du rire que ne manque pas de produire le spectre de ben Laden proférant des inepties sur fond de Djihad et autres consternations réjouissantes.
Ben Laden change-t-il d'apparences, parle-t-il des arabes fort peu littéraux, voire tout bonnement littéraires, cite-t-il les Evangiles par inadvertance en lieu et place du Coran satanisé et satanique, réalise-t-il d'autres performances étonnantes et inégalées? J'entends d'ici certains esprits se récriminer au nom de l'esprit critique : les erreurs manifestes grossières proférées par ben Laden seraient la preuve que les manipulateurs désignés de ben Laden ne sont pas tout-puissants puisqu'ils commettent des bourdes aussi invraisembalbles.
On pourrait opposer aux partisans de l'esprit critique en question, qui utilisent l'esprit critique dans la mesure où l'esprit critique leur sert à appuyer la version officielle, celle en tout cas du pouvoir, que l'on voit mal quels groupes puissants et influents pourraient se tapir derrière l'Emir inarrêtable, si ce n'est des groupes immanentistes et occidentalistes disposant des moyens logistiques et financiers pour réaliser (c'est le cas de le dire) ces superproductions proto-hollywoodiennes.
A quand la reconnaissance d'un label afghan qui ne désigne pas seulement le hachich du même nom, mais représente enfin les compétences impressionnantes de ce cinéma mêlant habilement les imperfections du documentaire aux effets spéciaux les plus sophistiquées de la technologie cinématographique actuelle? Dans tous les cas, en attendant Kaboulywood, avatar de Bollywood, nous rappellerons que le réel ne s'imite jamais que de manière déformée et fort imparfaite. C'est le signe rassurant que, contrairement à la propagande dont l'Hyperréel abreuve ses sujets des masses occidentales et occidentalistes, l'Hyperréel est bien faible et ne peut que s'incliner face à la puissance divine de Celui qu'elle rêva de détrôner, dans un geste qui évoque plus Satan que le courage humain.


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