dimanche 3 août 2008

Futurition

On sait qu'en opposition constante à Hegel, Schopenhauer percevait l'histoire comme un éternel recommencement. Comme toujours avec Schopenhauer, il y a du vrai dans son analyse, même s'il pousse sans doute le bouchon un peu loin - en direction par exemple d'un pessimisme foncier. Le tragique humain, c'est d'être incapable de cerner la répétition contenue dans la différence. Je veux dire que les actions qui se reproduisent en reviennent jamais de la même manière, mais toujours d'une manière originale.
La répétition ne se fait pas sans la différence. C'est ainsi qu'à chaque fois que des horreurs et autres monstruosités sont commises, l'humanité jure devant témoins solennels que plus jamais pareille atrocité ne se reproduira. Bien entendu, l'exacte atrocité ne se reproduit plus, mais c'est une autre atrocité du même type qui prend le relais. On jure que la Shoah ne se reproduira grands dieux jamais plus? Fort bien et fort aise, mais désormais, ce sont les Palestiniens qui sont persécutés, en premier lieu par les Israéliens, soit par ceux qui ont bénéficié de la création d'un État à cause de la Shoah, voire par des descendants de la Shoah.
Cette réalité irréfutable suffit à flanquer la nausée et la chair de poule. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la victime devient si souvent le bourreau, parce qu'elle est incapable de comprendre que dans la situation nouvelle qu'elle entrevoit avec raison, elle reproduit le schéma ancien et éventé dont elle fut la victime incontestable. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec les Israéliens, qui pour partie se vengent sur les Palestiniens des horreurs que leur ont infligées les Européens, et c'est aussi la raison pour laquelle tant d'agresseurs sexuels sont aussi des victimes d'agressions sexuelles passées. (Je précise que je n'associe certainement pas les Israéliens aux agresseurs sexuels)
Un des principaux arguments décliné pour justifier l'apathie générale qui entoure les événements terribles et fracassants du 911, mais aussi la détérioration majeure et connexe du système, tient dans l'argument pratique (et d'obédience pragmatique) selon lequel il n'y aurait pas lieu de s'alarmer d'événements scandaleux, puisque, même s'ils sont avérés, ils n'empêcheront pas que l'histoire se répète.
Sous-entendu : le 911 n'est pas si grave puisque l'histoire continue et le système se perpétue. Sous-entendu : la connaissance de la vérité importe peu, puisqu'elle ne modifie en rien le destin du système, qui est d'être immuable et presque monotone. Il importe à l'individu de chercher son bonheur personnel et son confort singulier.
Ou encore : même si le pire arrive, ce n'est pas si grave - puisque le système se poursuit. Ce genre de raisonnements permet de justifier le crapuleux, le monstrueux et de rendre tolérable l'intolérable. Reste à évaluer son coefficient de vérité. Car si ce raisonnement cynique et sinistre est vrai, on peut comprendre que des esprits mus par leurs intérêts personnels puissent se tenir à l'abri des interrogations les plus légitimes et évidentes. Il est important de se moquer de tout puisque nous ne pouvons rien y faire. Après tout, l'on va mourir et l'on essaie avant ce terme de vivre du mieux possible - ou du moins pire. Admirable mentalité immanentiste et nihiliste!
Certes, le déni du réel bien connu et peu reconnu explique ce curieux raisonnement pourtant généralisé. Mais on peut aussi invoquer l'erreur selon laquelle l'histoire se répétant toujours, il n'y a pas à se soucier. Il serait bon de remarquer de manière urgent que jusqu'à présent, les différents systèmes permettaient à un système historique et donné de tomber sans remettre ne question l'humanité. Le morcellement et la séparation des sociétés humaines permettait d'envisager l'écroulement d'un système sans affecter l'ensemble de l'humanité.
Le grand péril que court l'homme aujourd'hui tient à la réunion de tous les systèmes en un seul, processus baptisé mondialisation ou globalisation, qui est précisément le système occidentaliste universalisé (où l'on mesure l'hypocrisie de l'universeul). Car le danger que court l'homme tient à l'unification du système. Un seul système, voilà qui semble plus proche de l'unité et de l'harmonie, la fin de la guerre et la paix universelle, mais derrière ces gentils idéaux réconfortants se cache le risque majeur que cette fois l'effondrement du système coïncide avec l'effondrement de l'homme tout court.
Si l'histoire se répète, il serait bon de rappeler qu'elle se répète avec différence et singularité et que de ce fait elle se répète dans le changement. Oublier le changement, c'est se condamner à un grave contresens : le postulat selon lequel tout est immuable - ou rien ne change. Si la structure du réel obéit à une certaine régularité de ses lois et principes, force est de constater que l'homme n'est pas le réel et que la structure du reél n'intègre l'homme que comme une partie infime...
L'homme ne serait certainement pas la première espèce à disparaître de la surface de notre bonne vieille Terre, dont on ignore au surplus si elle constitue le seul terreau de la vie dans l'univers. Pis, l'homme ne serait pas la première espèce à se trouver menacée. Je tiens pour assuré que si la disparition de l'homme ne coule pas de source (je parie pour le contraire), la menace actuelle qu'il traverse est certainement la plus importante, puisque auparavant jamais un système n'a remis en péril l'avenir de l'homme.
C'est aujourd'hui le cas, à cause de la globalisation funeste, qui n'est pas sans rappeler l'avertissement biblique émis par le mythe de la Tour de Babel. Grosso modo, la structure répétitive qui affecte le fonctionnement humain lui intime d'avoir toujours un extérieur pour garder une identité.
Sans extériorité, l'homme est privé d'identité et se retourne contre lui-même. C'est le drame qui se produit en ce moment avec la guerre contre le terrorisme et le fantasmatique péril terroriste islamiste. La perte d'identité qui se manifeste dans l'immanentisme et qui culmine dans la différance explique que la destruction soit la vraie fin tapie dans l'idéal d'unité promis. L'histoire se répète : l'homme aura toujours besoin d'un extérieur. Mais l'histoire est différente - et non différante.
Contrairement à la propagande fataliste et cynique que nous entonne le système actuel, le système humain n'est pas destiné à se renouveler et à se poursuivre indéfiniment et sans l'appoint humain. Il se pourrait même que sans changement le système soit sanctionné de disparition. Comme je me montre résolument optimiste, je suis persuadé que l'homme saura relever la tête et que le règne des immanentistes n'est qu'un gage de profonde mutation. Vers l'espace.

Aucun commentaire: