jeudi 27 mars 2008

Le mythe de l'Hyperréel

Comment apparaît Oussama ben Laden, le grand prédicateur de l'islamisme barbare et de la décivilisation? Toujours au moyen de vidéos ou de bandes audio. Je l'ai déjà dit, les apparitions d'Oussama sont sujettes à des moments de comique bouffon et décalé. Tantôt Oussama tient d'une main sa kalachnikov, geste qui indique qu'il n'en a pas manié beaucoup et qu'il serait mort depuis belle lurette s'il maniait les armes de la sorte; tantôt il rajeunit et grossit; tantôt il cite des versets fort peu coraniques et plutôt évangéliques. C'est en tout cas un plaisir que d'apprendre la sortie d'une nouvelle version d'Oussama.
Un peu comme le fan d'un chanteur découvre avec plaisir des versions de telle ou telle chanson, Oussama a toujours le chic pour lancer des imprécations décalées et bouffonnes. Ses apparitions sont toujours consécutives à des découvertes improbables et incertaines, des miracles citadins ou ruraux, un enfant qui tombe sur le trésor dans une maison désaffectée d'un province reculée du Pakistan, une patrouille de police qui perquisitionne le grenier ou la cave désaffectés d'une maison et tombe sur la relique. Bientôt, découvrir des documents de ben Laden aura autant de valeur que de s'emparer d'Evangiles secrets et mystérieux émanant de disciples de l'ombre du Christ!
Ce qui est moins drôle, c'est que désormais chacun n'ignore plus le caractère saugrenu de ces vidéos. La dernière fois, c'est le présentateur du soir de France 2 qui a indiqué sans rire que la Maison Blanche avait certifié authentique la nouvelle bande audio. Aveu implicite que les précédentes étaient fausses! De qui se moque-t-on? De toute manière, quel journaliste ignore aujourd'hui que Tim Osman est le nom de code d'Oussama au sein de la CIA? Oussama, agent double et manipulé, est sans doute mort après le 911. Mais l'intéressant, ce sont ses apparitions improbables et relayées internationalement. Qui a les moyens de faire ce cirque autour d'un personnage qui est sorti de l'histoire et sans doute de la vie terrestre? Qui a les moyens de sortir cette superproduction à rallonge, censée nous captiver davantage qu'un soap opera ou un série sans queue ni tête (surtout sans tête)?
Apparitions au sens classique, puisque les apparitions renvoient aux histoires de spectres et de fantômes. Mais apparitions qui, à l'inverse des fantômes, du moins ceux de la légende, sont bel et bien réelles. L'image ou le son sont réels. Reste à identifier le dépositaire, l'auteur, bref le garant. Les analystes de la CIA ou d'ailleurs (des départements privés du renseignement et de la propagande de grandes firmes du pétrole ou d'activités militaires?) montrent en tout cas qu'ils ont des conceptions très rudimentaires de la culture islamique. Ben Laden apparaît en effet à la faveur d'un jnoun des légendes orientales, sortant de sa lampe pour souffler l'espace d'un instant la vérité du Démon.
De quel instant parlons-nous? Nous ne sommes plus dans le réel. Ben Laden change d'apparences, ben Laden vieillit ou rajeunit... Bref, ben Laden n'est pas soumis aux impératifs de l'espace et du temps. Les technologies de l'audiovisuel sont à cet égard les plus indiquées pour façonner un réel concurrent du réel, je veux dire : le réel de l'Hyperréel.
C'est ce qui intervient avec Oussama. Oussama est un jnoun de l'Hyperréel. De ce point de vue, il évoque le fantasme des élitistes atlantistes et immanentistes pour qui le système a réussi à supplanter le réel, à le remplacer ou à se confondre avec sa toute-puissance. Ben Laden est un personnage de l'Hyperréel plus que de l'Autre Monde ou de l'outre-tombe. Les trucages de l'audiovisuel sont si connus que désormais n'importe quel film bobo de Hollywood (et d'ailleurs) peut figurer des armées de dinosaures, de centaures ou d'humanoïdes inconnus au bataillon des Terriens.
Rien d'étonnant dès lors à ce que Ben Laden évoque ce personnage burlesque et décalé si peu en accord avec la défroque terrifiante d'un chef terroriste se complaisant dans les assassinats terroristes de masse. Depuis longtemps, on habitue les masses, autant qu'on les abrutit, avec l'empire de l'Hyperréel, confondu en cela avec l'emprise de l'audiovisuel. On a créé le monde du show-biz et des paillettes. Les people ont remplacé les personnages historiques. Les news branchées ne nous parlent plus de la guerre en Irak et du réel, surtout quand il est terrifiant; en lieu et place, on nous abreuve de nouvelles pailletées sur la reine d'Angleterre ou sur la terrible romance d'un coupe de psychopathes violeurs et pervers.
Ben Laden occupe dans l'Hyperréel une place de choix. C'est le Génie du Mal, l'incarnation rédupliquée et cinématographiée de la légende du Vieux de la Montagne. S'il n'apparaît plus qu'en vidéos, ce n'est pas seulement parce que le plus probable est qu'il est mort et qu'il ne saurait se montrer en chair et en os. En os, peut-être; en chair, que nenni! Le plus intéressant, c'est que l'Oussama physique n'intéresse personne. Ce que veulent les occidentalistes, c'est l'Oussama qui correspond à leur conception immanentiste, l'Oussama qui intègre leur Panthéon personnel de l'Hyperréel.
Ce que l'on veut en haut lieu, c'est fabriquer l'Hyperréel. Le seul moyen de le façonner passe par les technologies audiovisuelles et cinématographiques. Il est tout à fait conséquent qu'Oussama soit un personnage exclusif de vidéos et de bandes audio. Qui plus est, il est rassurant que ces vidéos soient trafiquées et retapées, puisque ce sont les vidéos qui émanent des gouffres ténébreux de l'Enfer en personne! Si Oussama est un mythe, c'est celui de l'Hyperréel.

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