Pour ceux qui peinent à percevoir le phénomène de la mutation immanentiste s'opérant à partir du fondamentalisme religieux classique, le meilleur exemple d'immanentisme est à prendre en pleine période de mutation effective, à l'époque où l'immanentisme commence à l'emporter sur le transcendantalisme et où il croit encore qu'il peut vraiment réussir son pari hyperrationnel, soit le fait de gouverner le monde par la Raison.
En ce sens, on peut parler d'immanentisme idéaliste - idéalisme dans le sens où l'immanentisme croit l'emporter de manière pure et rationnelle. Il faut bien comprendre que dans le statut si spécial de l'immanentisme, comme crise religieuse profonde intervenant sur fond de remplacement du religieux transcendantal, la mutation immanentiste s'exprime par l'intervention de voix bien particulières. Ce ne sont plus des prophètes au sens monothéiste, ou des messagers dans un sens plus large et toujours transcendantal. Ce sont des hérauts de la rationalité et à ce titre la voix prophétique de l'immanentisme s'incarne dans le philosophe comme réceptacle de la rationalité.
La fortune croissante des philosophes depuis les Lumières s'explique par ce statut qui au fond commence certainement avec les présocratiques, quoique dans un sens différent. En même temps, quand on jauge de l'évolution des parcours et des profils philosophiques depuis les Lumières, on se rend compte que la figure du penseur passe de plus en plus du philosophe hyperrationnel à l'intellectuel hyperévénementiel, puis à l'expert hyperpointu.
Un penseur? Spinoza. Un intellectuel? Voltaire. Un expert? Entre autres, Attali. C'est un peu navrant comme évolution. L'immanentisme idéaliste est justement incarné par la figure de Spinoza, que la propagande immanentiste présente comme un saint. S'il est saint, c'est d'une religion. Laquelle? Pas facile de trouver de but en blanc la réponse, lui qui abjura officiellement sa religion (juive) et qui se défia de toutes les autres, au point d'incarner une figure prophétique du laïc et du moderne.
Maintenant que l'on tient la clé de l'immanentisme, on peut sans risque oser qu'aux yeux des immanentistes, Spinoza est un saint - de l'immanentisme. En plus, il est clairement le penseur de l'immanentisme version la plus pure. Quel est le parcours de Spinoza? Eh bien, c'est là que les choses s'éclairent.
Spinoza était un Juif d'une communauté d'Europe, originaire du Portugal et installé à Amsterdam. De famille commerçante, il commence par s'initier profondément à la spiritualité juive au sein de l'école juive, par la lecture des textes sacrés et par la pensée de Maïmonide.
Puis Spinoza est exclu de cette communauté au nom de l'hérésie. Les motifs sont obscurs et on nous présente Spinoza comme victime du fanatisme et de l'obscurantisme religieux, en l'occurrence d'obédience juive. Mais il faut se montrer plus prudent : Spinoza vient d'une famille marrane, qui a ainsi dû travestir son identité profonde, son identité religieuse, et il vit dans un pays et une époque assez libres (pour peu de temps il est vrai).
L'hérésie de Spinoza s'explique probablement par son abjuration du Dieu des Juifs, non pour un autre Dieu, mais plus encore pour un refus du transcendantalisme et la conversion à l'immanentisme. L'ontologie spinoziste est ainsi profondément immanentiste. Après tout, Spinoza connaît dans sa chair l'hérésie, puisque ses aïeux ont dû abjurer leur foi juive pour embrasser contraints et forcés la foi catholique.
Spinoza connaît ainsi le principe de l'hérésie et s'il est chassé avec tant de haine et avec son soulagement évident, puisqu'il ne se dédiera jamais, c'est que Spinoza n'embrassait pas le projet de se convertir au catholicisme. Ou encore : Spinoza ne poursuivait pas comme objectif de renier toute religion et de suivre le cheminement des libertins qu'il fréquentait dans sa jeunesse (libertins au sens philosophique du terme).
Il faut une rupture plus forte et scandaleuse. Plus nouvelle et incompréhensible aussi. Spinoza est ainsi l'un des pionniers de l'idéalisme immanentiste et c'est ce qu'il va prouver dans ses écrits, en développant pour commencer un immanentisme ontologique viscéral, qui est un cartésianisme passionnant et radical, mais aussi par sa méthode critique et exégétique à l'endroit des textes sacrés.
Si ontologiquement il appert avec certitude que Spinoza est immanentiste, il suffit de lire ses écrits métabibliques et politiques pour comprendre que Spinoza a une vision immanentiste de la religion et de la politique, qui s'exprime grosso modo par l'adoption d'une interprétation qu'on dit saisissante de modernité et qui n'est autre que laïque. Tout simplement.
Au final, Spinoza est considéré avec profondeur et raison comme un mutant pour son époque. On ne pouvait comprendre cet individu et il ne pouvait d'ailleurs lui-même pas vraiment se comprendre. C'est à la lumière postérieure de l'immanentisme que l'on comprend ce qu'est vraiment Spinoza qui à son époque ne cache pas du tout son identité, mais l'affirme au contraire avec passion et intégrité.
La mutation de Spinoza se fait comme par hasard du judaïsme vers l'immanentisme. Cette mutation s'explique facilement, parce que le judaïsme est le lieu même parmi le monothéisme transcendantal où le rejet s'exprime avec le plus d'intensité. Et dans le cas de Spinoza, ce rejet est historique : Spinoza est marrane. Il sait fort bien ce qu'il en coûte d'être juif et d'être traité comme un hérétique.
On s'étonne souvent aujourd'hui de ce qu'on nomme l'influence sioniste ou juive dans les élites mondialisées. Mais ce n'est parce qu'ils sont juifs; c'est parce qu'ils sont immanentistes et que l'immanentisme mute de manière particulièrement réussie et efficace à partir du judaïsme. Le judaïsme est la matrice qui amorce le monothéisme, en particulier le christianisme, et qui de ce fait amorce également l'immanentisme. Spinoza l'incarne dans son parcours biographique et intellectuel évident de rejeté.
La réponse que Spinoza apporte est très moderne parce qu'au rejet il choisit sans sourciller la conversion immanentiste. C'est la réponse de la modernité et c'est en quoi Spinoza est son prophète idéaliste évident. On s'étonne souvent de la sérénité et de la quiétude de Spinoza. Mais c'est qu'il est persuadé de la réussite de son projet à terme. Et également qu'il est comme tous les militants : il n'a pas peur de mourir pour le projet qu'il porte. Sa subversion ne peut que lui plaire.
Qu'on y pense : Spinoza enterre le vieux transcendantalisme et le remplace par un système entièrement rationnel. Tellement rationnel qu'on s'étonne souvent de sa présentation géométrique : comme si Spinoza en avait trop fait, jusqu'à la caricature. Spinoza n'a fait que suvre le modèle de la Raison, qui est une mutaion de la raison et qui s'exprime de manière hyperrationnelle.
Selon un tel modèle conceptuel, le monde est rationalisable, ce qui implique que l'ordre puisse entièrement s'exprimer par la Raison. Il est patent que ce raisonnement est extrémiste, à tel point que même les commentateurs fervents constatent que Spinoza radicalise le cartésianisme. Spinoza n'a fait que répondre à l'extrémisme palpable à l'intérieur de sa communauté (je n'ai pas dit que la communauté juive était dans son ensemble extrémiste à cette époque à Amsterdam, mais qu'il existait un fondamentalisme juif fort et obvie).
Il est tout à fait conséquent que l'immanentisme soit une réponse extrémiste à un rejet extrémiste, puisqu'elle survient dès son fondement comme une réponse à l'extrémisme transcendantal. Dans le cas de Spinoza, qui exprime l'idéalisme immanentiste, il est frappant de constater que Spinoza passe de l'affrontement au fondamentalisme juif à l'acte violent de l'herem (exclusion). Il ne peut logiquement que passer d'un fondamentalisme à un autre. Sa réponse hérétique est violente en tant que l'hérésie est violente, mais elle se redouble par le fait que Spinoza a refusé une religion pour en embrasser une autre; également qu'il a été attaqué par le fondamentalisme monothéiste juif parce qu'il défendait la cause du fondamentalisme immanentiste.
En ce sens, on peut parler d'immanentisme idéaliste - idéalisme dans le sens où l'immanentisme croit l'emporter de manière pure et rationnelle. Il faut bien comprendre que dans le statut si spécial de l'immanentisme, comme crise religieuse profonde intervenant sur fond de remplacement du religieux transcendantal, la mutation immanentiste s'exprime par l'intervention de voix bien particulières. Ce ne sont plus des prophètes au sens monothéiste, ou des messagers dans un sens plus large et toujours transcendantal. Ce sont des hérauts de la rationalité et à ce titre la voix prophétique de l'immanentisme s'incarne dans le philosophe comme réceptacle de la rationalité.
La fortune croissante des philosophes depuis les Lumières s'explique par ce statut qui au fond commence certainement avec les présocratiques, quoique dans un sens différent. En même temps, quand on jauge de l'évolution des parcours et des profils philosophiques depuis les Lumières, on se rend compte que la figure du penseur passe de plus en plus du philosophe hyperrationnel à l'intellectuel hyperévénementiel, puis à l'expert hyperpointu.
Un penseur? Spinoza. Un intellectuel? Voltaire. Un expert? Entre autres, Attali. C'est un peu navrant comme évolution. L'immanentisme idéaliste est justement incarné par la figure de Spinoza, que la propagande immanentiste présente comme un saint. S'il est saint, c'est d'une religion. Laquelle? Pas facile de trouver de but en blanc la réponse, lui qui abjura officiellement sa religion (juive) et qui se défia de toutes les autres, au point d'incarner une figure prophétique du laïc et du moderne.
Maintenant que l'on tient la clé de l'immanentisme, on peut sans risque oser qu'aux yeux des immanentistes, Spinoza est un saint - de l'immanentisme. En plus, il est clairement le penseur de l'immanentisme version la plus pure. Quel est le parcours de Spinoza? Eh bien, c'est là que les choses s'éclairent.
Spinoza était un Juif d'une communauté d'Europe, originaire du Portugal et installé à Amsterdam. De famille commerçante, il commence par s'initier profondément à la spiritualité juive au sein de l'école juive, par la lecture des textes sacrés et par la pensée de Maïmonide.
Puis Spinoza est exclu de cette communauté au nom de l'hérésie. Les motifs sont obscurs et on nous présente Spinoza comme victime du fanatisme et de l'obscurantisme religieux, en l'occurrence d'obédience juive. Mais il faut se montrer plus prudent : Spinoza vient d'une famille marrane, qui a ainsi dû travestir son identité profonde, son identité religieuse, et il vit dans un pays et une époque assez libres (pour peu de temps il est vrai).
L'hérésie de Spinoza s'explique probablement par son abjuration du Dieu des Juifs, non pour un autre Dieu, mais plus encore pour un refus du transcendantalisme et la conversion à l'immanentisme. L'ontologie spinoziste est ainsi profondément immanentiste. Après tout, Spinoza connaît dans sa chair l'hérésie, puisque ses aïeux ont dû abjurer leur foi juive pour embrasser contraints et forcés la foi catholique.
Spinoza connaît ainsi le principe de l'hérésie et s'il est chassé avec tant de haine et avec son soulagement évident, puisqu'il ne se dédiera jamais, c'est que Spinoza n'embrassait pas le projet de se convertir au catholicisme. Ou encore : Spinoza ne poursuivait pas comme objectif de renier toute religion et de suivre le cheminement des libertins qu'il fréquentait dans sa jeunesse (libertins au sens philosophique du terme).
Il faut une rupture plus forte et scandaleuse. Plus nouvelle et incompréhensible aussi. Spinoza est ainsi l'un des pionniers de l'idéalisme immanentiste et c'est ce qu'il va prouver dans ses écrits, en développant pour commencer un immanentisme ontologique viscéral, qui est un cartésianisme passionnant et radical, mais aussi par sa méthode critique et exégétique à l'endroit des textes sacrés.
Si ontologiquement il appert avec certitude que Spinoza est immanentiste, il suffit de lire ses écrits métabibliques et politiques pour comprendre que Spinoza a une vision immanentiste de la religion et de la politique, qui s'exprime grosso modo par l'adoption d'une interprétation qu'on dit saisissante de modernité et qui n'est autre que laïque. Tout simplement.
Au final, Spinoza est considéré avec profondeur et raison comme un mutant pour son époque. On ne pouvait comprendre cet individu et il ne pouvait d'ailleurs lui-même pas vraiment se comprendre. C'est à la lumière postérieure de l'immanentisme que l'on comprend ce qu'est vraiment Spinoza qui à son époque ne cache pas du tout son identité, mais l'affirme au contraire avec passion et intégrité.
La mutation de Spinoza se fait comme par hasard du judaïsme vers l'immanentisme. Cette mutation s'explique facilement, parce que le judaïsme est le lieu même parmi le monothéisme transcendantal où le rejet s'exprime avec le plus d'intensité. Et dans le cas de Spinoza, ce rejet est historique : Spinoza est marrane. Il sait fort bien ce qu'il en coûte d'être juif et d'être traité comme un hérétique.
On s'étonne souvent aujourd'hui de ce qu'on nomme l'influence sioniste ou juive dans les élites mondialisées. Mais ce n'est parce qu'ils sont juifs; c'est parce qu'ils sont immanentistes et que l'immanentisme mute de manière particulièrement réussie et efficace à partir du judaïsme. Le judaïsme est la matrice qui amorce le monothéisme, en particulier le christianisme, et qui de ce fait amorce également l'immanentisme. Spinoza l'incarne dans son parcours biographique et intellectuel évident de rejeté.
La réponse que Spinoza apporte est très moderne parce qu'au rejet il choisit sans sourciller la conversion immanentiste. C'est la réponse de la modernité et c'est en quoi Spinoza est son prophète idéaliste évident. On s'étonne souvent de la sérénité et de la quiétude de Spinoza. Mais c'est qu'il est persuadé de la réussite de son projet à terme. Et également qu'il est comme tous les militants : il n'a pas peur de mourir pour le projet qu'il porte. Sa subversion ne peut que lui plaire.
Qu'on y pense : Spinoza enterre le vieux transcendantalisme et le remplace par un système entièrement rationnel. Tellement rationnel qu'on s'étonne souvent de sa présentation géométrique : comme si Spinoza en avait trop fait, jusqu'à la caricature. Spinoza n'a fait que suvre le modèle de la Raison, qui est une mutaion de la raison et qui s'exprime de manière hyperrationnelle.
Selon un tel modèle conceptuel, le monde est rationalisable, ce qui implique que l'ordre puisse entièrement s'exprimer par la Raison. Il est patent que ce raisonnement est extrémiste, à tel point que même les commentateurs fervents constatent que Spinoza radicalise le cartésianisme. Spinoza n'a fait que répondre à l'extrémisme palpable à l'intérieur de sa communauté (je n'ai pas dit que la communauté juive était dans son ensemble extrémiste à cette époque à Amsterdam, mais qu'il existait un fondamentalisme juif fort et obvie).
Il est tout à fait conséquent que l'immanentisme soit une réponse extrémiste à un rejet extrémiste, puisqu'elle survient dès son fondement comme une réponse à l'extrémisme transcendantal. Dans le cas de Spinoza, qui exprime l'idéalisme immanentiste, il est frappant de constater que Spinoza passe de l'affrontement au fondamentalisme juif à l'acte violent de l'herem (exclusion). Il ne peut logiquement que passer d'un fondamentalisme à un autre. Sa réponse hérétique est violente en tant que l'hérésie est violente, mais elle se redouble par le fait que Spinoza a refusé une religion pour en embrasser une autre; également qu'il a été attaqué par le fondamentalisme monothéiste juif parce qu'il défendait la cause du fondamentalisme immanentiste.
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