mardi 25 mars 2008

Rein à déclarer (suite)

"Le retour de la momie, ou quand Ben Laden se prend pour le Christ ! Ah, super, il y a longtemps qu’on ne l’avait pas eue, la marionnette barbue ! Après sa dernière prestation, où notre bon président avait eu l’honneur d’être cité, via des coupures dans la vidéo permettant d’insérer de nouvelles annonces, ce qui faisait un peu charcuté il est vrai, en plus de la teinture sous Photoshop de la barbe du grand gourou proto-islamique, voilà qu’arrive ce jour un message audio seul de Barbichu Ier. On est ravis, ça va faire marcher la presse, à coup sûr.

Difficile en effet de reprendre la prestation précédente : à moins de teindre la barbe en rose fluo et d’adresser un message à la gay pride, on se demande qui peut-on encore leurrer avec ces traficotages d’images et de son. Le son, on sait que ça se trafique plus facilement que l’image, depuis l’invention du Vocoder... en 1939 !!! Avec 5 secondes d’une voix, depuis longtemps, on vous fait n’importe quel discours fleuve ou n’importe quel appel téléphonique : c’est plus fort que du Airy Routier, ça, non ? Alors "l’authentification" de la voix de Ben Laden décrétée par la CIA seule, avouez qu’il y a de quoi en sourire. Et comme il ne semble plus y avoir de tête de Ben Laden de disponible en stock sur les rayons, pour raisons de disparition du produit commercial, il faut bien faire avec ce que l’on a. Trois personnes ont affirmé en effet à la télévision américaine que Ben Laden était mort depuis un bon bout de temps : Benazir Bhutto, Amid Karzaï et Pervez Musharraf. Si la première n’est plus là pour le confirmer, les deux autres sont encore vivants, et participent toujours à la traque au Ben Laden, puisqu’ils le disent régulièrement, à chaque intervention américaine dans leur pays qu’ils condamnent mollement ou soutiennent de plus en plus mollement. Courir après un mort ne semble pas les offusquer le moins du monde. On n’est pas à une contradiction près dans cette pratique de la désinformation perpétuelle. Et sur les vidéos, plus il vieillit, Ben Laden plus il rajeunit, mais cela personne ne le remarque, car c’est là tout le paradoxe des images montrées au fil des années sur l’individu !! Tout juste bon pour une publicité sur les crèmes rajeunissantes ou la teinture de poil, mais personne n’en tient vraiment compte, obnubilé par l’image de terreur entretenue par la moindre de ses apparitions... sciemment dosée et ciblée.

Déjà en 2007, voilà ce qu’on avait constaté, au visionnage de la cassette, ce qu’avait fait un Américain perspicace, George Maschke : "on remarque en effet que l’image vidéo se fige dès 1:58 , tandis qu’on continue à entendre la seule bande son (sur une image fixe) ; l’image animée ne reprend ensuite qu’à 12:30, puis se fige à nouveau à 14:02 et ce jusqu’à la fin de la séquence à 26:26. Au total on a donc seulement 3 min 30 de vraie vidéo sur 26 min 26 au total, le reste (22 min 56) étant donc un simple audio assorti d’une image fixe. Ratio assez étonnant pour une vidéo qui semble par ailleurs avoir été réalisée et éditée de manière à peu près professionnelle". Va pour la vidéo ou le son, mais l’image même du gourou est remaniée à grands coups de Photoshop. C’est net : cette vidéo a été largement trafiquée pour insérer des éléments nouveaux à peu de frais, dans des séquences son seulement, les plus faciles à manipuler... et très certainement fabriquée par un gars connu des services de la CIA. Et ce ne serait pas la première fois. Déjà en 2002...

Le son donc, et la parole du nouveau prophète de la mort. Pour des observateurs plus férus, les textes ont été rédigés par un certain Adam Gadahn ("It has Adam Gadahn written all over it", dit un spécialiste américain interrogé). Un Américain, ce Gadahn, ancien fan de métal devenu islamiste et parti en 1998 au Pakistan. Il s’était fait connaître déjà avec des vidéos menaçantes intitulées Azzam The American (Azzam al-Amriki - Azzam the American), où il prenait les mêmes poses que Ben Laden doigt levé de la même façon. Un "terroriste" dûment répertorié au FBI. A en faire pâlir ses parents, dont surtout son père, musicien tendance baba dans les années 70. Le gamin, qui fait plutôt penser à un échappé de l’asile qu’à autre chose, se serait converti à l’islam après un passage par le hard-rock satanique, tout un programme de crise d’ado, quoi, décrite dans le détail. "Adam Six years ago, Gadahn left California for Karachi, Pakistan, where his parents last heard from him in the months after Sept. 11, 2001. He never kept up a regular correspondence, his father said, and seemed to be making a life for himself when he last called in February 2002., the son of 1960s psychedelic musician Phil Pearlman At the age of 17, Gadahn posted a statement online about his conversion to Islam called "Becoming Muslim." Rejecting what he called his obsession with demonic heavy metal music, Gadahn rejected evangelical Christianity and found a home in Islam. "I discovered the beliefs and practices of this religion fit my personal theology and intellect as well as basic human logic," he wrote. "Islam presents God not as an anthropomorphic being but as an entity beyond human comprehension, transcendent of man, independent and undivided."

Un gamin égaré, mais suivi de près par le FBI, qui demande qu’on lui donne des indices sur où il pourrait bien être aujourd’hui... de façon un peu trop voyante, disons. Suivi de près, ça peut aussi signifier retourné ou manipulé : Lee Harvey Oswald n’est pas loin. La vidéo montrée comme "preuve" de son influence par le FBI est de l’ordre en effet du grotesque absolu : un homme dont on ne peut distinguer que les mains, une Kalachnikov dans la main droite pour faire peur, une toile tendue comme fond d’écran... bleue, la toile, avec des plis visibles montrant qu’elle vient juste de sortir du placard... Le propos est assez flou, avec des références à "ouvrir le coran" et c’est tout... mais avec au milieu du discours confus un superbe "Jihad isn’t something that Al-Qaïda made up. Ruling by Islam law wasn’t started by the Taliban. Hamas didn’t invent the concept of martyrdom. Uh, where we differ from these defeatists and hypocrites is that we don’t believe that these divine orders and principles are open to negotiation and compromise". L’homme relie Al-Quaïda a une histoire de la lutte musulmane issue directement des prophéties du Coran, donnant ainsi à son mouvement une légitimité historique qui lui manquait sérieusement. En résumé, l’homme tombe à pic pour faire d’Al-Quaïda un mouvement indispensable sinon obligatoire à tout bon intégriste désireux d’en découdre avec l’Occident chrétien ou les Etats-Unis. C’est tellement appuyé qu’on est en droit de se poser de sérieuses questions sur ses commanditaires réels. L’homme pourrait tout aussi bien émarger à la CIA, désireuse de faire un peu plus mousser un mouvement qui s’essouffle et dont elle a besoin pour son concept de "guerre au terrorisme". Car, pour cette guerre, il faut des terroristes, quitte à en fabriquer si besoin était.

En fait, la vidéo est plutôt maladroite : l’homme, étant Américain, se cache derrière un keffieh, parle fort mal l’arabe, et compromet ainsi toutes ces chances de convaincre ceux à qui il s’adresse : pour les Pakistanais ou les Afghans c’est une marionnette importée, pour les Américains un clown déguisé. Pearlman est le faux islamiste parfait : un torchon sur la tête, une mitraillette en plastique à air comprimé vendue 20 dollars en supermarché et un morceau de tissu bleu et n’importe quel gamin peut faire ce genre de mise en scène dans sa chambre... avec toujours les plis du décor bien repassés par sa maman. Le hic, c’est que sa figure en bonne place, cette clownerie, dans le site du FBI, rayon "contre-terrorisme". Effet garanti chez le chaland. A se demander comment peut-on faire croire aux gens à la dangerosité d’un tel clown. Gadahn est à peine un acteur de série Z, il peut plaire aux Américains nourris à l’excès de séries vidéo, mais ici il n’est absolument pas... crédible. D’autant plus que pour ce qui est du filtrage des terroristes, le moins qu’on puisse dire c’est que la CIA fait dans le léger et ne tient pas vraiment ses bases de données à jour. Confondre un musicien qui s’appelle Mohamed Yamani avec un terroriste nommé Abou Mohamed Al-Yamani, faut le faire. On a déjà dit ici que la plaie du renseignement américain était la méconnaissance de la langue arabe, et ça se confirme encore une fois.

Pour ce qui est du message du jour de son maître, on a donc le droit cette fois à du son... et à une image fixe. Superbe image : un Ben Laden tenant une kalachnikov d’une seule main ! La preuve qu’il ne sait pas tirer avec : car à la première rafale, le canon remonte, emporté par la culasse. Quant à son positionnement sur l’épaule, ça n’absorbera pas le recul, très important sur cette arme, et notre tireur fou va se retrouver épaule démise ou les quatre fers en l’air. N’importe quel armurier n’oserait utiliser cette image comme publicité : trop débile, comme position de tir. Mais ce n’est pas que la position qui est en cause. L’origine même du cliché conduit encore une fois à une fabrication. Les seules vidéos et les seules photos que nous ayons de Ben Laden tirant à la mitraillette proviennent... des Etats-Unis, du temps où il était chéri par la CIA qui en avait bien besoin en Aghanistan pour lutter contre l’occupation soviétique. Retrouver aujourd’hui ce cliché n’indique rien, tant les vidéos qui datent de vingt ans circulent. Mais elles laissent soupçonner fortement une énième fabrication. Il n’y a plus de photos récentes de Ben Laden de disponibles, et encore moins de vidéos. On s’achemine doucement vers une conclusion : l’homme n’ayant plus d’image est certes devenu un Dieu pour certains, mais ne doit même plus avoir d’existence charnelle. Alors il faut bien faire avec rien. Et broder autour. Ceux qui ont démarré le Ben Laden show doivent aujourd’hui faire parler une momie, et il faut l’avouer, ce n’est pas toujours facile. Jusqu’ici elle bougeait encore, depuis hier elle est devenue simple poster de fond de mur. Un poster et un bon Vocoder, et Ben Laden vous parle d’outre-tombe en vous citant la pluie et le beau temps, mais surtout en décrivant des événements récents pour bien insister sur le fait qu’il écoute encore la radio et regarde même la télé. Encore un peu et il nous dicterait quel candidat choisir pour la Star Ac’ si Gadahn avait eu des origines françaises.

Dans le son du jour une surprise pour beaucoup de journalistes, car l’homme à la kalachnikov parle du pape Benoît XVI, qui titrent aussitôt en chœur : "Ben Laden menace l’europe !" Pour eux, c’est une surprise. Pour n’importe quel observateur de la vie politique internationale depuis cinq ans, ça n’en est pas une. C’est la suite logique de ce qu’on a entendu ses dernières semaines à propos de la guerre en Afghanistan, et du rôle qu’y jouent des pays de l’Otan. Robert Gates avait été très dur dans ce sens, à Vilnius, en Lituanie, comme le note finement le Canadien Eric Margolis : "Le bien peu diplomatique Robert Gates a vu juste. La plupart des Européens voient dans le conflit Afghan a) une erreur immorale b) une guerre américaine c) menée pour le pétrole, ou d) probablement perdue. Pour de nombreux Européens, l’Otan était destinée à dissuader la menace réelle représentée par l’Union soviétique, pas à fournir des hommes de troupe pour les guerres menées par Bush dans le monde musulman".

On a toujours remarqué une chose, c’est que les vidéos de type "génération spontanée" de Ben laden sont toujours apparues quand Bush était en difficulté, soit électorale, soit politique contre le Congrès américain, et que leur contenu faisait référence à chaque fois à la difficulté rencontrée. C’est très net : aucune vidéo n’est apparue à moins d’un problème à résoudre pour l’équipe Bush. Celles juste avant l’élection de 2004 pour effrayer la populace, tout le monde s’en souvient. Aujourd’hui, nous avons une vidéo qui menace l’Europe en prenant pour prétexte l’histoire des caricatures de Mahomet. Disons que cela tombe encore une fois très bien pour tenter de convaincre les pays européens de renforcer leur présence en Afghanistan : "si vous ne participez pas davantage, c’est la menace islamiste qui vous pend au nez en Europe". Trop bien fait, là, chapeau la CIA, le message est bien passé... auprès d’un homme surtout, cité dans la précédente vidéo de Ben Laden : Nicolas Sarkozy, qui doit annoncer incessamment sous peu l’envoi de 700 hommes supplémentaires début avril. Une annonce qui doit beaucoup à un lobbying d’un dénommé Thierry Desmarais. Une décision en contradiction complète avec ce qu’il pouvait dire quelques semaines auparavant. Mais qu’importe, la "guerre au terrorisme" se nourrit de contradictions profondes depuis toujours.

Une annonce de Ben Laden suivie d’une seconde le lendemain pour enfoncer le clou. Visant cette fois... les Palestiniens, et destinée donc à donner un coup de pouce à la répression israélienne, qui se retrouve lavée de tout soupçon avec cet appel au "terrorisme palestinien". La CIA avait-elle oubliée un chapitre ? On le voit et on le comprend : les prétendus messages de Ben Laden sont rédigés par des gens qui souhaitent quelque chose de précis à chaque fois. Et comptent l’obtenir de cette manière, si les gens qui les lisent ne prennent pas la peine de les décrypter. Mais ce n’est pas tout, car cette fois, à vouloir trop en faire, on s’est furieusement mélangé les pinceaux, dans les officines de la CIA : car Ben Laden, et c’est un scoop, cite désormais... les évangiles, à la place du Coran. Personne n’a remarqué une petite phrase assez alambiquée à la fin de ce nouveau message de celui qui se dit inspiré par le Coran. Ou plutôt on l’a remarqué, mais on n’en a pas cherché l’origine. La phrase a été notée comme étant "énigmatique", c’est tout. La voici : "la réponse est ce que vous voyez, pas ce que vous entendez", dit le maître du Jihad. Le hic, c’est que cette citation est d’un apôtre, Luc, dans sa 10e évangile, verset 23-24. "Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que, vous, vous regardez, et ils ne l’ont pas vu ; ils ont voulu entendre ce que vous entendez, et ils ne l’ont pas entendu." Un Ben Laden qui cite les évangiles, on aura tout vu : peut-être qu’au royaume des morts les religions s’accordent enfin ! Et que Ben Laden, mort, se prend aujourd’hui pour Lazare ou le Christ ressuscités ! En tout cas, l’imbécile qui a tapé le nouveau message du djihadiste devrait réviser ses connaissances, et cesser de confondre les livres saints. Ou s’acheter un autre dictionnaire de citations. Cet énième message de Ben Laden sonne encore plus faux que les précédents : quand va-t-on cesser de se faire mener en bateau par cette entreprise de décervelage qui a débuté voilà sept ans maintenant ? On ne le sait, à moins de rester vigilant et de dénoncer cette pratique, ce que l’on vient une nouvelle fois de faire ici, n’en déplaise à certains, pourtant fins connaisseurs des Evangiles et du Coran, d’après ce qu’ils racontent.

PS : Pour ce qui est de l’allusion au pape, qui elle aussi a pu paraître étrange pour certains, l’explication nous en est venue plus tardivement : elle fait suite à un refus essuyé par Condoleeza Rice d’être reçue par Benoît XVI pour parler de la situation au Moyen-Orient et en Irak. En août dernier, en effet, le pape n’a pas daigné rencontrer l’envoyée de l’administration Bush, ce que d’aucuns ont pu voir comme "normal", le pape recevant rarement des émissaires à Castel Gandolfo, son lieu de villégiature. L’explication officielle donnée par le Vatican... à part que Georges Bush avait été lui-même reçu par Jean-Paul II le 23 juillet 2001 à Castel Gandolfo ! En réalité, Benoît XVI a ainsi voulu montrer son opposition ferme à l’administration Bush déjà tancée en 2003 par le cardinal Pio Laghi sur l’offensive irakienne, jugée "immorale". Ce à quoi Bush avait répondu de "manière inacceptable", selon le Vatican, à propos de la protection sur place des ressortissants chrétiens. La mort récente de Faraj Rahoun, l’archevêque chrétien de Mossoul, n’a fait qu’envenimer les relations déjà fort tendues. En août dernier, Rice avait dû se contenter d’un simple coup de fil au cardinal Tarcisio Bertone pour expliquer la position américaine, qui l’a très mal pris. La publication récente d’une liste de nouveaux péchés annoncés par l’évêque Gianfranco Girotti, dont le trafic de drogue le moteur de l’économie, on le sait, en Afghanistan, a dû peser lourd dans la décision d’inclure le pape dans les diatribes attribuées à un Ben Laden mort-vivant. La simple citation du nom de Benoît XVI aurait déjà dû nous mettre la puce à l’oreille. Le Vatican a engagé un bras de fer avec W. Bush, et celui-ci le lui rend bien, via la CIA et ses manœuvres habituelles. Ben Laden, sur cet exemple précis, parle encore une fois directement au nom de... W. Bush."
morice, 25 mars 2008,
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=37757

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