mardi 6 mai 2008

Déconnexion

Un des signaux clairs de la décadence tient dans la croyance que les membres des masses anonymes ont un rôle bien défini à jouer et que, quoi qu'il arrive, ce rôle n'est pas appelé à évoluer dans le système. De ce point de vue, le système est considéré comme un mastodonte pachydermique dont l'existence est nécessaire et dont la disparition est impensable - inimaginable. Dans cette représentation, il existe bien des élites qui s'occupent de la direction du système, mais leur rôle se borne à diriger le système : quoi qu'il arrive, quelles que soient les directions/directives prises, le système existera toujours.
Les masses se consolent de leur rôle inexistant dans la direction du système en se persuadant que cette direction est dévolue aux élites et que la nécessité du système les dispense de toute manière de s'intéresser à ces questions. Au pis, le rôle des élites est tourné en dérision : après tout, mieux vaut un rôle anodin dans un système nécessaire qu'un rôle par définition exigeant et ingrat dans un système dépendant.
Non seulement cette représentation repose sur un préjugé faux : la nécessité éternelle du système; mais en plus l'illusion signale qu'une distinction hallucinatoire est opérée entre la nécessité du rôle de l'individu dans le système et la nécessité du système. Comme si rôle singulier était déconnecté et indépendant de la nécessité générale.
Malheureusement, cette idée est d'autant plus fallacieuse qu'elle exprime le déclin du système. Non seulement le système n'est pas indépendant des membres qui le composent, mais en plus la dépolitisation correspond en fait à cette croyance selon laquelle l'existence du système est indépendant du rôle qu'y jouent les membres.
D'une certaine manière, c'est le faux message que sont parvenues à faire passer certaines élites avides de manipulation. Quand les masses croient à ce message sournois, elles se désintéressent de questions essentielles et elles se piquent de questions nombrilistes et déconnectées (du système). Elles mettent en danger le système dans le moment où elles estiment leur action systémique inutile et superflue.
L'élitisme devient une bulle qui est chargée d'un rôle dont se déchargent les masses. Les élites sont stipendiées au nom de l'élitisme, sans que personne se rende vraiment compte que cet élitisme déconnecté et pernicieux est principalement imputable à la mutation des masses dépolitisées et à la décomposition du système. Précisément, les élites sont telles parce qu'elles se leurrent quant à leur rôle et qu'elles estiment qu'elles peuvent tout se permettre.
Dans un système nécessaire, tout est permis. Se rendent-elles compte que leur morgue, leur cynisme et leur corruption signifient au contraire, et fort logiquement, qu'elles précipitent le système dans le mur par leur action inqualifiable et incohérente? Mais c'est justement parce qu'elles sont désaxées (c'est le terme) et aveugles qu'elles sont les élites du système en décomposition et qu'il ne faut pas nourrir trop d'illusions sur leur valeur : les élites du déclin ne sauraient faire montre de noblesse et de positivité...

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